Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
Toujours à la
recherche de sa sœur, Yukiko rapporte les cendres de son père dans son village
natal. Pendant le trajet elle démasque un pickpocket. Une tribu de yakuzas
demande réparation, mais un membre du clan reconnaît la fameuse croupière...
Ce troisième et dernier volet de la saga Woman Gambler entérine la dimension
tragique de son héroïne, désormais indissociable du monde des yakuzas. Le
premier épisode The Cat Gambler
(1965) la forçait à s’immiscer dans cet univers du crime pour venger son père.
Marqué dans son cœur (par la perte de son amour) et sa chair (par un tatouage
signe de sa réputation dans le milieu mais de damnation pour toute espérance de
vie normale), Yukiko dans le second film Woman Gambler (1965) devenait cette fois l’instrument de la vengeance d’une autre
à laquelle elle laisserait l’homme dont elle était tombée amoureuse. La
progression dramatique des deux premiers volets lie ainsi de plus en plus
Yukiko à cette existence, ce que cet ultime film vient entériner.
On s’éloigne du remake déguisé du second épisode pour une intrigue
qui quitte Tokyo pour la province. Yukiko en démasquant un pickpocket dans un
train se met à dos un clan yakuza tyrannique qui souhaite dominer la ville.
Placer malgré elle dans une guerre des clans, elle va prendre le parti du plus
faible et aspirant à légaliser ses activités. L’enjeu criminel démontre l’assurance
désormais acquise par Yukiko où elle brave sans férir des situations bien plus
dangereuses que dans les précédents films. Les parties de dés occupent une
place plus congrue du récit mais recèle des enjeux cruciaux (un territoire
pouvant s’y jouer plutôt que par un affrontement ouvert) où Yukiko montre sa
dextérité, mais elle devient également une vraie héroïne d’action tenant tête
physiquement aux hommes. L’enjeu sentimental place Yumiko face à un jeune homme
détourné du destin yakuza pour un honnête métier d’ingénieur, mais près à y
basculer par amour pour elle.
La maîtrise criminelle de Yumiko se conjugue ainsi à un
vacillement dans ses élans du cœur, alors qu’elle gravit les échelons jusqu’à
devenir boss d’un clan. L’interprétation de Yumiko Nogawa est pour beaucoup dans
cette force dramatique, la détermination comme la vulnérabilité jouant toujours
sur une sincérité palpable – à l’inverse du jeu plus glacial de Junko Fuji dans
la saga de La Pivoine Rouge à venir
et mettant en scène une autre femme yakuza.
La mise en scène assez classique de
Haruyasu Noguchi sait mettre en valeur cette dichotomie, soignant ses cadres
pour la rendre imposante et arrogante (toutes les scènes de confrontations, une
belle séquence de rituel d’intronisation yakuza) et jouant d’une belle photo
clair/obscur pur signifier le déchirement dans les scènes sentimentales. On ne
tremble donc pas vraiment devant l’infamie des adversaires (dont un businessman
américain corrupteur, petite pique bien sentie même si on n’est pas dans la
virulence d’un Cochons et Cuirassés) mais l’on est ému par la nature sacrificielle
de Yumiko, éternelle paria condamnée à l’exil. Dommage que la série se soit
arrêtée là.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Bach Films
À Naples, dans les années 1880, Felice
Sciosciammocca, un écrivain public sans le sou, partage l'appartement où
il vit en famille, avec la famille de son ami Pasquale, un photographe
de rue. Les deux familles désargentées y cohabitent tant bien que mal,
bien souvent contraintes de se passer de repas. Un jeune aristocrate,
Eugenio, amoureux d'une danseuse, Gemma, leur propose un marché : Felice
et Pasquale, en échange d'un somptueux repas, se feront passer pour ses
nobles parents afin de convaincre le père de la demoiselle, un ancien
cuisinier quelque peu infatué de noblesse, de la laisser l'épouser.
Misère et Noblesse
est une merveille de vaudeville toute à la gloire de la personnalité
comique de Toto alors au sommet de sa gloire. Le film constitue le point
central d'une trilogie où Toto incarne le même personnage dans une
série d'adaptation de pièces du dramaturge napolitain Eduardo Scarpetta (Un Turco napoletano (1953), Misère et noblesse et Il medico dei pazzi (1954), tous réalisés par Mario Mattoli). Misère et Noblesse
est la troisième adaptation de cette pièce écrite en 1888, après celle
muette de 1914 (dans laquelle joue d'ailleurs Eduardo Scarpetta) et une
parlante de 1940 (où joue cette fois Vincenzo, fils d'Eduardo
Scarpetta). Le film s'inscrit pleinement dans le cadre du néoréalisme
rose où les sujets sociaux s'imprégnaient de comédie plutôt que du
drame, avec ici une patine de film historique théâtral et visuellement
chatoyant (et à la mode.
Cet aspect factice et théâtral est
assumé dès la scène d'ouverture où le spectateur est associé à ceux
d'une pièce, les crédits du film apparaissant quand ceux-ci lisent le
livret et l'histoire démarrant alors qu’ils voient le rideau se lever
depuis leur loge. Le tournage en studio, la propreté dénuée de réalisme
et les couleurs pastel du procédé Ferraniacolor (moins onéreux que le
Technicolor) mettent donc en valeur les acteurs plutôt que
l'environnement pour souligner la pauvreté des héros. Les familles de
Felice (Toto) et Pasquale (Enzo Turco) se partagent ainsi un appartement
exigu, accumulant les loyers de retard et peinant à nourrir leur
famille.
Le jeu outré et les dialogues vachards soulignent par
l'hilarité leur situation désespérée entre dettes et faim qui les
tenaillent. La placidité et presque insouciance face à un dénuement trop
habituel souligne paradoxalement ce désespoir, dans des situations
triviales (Felice et Pasquale se disputant en douce une tartine de
confiture chez la jolie voisine d'en-dessous (Franca Faldini future
épouse de Toto)) souvent porté par le génie comique de Toto (l'hilarant
gag où il fait commander une pizza en pensant à tort être payé par un
client). La narration habile caractérise avec limpidité une
multitude de personnages, leurs interactions et passif (la femme quittée
de Felice, le prétendant vieillissant de Gemma (Sophia Loren) la
danseuse...) qui serviront dans la dernière partie purement
vaudevillesque.
Le mélange de cabotinage et d'instinct primaire de
crève-la-faim de nos héros se faisant passer pour des nobles - et où s'articule le thème central u clivage social insurmontable sans l'artifice et la tromperie - provoquent
une hilarité irrésistible que la mise en scène conventionnelle de Mario
Mattoli ne fait pas complètement décoller. Les quiproquos multiples se
résolvent ainsi de manière un peu précipitée et sans avoir exploités
suffisamment étirés leur potentiel comique. Il n'en reste pas moins une
superbe comédie où le ressent la patte de l'écriture de Ruggero Maccari,
partenaire d'Ettore Scola encore scénariste puis réalisateur sur ses
meilleurs films comme Affreux, sales et méchants (1976) dont Misère et
Noblesse semble être un prédécesseur léger.
L'histoire se situe en
Chine, au Moyen Âge. Un jeune forgeron, Ding On, en apprenant la mort tragique
de son père, décide de retrouver le meurtrier de celui-ci. Malheureusement,
attaqué par un groupe de bandits, il perd un bras. Retrouvé par une jeune fille
qui le ramène dans une ferme isolée, notre héros met alors au point une
nouvelle technique de combat très rapide et particulièrement violente pour
compenser son handicap.
La tradition ou la modernité, le passé ou le présent, le
classicisme ou l’expérimental soit autant de questionnements formels et
thématiques qui agitent Tsui Hark tout au long de sa filmographie. Cela se fait
parfois en réaction d’un film à l’autre où au sein d’une même œuvre. C’est la
première solution qui prévaut au moment où Tsui Hark réalise The Blade. Il considère s’être installé
dans une forme de routine et confort dans sa manière de filmer, notamment avec
la saga des Il était une fois en Chine
(qui en est déjà à son cinquième volet à ce moment-là) qui a imposée de
nouveaux standards au film martial avec ses chorégraphies gracieuses, stylisées
ainsi que ses combats câblés.
Tsui Hark décide donc de bousculer ces certitudes
avec The Blade. Comme souvent avec
lui, le renouveau s’inscrit dans une figure classique qu’il va se plaire à
révolutionner. The Blade et son
sabreur manchot est ainsi une relecture de la trilogie des One-Armed Swordsman signé par Chang Cheh au sein de la Shaw
Brothers. C’est une des figures majeures du cinéma martial hongkongais que
Chang Cheh a exploité dans un puissant film de vengeance avec Un seul bras les tua tous (1967),
revisité par un beau ludisme guerrier dans Le
Bras de la vengeance (1969) puis poussé à un excès graphique mémorable mais
diluant l’émotion et la nature sacrificielle avec le culte La Rage du tigre (1971).
Tsui Hark s’approprie donc le mythe et bouscule les codes
contemporains qu’il a contribué à instaurer par une approche visuelle façon
cinéma-vérité. L’univers fantasmé de chevalerie noble de la Shaw Brothers tout
comme le contexte historique des Il était
une fois en Chine laissent place à un Moyen Age incertain et barbare - l’heroic
fantasy n’est pas loin avec le physique autre de certains sbires comme cet
homme au visage enfariné à la langue hypertrophiée accentuant son sadisme. Cette
violence s’exprime donc par un filmage sur le vif et chaotique traduisant le
sentiment de danger permanent où la mort peut surgir à tout moment. A l’image
du héros Ding On (Chiu Man-Cheuk), nous ne sommes que les spectateurs
impuissants de la tyrannie d’un monde sans merci, où la moindre velléité
héroïque est tuée dans l’œuf (le moine corrigeant un groupe de bandit avant d’être
brutalement assassiné à son tour). Ding On est un personnage inaccompli par ses
origines au départ inconnues, par la mutilation de son corps lorsqu’il aura le
bras tranché et par le sabre brisé de son vrai père mort en le sauvant
enfant.
Cette idée se prolonge avec le manuel d’arts martiaux à moitié calciné
qu’il va trouver, le forçant à un apprentissage autodidacte et incomplet. De
tous ces fragments intimes et physiques pourra ainsi naître une identité propre
et le guerrier qu’il aspire à être. Cette idée de collage traduit la différence
avec le traitement des One-Armed
Swordsman où une logique narrative, filmique et corporelle guidait le
parcours du héros, la manière de dompter son handicap où le sabre serait
désormais un prolongement de son bras amputé. L’approche purement sensitive de
Tsui Hark joue dans la progression viscérale de l’intrigue où chaque évolution
des personnages obéit à un sentiment primaire tel que la douleur, le désir ou la
vengeance. Cette simplicité se teinte d’une certaine complexité avec la
tentation du mal de Tête d’acier (Moses Chan) rongé par le désir pour une
prostituée (Valerie Chow).
Le chaos présent à l’écran a également été savamment
instauré par Tsui Hark pour parvenir à ce résultat. Le scénario fut écrit sans
dialogues, seules les intentions et sentiments des protagonistes étant donnés
aux acteurs forcés d‘improviser leurs répliques. Le filmage des joutes
martiales se fit sans les artifices habituels (câbles, doublures) et forçant
les acteurs à réaliser eux-mêmes la moindre prouesse physique. Le but n’était
plus de penser le combat pour sa mise en valeur par la caméra, mais produire
une frénésie que cette caméra s’efforcerait de suivre dans un style documentaire
et sur le vif. Le résultat s’avère stupéfiant avec sa caméra à l’épaule aux
cadres incertains d’où rentrent et sortent les protagonistes dans une totale
anarchie, par un montage sensoriel (déjà expérimenté dans les Il était une fois en Chine mais plutôt
dans une suspension d’incrédulité alors qu’ici il s’agit de traduire une
confusion réaliste) et une violence dont l’impact se trouve décuplé.
Le chaos
est d’abord subit avec Ding On et sa gestuelle désordonnée pour échapper à ses
poursuivants lors de la scène où il perd son bras (ou encore celle où il est
torturé puis sa cabane brûlée). Ce désordre est ensuite imposé par notre héros
avec, sous l’hystérie, une vraie logique de montage et de mise en scène pour
accompagner la dynamique de ses mouvements, l’impact de ses coups dévastateurs et
sa rage enfin extériorisée. L’esthétique chatoyante et bigarrée de ses succès
récents (Green Snake (1993) ouThe Lovers (1994)) vole en éclat face à
ce traitement frontal où notamment la lumière se réduit au strict nécessaire.
Le tournage fut une rude épreuve pour les équipes techniques si épuisées que
Tsui Hark (lié aussi par les contraintes économiques de production) selon lui n’approcha
qu’à moitié son parti pris initial (Time
and Tide (2000) se chargerait de compléter le tableau).
Tsui Hark inscrit cette volonté de
destruction/reconstruction au cœur des thématiques du film. The Blade est une redéfinition d’une
icône du cinéma martial hongkongais et une manière (une fois de plus pour Tsui
Hark) d’écrire le futur en s’appuyant sur la tradition. Ding On par la façon
non conventionnelle d’acquérir ses aptitudes incarne aussi un renouveau, celui
de ne plus plier l’échine face à la barbarie et d’une génération capable de
venger ses ancêtres. La voix-off de la belle Fei Lung (Sonny Song) apporte une
forme de hauteur philosophique et candide au récit tandis que le méchant
incarné par Hung Yan-yan par sa malveillance quasi animale symbolise le pendant
déloyal de cette révolution – ses bottes secrètes traitresses opposées à la réinvention
martiale de Ding On.Tsui Hark signe là
un de ses chefs d’œuvre et parvient à une nouvelle et brillante mue -
malheureusement échec à sa sortie.
Une nuit, après un
rendez-vous raté avec la femme de sa vie, un homme reçoit dans une cabine
téléphonique l'appel désespéré d'un jeune militaire qui tente de joindre son
père et qui lui apprend, affolé, que des missiles nucléaires vont s'abattre sur
Los Angeles dans 1 heure et 10 minutes.
Steven De Jarnatt signe une belle vision d’une apocalypse
intime qui n’est pas sans rappeler, l’emphase en moins, Le Dernier Rivage de Stanley Kramer (1959). Si ce dernier semblait
en phase avec le contexte de guerre froide et de peur d’une apocalypse
nucléaire, Miracle Mile parait
déconnecté à sa sortie en 1988 alors que le choc des blocs touche à sa fin et
la course à l’armement avec entre les Etats-Unis et l’URSS. L’argument n’est
cependant qu’un prétexte propre à parler aux spectateurs pour une évocation de
la capacité de l’humanité à s’autodétruire. Et en parallèle de ce constat
collectif pessimiste, le réalisateur oppose un intime plus lumineux à travers
la romance éphémère entre Harry (Anthony Edwards) et Julie (Mare Winningham).
La scène d’ouverture traduit ce décalage dans un musée d’histoire
naturelle qui nous dépeint le début et la fin de quelque chose avec ces visions
du Big Bang, des premiers pas de l’humanité et une intrigue qui en évoque la
conclusion. C’est dans ce cadre que se fait la rencontre touchante et timide
entre Harry et Julie, et ce début intime lumineux se confondra constamment à cette
fin collective oppressante tout au long du récit. Steven De Jarnatt questionne
ainsi la réaction humaine en cas de fin du monde imminente en opposant une
forme d’hystérie ambiante à celle d’un amour en sursis plus fragile. L’idée
initiale du réalisateur était de faire du couple des amoureux séparés que la
catastrophe allait faire renouer. L’idée est conservée avec les grands-parents
de Julie mais il fera le choix d’une romance naissante et plus candide en fil
rouge pour un offrir un contrepoint chargé d’espoir à la noirceur ambiante.
Les circonstances et facilité avec laquelle Harry, ses
interlocuteurs puis la ville entière croient en la destruction à venir parait
décalé au vu d’un contexte moins tendu et paranoïaque. La Warner appâté par le
script de De Jarnatt l’envisage dans un traitement façon La Quatrième Dimension (le tout s’avérant un rêve) que refuse le
réalisateur. Il mettra près de huit ans à imposer sa vision en rachetant les
droits de son script et en le mettant en scène à l’économie d’une production
plus modeste (Warner l’envisageant comme un blockbuster). Dès lors cette
acceptation de la fin ne se rattache pas à des peurs contemporaines mais tout
simplement à une crainte latente d’une fin inéluctable qui plane sur l’humanité.
Le réalisateur capture cela dans une outrance qui se fait comique et absurde à
petite échelle (la réaction dans le restaurant et toutes les rencontres
improbables d’Harry tout au long de cette nuit) avant le chaos urbain
généralisé où les maux de la société américaine ressurgissent. Les visions de
guerre civile anticipent ainsi tristement celles des émeutes qui auront lieu
suite à l’affaire Rodney King à Los Angeles, validant à postériori le regard
désabusé de De Jarnatt. La désolation fonctionne par le vide avec dans l’imagerie
inquiétante de la ville déserte tant que subsiste le doute, puis par le
trop-plein lorsque l’hystérie collective gagne la population et que la fin apparaît
plus concrète. Dans tous les cas, le lien à l’autre sert de refuge, tant dans l’absence
et la recherche de la proximité et regard de l’autre, que dans la présence où
sa chaleur permet de surmonter l’épreuve.
Malgré son budget restreint, Steven
De Jarnatt parvient idéalement à traduire les sentiments contradictoires et
fragiles d’un tel moment. Cela inclus le couple de héros bien sûr, mais aussi
une humanité hétéroclite dans ses tranches d’âges, race, orientation sexuelles
mais sans que cela soit surligné et avec l’amour et la fraternité comme vrai
liens commun. La symbolique et l’émotion à fleur de peau s’unissent parfaitement,
notamment dans un beau final résigné et ironique où à nouveau la « fin »
et le « début » s’entrecroisent dans ce même cadre du musée d’histoire
naturelle ouvrant le film.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Blaq Out