Le jeune Sigmund Freud
se rend à Paris pour rencontrer le professeur Charcot, dont les travaux sur
l'hypnose l'intéressent. Revenu à Vienne, il poursuit ses propres recherches,
malgré l'opposition de son entourage. Seul le docteur Breuer le soutient... La psychanalyse
devient donc pour lui une méthode de traitement des troubles.
En 1946, John Huston est chargé par le gouvernement
américain de filmer le suivi médical des blessés traumatiques de la Seconde
Guerre Mondiale. Il y observe et se passionne pour les différentes méthodes de
psychanalyse et découvre ainsi la prégnance de l’inconscient dans nombres de
maux humains. Si le gouvernement renoncera à diffuser le court-métrage Let
There Be Light car ne souhaitant pas montrer cette image de l’armée américaine,
l’expérience fait naître chez Huston le désir de signer un film autour des
méthodes freudiennes. Il sollicite Jean-Paul Sartre en 1958 afin d’écrire un
scénario, mais la longueur du script et le refus de concessions de l’intellectuel
français crée rapidement des dissensions.
Si nombres de ses idées demeurent dans le script final (notamment l’idée
de condenser plusieurs patientes de Freud dans le personnage inventé que joue
Susannah York), Sartre demandera à être retiré des crédits après les
réécritures de Wolfgang Reinhardt, Charles
Kaufman et John Huston himself.
Freud, passions
secrètes n’est pas un biopic de Sigmund Freud, mais suit plutôt
la grande aventure de sa recherche autour de l’inconscient et son invention de
la psychanalyse. La scène d’ouverture ne s’y trompe pas, la voix-off (du timbre
de stentor de John Huston) comparant cette découverte de l’inconscient à la
théorie de l’évolution de Darwin ou de la découverte du système solaire en
terme d’impact sur la perception humaine. On sort de l’image iconique de Freud
en vieux professeur à la mine sévère pour prendre les traits plus jeunes de
Montgomery Clift que l’on accompagnera sur une période de 5 ans, entre 1885 et
1890. Alors qu’il officie à l’hôpital général de Vienne, Freud se heurte à l’interprétation
uniquement physiologique de ses collègues quand pour lui certains maux relèvent
d’une faille issue de l’inconscient qui appelle à une autre méthode de soin.
Un voyage à Paris et l’observation des travaux
du professeur Charcot (Fernand Ledoux) l’initie ainsi à l’hypnose, mais
qui reste une porte d’entrée sans être une voie de guérison en soi. De retour à
Vienne, il s’associe avec le docteur Breuer (Larry Parks), le seul partageant
ses idées, pour mettre en pratiques les différents questionnements auprès de
patients en proie à des symptômes spécifiques.
John Huston effectue une véritable prouesse puisqu’il part d’ouvrages
purement théorique de Freud (notamment Trois
essais sur la théorie sexuelle paru en 1905) pour construire un suspense
intellectuel et dramatique autour de ses avancées. Les ambiances inquiétantes,
oppressantes et parfois hallucinées qui se dégagent du film rejoignent
finalement l’usage marqué de la psychanalyse que firent les studios
hollywoodiens dans des genres comme le film noir, prétexte à nombre d’expérimentations
formelles, un des exemple les plus fameux étant la scène de rêve de La Maison du Docteur Edwardes d’Alfred
Hitchcock. Si l’hypnose suffit à faire ressortir et résoudre les traumas les
plus évidents, ceux très enfouis et tendancieux seront plus ardus. Le film
captive en montrant Freud tâtonner car pour avancer, il devra autant se mettre
à nu que ses patients (au contraire de son supérieur Meynart (Eric Portman) dans le déni de sa propre névrose). Il sera ainsi comme effrayer par les territoires qu’il
côtoie quand il traitera Carl von Schloessen (David McCallum) dont il découvre
les élans meurtriers envers son père, écho d’une jalousie issue d’un amour
incestueux pour sa mère. La morale le rattrape ainsi et éveille des
refoulements sombres de son inconscient qu’il va devoir surmonter pour ses
travaux.
La jeune Cecily (Susannah York) développe nombres de
syndromes physiologiques (perte de vue, impossibilité de marcher) qui découle
de différentes failles de son inconscient. Huston use d’une imagerie et de ressorts dramatiques de thriller (les joutes verbales des thérapies
lorgnant parfois sur l’interrogatoire) pour faire naître une tension
psychologique dont l’enjeu est la fois un défi intellectuel et émotionnel. Le
cheminement est fascinant dans le côté laborieux, hasardeux et méthodique avec
lequel Freud traverse les strates du monde intérieur et des souvenirs de
Cecily. On pense au traumatisant flashback où elle revit la mort de son père,
en en déformant le cadre et les circonstances, Huston altérant et revisitant
le souvenir dans une étrangeté qui traduit le ressenti des songes les plus
tortueux. Il en va de même dans les traumas tout aussi complexes à dénouer de
Freud lui-même où Huston invente des séquences surréalistes, baroques et
expérimentales qui contiennent dans leurs motifs subtils toutes les clés du
mystère à résoudre.
Les monologues intérieurs chargés de doutes et les interprétations
erronées accompagnent tout le cheminement semés de doutes de Freud, où l’on
voit se construire toute la méthodologie de la psychanalyse. Ainsi passé les
spectaculaires scènes d’hypnose, c’est par le seul dialogue et ce qui s’en
dégage dans l’attitude (Cecily tombant dans une forme de passion amoureuse pour
tous ses médecins) ou les lapsus que se forge la manière d’interpeller le
patient, de se positionner face à lui (la fameuse posture du psychanalyste
installé derrière le patient faisant ses confidences arrivant avec un naturel
parfait). Tout cela nous conduit de manière exemplaire vers des territoires audacieux
dans le cinéma de l’époque en évoquant explicitement la sexualité infantile, le
complexe d’Œdipe et en illustrant le choc d’une telle approche dans la médecine
d’alors. D’un point de vue actuel, même si ces termes sont entrés dans le langage
courant, on imagine mal avec les sordides faits divers des dernières années le
thème abordé aussi frontalement (et pour preuve le A Dangerous Method de David Cronenberg (2011) n’en parle pas).
Montgomery Clift impose toute sa personnalité torturée dans
son interprétation fascinante même si la relation fut compliquée avec John
Huston (malgré une première collaboration dans Les Désaxés (1961)). L’alchimie
avec Susannah York est parfaite, créant ce cocon de proximité et de confiance
qui fait défaut aux premières scènes où Charcot traite ses malades comme de
purs outils d’illustration de ses théories. C’est donc une des plus belles
réussites de John Huston, capable de s’attaquer aux matériaux les plus
complexes pour en donner un spectacle riche et passionnant.
Sorti en dvd zone 2 français chez Rimini
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