Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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vendredi 28 décembre 2018

Revenge of the woman gambler - Toba no mesu neko: sutemi no shôbu, Haruyasu Noguchi (1966)


Toujours à la recherche de sa sœur, Yukiko rapporte les cendres de son père dans son village natal. Pendant le trajet elle démasque un pickpocket. Une tribu de yakuzas demande réparation, mais un membre du clan reconnaît la fameuse croupière...

Ce troisième et dernier volet de la saga Woman Gambler entérine la dimension tragique de son héroïne, désormais indissociable du monde des yakuzas. Le premier épisode The Cat Gambler (1965) la forçait à s’immiscer dans cet univers du crime pour venger son père. Marqué dans son cœur (par la perte de son amour) et sa chair (par un tatouage signe de sa réputation dans le milieu mais de damnation pour toute espérance de vie normale), Yukiko dans le second film Woman Gambler (1965) devenait cette fois l’instrument de la vengeance d’une autre à laquelle elle laisserait l’homme dont elle était tombée amoureuse. La progression dramatique des deux premiers volets lie ainsi de plus en plus Yukiko à cette existence, ce que cet ultime film vient entériner.

On s’éloigne du remake déguisé du second épisode pour une intrigue qui quitte Tokyo pour la province. Yukiko en démasquant un pickpocket dans un train se met à dos un clan yakuza tyrannique qui souhaite dominer la ville. Placer malgré elle dans une guerre des clans, elle va prendre le parti du plus faible et aspirant à légaliser ses activités. L’enjeu criminel démontre l’assurance désormais acquise par Yukiko où elle brave sans férir des situations bien plus dangereuses que dans les précédents films. Les parties de dés occupent une place plus congrue du récit mais recèle des enjeux cruciaux (un territoire pouvant s’y jouer plutôt que par un affrontement ouvert) où Yukiko montre sa dextérité, mais elle devient également une vraie héroïne d’action tenant tête physiquement aux hommes. L’enjeu sentimental place Yumiko face à un jeune homme détourné du destin yakuza pour un honnête métier d’ingénieur, mais près à y basculer par amour pour elle.

La maîtrise criminelle de Yumiko se conjugue ainsi à un vacillement dans ses élans du cœur, alors qu’elle gravit les échelons jusqu’à devenir boss d’un clan. L’interprétation de Yumiko Nogawa est pour beaucoup dans cette force dramatique, la détermination comme la vulnérabilité jouant toujours sur une sincérité palpable – à l’inverse du jeu plus glacial de Junko Fuji dans la saga de La Pivoine Rouge à venir et mettant en scène une autre femme yakuza. 

La mise en scène assez classique de Haruyasu Noguchi sait mettre en valeur cette dichotomie, soignant ses cadres pour la rendre imposante et arrogante (toutes les scènes de confrontations, une belle séquence de rituel d’intronisation yakuza) et jouant d’une belle photo clair/obscur pur signifier le déchirement dans les scènes sentimentales. On ne tremble donc pas vraiment devant l’infamie des adversaires (dont un businessman américain corrupteur, petite pique bien sentie même si on n’est pas dans la virulence d’un Cochons et Cuirassés) mais l’on est ému par la nature sacrificielle de Yumiko, éternelle paria condamnée à l’exil. Dommage que la série se soit arrêtée là.

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Bach Films

mercredi 26 décembre 2018

Misère et Noblesse - Miseria e nobiltà, Mario Mattoli (1954)

À Naples, dans les années 1880, Felice Sciosciammocca, un écrivain public sans le sou, partage l'appartement où il vit en famille, avec la famille de son ami Pasquale, un photographe de rue. Les deux familles désargentées y cohabitent tant bien que mal, bien souvent contraintes de se passer de repas. Un jeune aristocrate, Eugenio, amoureux d'une danseuse, Gemma, leur propose un marché : Felice et Pasquale, en échange d'un somptueux repas, se feront passer pour ses nobles parents afin de convaincre le père de la demoiselle, un ancien cuisinier quelque peu infatué de noblesse, de la laisser l'épouser.

Misère et Noblesse est une merveille de vaudeville toute à la gloire de la personnalité comique de Toto alors au sommet de sa gloire. Le film constitue le point central d'une trilogie où Toto incarne le même personnage dans une série d'adaptation de pièces du dramaturge napolitain Eduardo Scarpetta (Un Turco napoletano (1953), Misère et noblesse et Il medico dei pazzi (1954), tous réalisés par Mario Mattoli). Misère et Noblesse est la troisième adaptation de cette pièce écrite en 1888, après celle muette de 1914 (dans laquelle joue d'ailleurs Eduardo Scarpetta) et une parlante de 1940 (où joue cette fois Vincenzo, fils d'Eduardo Scarpetta). Le film s'inscrit pleinement dans le cadre du néoréalisme rose où les sujets sociaux s'imprégnaient de comédie plutôt que du drame, avec ici une patine de film historique théâtral et visuellement chatoyant (et à la mode.

Cet aspect factice et théâtral est assumé dès la scène d'ouverture où le spectateur est associé à ceux d'une pièce, les crédits du film apparaissant quand ceux-ci lisent le livret et l'histoire démarrant alors qu’ils voient le rideau se lever depuis leur loge. Le tournage en studio, la propreté dénuée de réalisme et les couleurs pastel du procédé Ferraniacolor (moins onéreux que le Technicolor) mettent donc en valeur les acteurs plutôt que l'environnement pour souligner la pauvreté des héros. Les familles de Felice (Toto) et Pasquale (Enzo Turco) se partagent ainsi un appartement exigu, accumulant les loyers de retard et peinant à nourrir leur famille.

Le jeu outré et les dialogues vachards soulignent par l'hilarité leur situation désespérée entre dettes et faim qui les tenaillent. La placidité et presque insouciance face à un dénuement trop habituel souligne paradoxalement ce désespoir, dans des situations triviales (Felice et Pasquale se disputant en douce une tartine de confiture chez la jolie voisine d'en-dessous (Franca Faldini future épouse de Toto)) souvent porté par le génie comique de Toto (l'hilarant gag où il fait commander une pizza en pensant à tort être payé par un client). La narration habile caractérise avec limpidité une multitude de personnages, leurs interactions et passif (la femme quittée de Felice, le prétendant vieillissant de Gemma (Sophia Loren) la danseuse...) qui serviront dans la dernière partie purement vaudevillesque.

Le mélange de cabotinage et d'instinct primaire de crève-la-faim de nos héros se faisant passer pour des nobles - et où s'articule le thème central u clivage social insurmontable sans l'artifice et la tromperie - provoquent une hilarité irrésistible que la mise en scène conventionnelle de Mario Mattoli ne fait pas complètement décoller. Les quiproquos multiples se résolvent ainsi de manière un peu précipitée et sans avoir exploités suffisamment étirés leur potentiel comique. Il n'en reste pas moins une superbe comédie où le ressent la patte de l'écriture de Ruggero Maccari, partenaire d'Ettore Scola encore scénariste puis réalisateur sur ses meilleurs films comme Affreux, sales et méchants (1976) dont Misère et Noblesse semble être un prédécesseur léger.

Sorti en dvd zone 2 français chez Tamasa 

mardi 25 décembre 2018

The Blade - Dao, Tsui Hark (1995)


L'histoire se situe en Chine, au Moyen Âge. Un jeune forgeron, Ding On, en apprenant la mort tragique de son père, décide de retrouver le meurtrier de celui-ci. Malheureusement, attaqué par un groupe de bandits, il perd un bras. Retrouvé par une jeune fille qui le ramène dans une ferme isolée, notre héros met alors au point une nouvelle technique de combat très rapide et particulièrement violente pour compenser son handicap.

La tradition ou la modernité, le passé ou le présent, le classicisme ou l’expérimental soit autant de questionnements formels et thématiques qui agitent Tsui Hark tout au long de sa filmographie. Cela se fait parfois en réaction d’un film à l’autre où au sein d’une même œuvre. C’est la première solution qui prévaut au moment où Tsui Hark réalise The Blade. Il considère s’être installé dans une forme de routine et confort dans sa manière de filmer, notamment avec la saga des Il était une fois en Chine (qui en est déjà à son cinquième volet à ce moment-là) qui a imposée de nouveaux standards au film martial avec ses chorégraphies gracieuses, stylisées ainsi que ses combats câblés.

Tsui Hark décide donc de bousculer ces certitudes avec The Blade. Comme souvent avec lui, le renouveau s’inscrit dans une figure classique qu’il va se plaire à révolutionner. The Blade et son sabreur manchot est ainsi une relecture de la trilogie des One-Armed Swordsman signé par Chang Cheh au sein de la Shaw Brothers. C’est une des figures majeures du cinéma martial hongkongais que Chang Cheh a exploité dans un puissant film de vengeance avec Un seul bras les tua tous (1967), revisité par un beau ludisme guerrier dans Le Bras de la vengeance (1969) puis poussé à un excès graphique mémorable mais diluant l’émotion et la nature sacrificielle avec le culte La Rage du tigre (1971).

Tsui Hark s’approprie donc le mythe et bouscule les codes contemporains qu’il a contribué à instaurer par une approche visuelle façon cinéma-vérité. L’univers fantasmé de chevalerie noble de la Shaw Brothers tout comme le contexte historique des Il était une fois en Chine laissent place à un Moyen Age incertain et barbare - l’heroic fantasy n’est pas loin avec le physique autre de certains sbires comme cet homme au visage enfariné à la langue hypertrophiée accentuant son sadisme. Cette violence s’exprime donc par un filmage sur le vif et chaotique traduisant le sentiment de danger permanent où la mort peut surgir à tout moment. A l’image du héros Ding On (Chiu Man-Cheuk), nous ne sommes que les spectateurs impuissants de la tyrannie d’un monde sans merci, où la moindre velléité héroïque est tuée dans l’œuf (le moine corrigeant un groupe de bandit avant d’être brutalement assassiné à son tour). Ding On est un personnage inaccompli par ses origines au départ inconnues, par la mutilation de son corps lorsqu’il aura le bras tranché et par le sabre brisé de son vrai père mort en le sauvant enfant. 

Cette idée se prolonge avec le manuel d’arts martiaux à moitié calciné qu’il va trouver, le forçant à un apprentissage autodidacte et incomplet. De tous ces fragments intimes et physiques pourra ainsi naître une identité propre et le guerrier qu’il aspire à être. Cette idée de collage traduit la différence avec le traitement des One-Armed Swordsman où une logique narrative, filmique et corporelle guidait le parcours du héros, la manière de dompter son handicap où le sabre serait désormais un prolongement de son bras amputé. L’approche purement sensitive de Tsui Hark joue dans la progression viscérale de l’intrigue où chaque évolution des personnages obéit à un sentiment primaire tel que la douleur, le désir ou la vengeance. Cette simplicité se teinte d’une certaine complexité avec la tentation du mal de Tête d’acier (Moses Chan) rongé par le désir pour une prostituée (Valerie Chow).

Le chaos présent à l’écran a également été savamment instauré par Tsui Hark pour parvenir à ce résultat. Le scénario fut écrit sans dialogues, seules les intentions et sentiments des protagonistes étant donnés aux acteurs forcés d‘improviser leurs répliques. Le filmage des joutes martiales se fit sans les artifices habituels (câbles, doublures) et forçant les acteurs à réaliser eux-mêmes la moindre prouesse physique. Le but n’était plus de penser le combat pour sa mise en valeur par la caméra, mais produire une frénésie que cette caméra s’efforcerait de suivre dans un style documentaire et sur le vif. Le résultat s’avère stupéfiant avec sa caméra à l’épaule aux cadres incertains d’où rentrent et sortent les protagonistes dans une totale anarchie, par un montage sensoriel (déjà expérimenté dans les Il était une fois en Chine mais plutôt dans une suspension d’incrédulité alors qu’ici il s’agit de traduire une confusion réaliste) et une violence dont l’impact se trouve décuplé. 

Le chaos est d’abord subit avec Ding On et sa gestuelle désordonnée pour échapper à ses poursuivants lors de la scène où il perd son bras (ou encore celle où il est torturé puis sa cabane brûlée). Ce désordre est ensuite imposé par notre héros avec, sous l’hystérie, une vraie logique de montage et de mise en scène pour accompagner la dynamique de ses mouvements, l’impact de ses coups dévastateurs et sa rage enfin extériorisée. L’esthétique chatoyante et bigarrée de ses succès récents (Green Snake (1993) ou The Lovers (1994)) vole en éclat face à ce traitement frontal où notamment la lumière se réduit au strict nécessaire. Le tournage fut une rude épreuve pour les équipes techniques si épuisées que Tsui Hark (lié aussi par les contraintes économiques de production) selon lui n’approcha qu’à moitié son parti pris initial (Time and Tide (2000) se chargerait de compléter le tableau).

Tsui Hark inscrit cette volonté de destruction/reconstruction au cœur des thématiques du film. The Blade est une redéfinition d’une icône du cinéma martial hongkongais et une manière (une fois de plus pour Tsui Hark) d’écrire le futur en s’appuyant sur la tradition. Ding On par la façon non conventionnelle d’acquérir ses aptitudes incarne aussi un renouveau, celui de ne plus plier l’échine face à la barbarie et d’une génération capable de venger ses ancêtres. La voix-off de la belle Fei Lung (Sonny Song) apporte une forme de hauteur philosophique et candide au récit tandis que le méchant incarné par Hung Yan-yan par sa malveillance quasi animale symbolise le pendant déloyal de cette révolution – ses bottes secrètes traitresses opposées à la réinvention martiale de Ding On.  Tsui Hark signe là un de ses chefs d’œuvre et parvient à une nouvelle et brillante mue - malheureusement échec à sa sortie.

Sorti en dvd zone 2 français chez HK Vidéo

 

lundi 24 décembre 2018

Appel d'urgence - Miracle Mile, Steven De Jarnatt (1988)


Une nuit, après un rendez-vous raté avec la femme de sa vie, un homme reçoit dans une cabine téléphonique l'appel désespéré d'un jeune militaire qui tente de joindre son père et qui lui apprend, affolé, que des missiles nucléaires vont s'abattre sur Los Angeles dans 1 heure et 10 minutes.

Steven De Jarnatt signe une belle vision d’une apocalypse intime qui n’est pas sans rappeler, l’emphase en moins, Le Dernier Rivage de Stanley Kramer (1959). Si ce dernier semblait en phase avec le contexte de guerre froide et de peur d’une apocalypse nucléaire, Miracle Mile parait déconnecté à sa sortie en 1988 alors que le choc des blocs touche à sa fin et la course à l’armement avec entre les Etats-Unis et l’URSS. L’argument n’est cependant qu’un prétexte propre à parler aux spectateurs pour une évocation de la capacité de l’humanité à s’autodétruire. Et en parallèle de ce constat collectif pessimiste, le réalisateur oppose un intime plus lumineux à travers la romance éphémère entre Harry (Anthony Edwards) et Julie (Mare Winningham).

La scène d’ouverture traduit ce décalage dans un musée d’histoire naturelle qui nous dépeint le début et la fin de quelque chose avec ces visions du Big Bang, des premiers pas de l’humanité et une intrigue qui en évoque la conclusion. C’est dans ce cadre que se fait la rencontre touchante et timide entre Harry et Julie, et ce début intime lumineux se confondra constamment à cette fin collective oppressante tout au long du récit. Steven De Jarnatt questionne ainsi la réaction humaine en cas de fin du monde imminente en opposant une forme d’hystérie ambiante à celle d’un amour en sursis plus fragile. L’idée initiale du réalisateur était de faire du couple des amoureux séparés que la catastrophe allait faire renouer. L’idée est conservée avec les grands-parents de Julie mais il fera le choix d’une romance naissante et plus candide en fil rouge pour un offrir un contrepoint chargé d’espoir à la noirceur ambiante. 

Les circonstances et facilité avec laquelle Harry, ses interlocuteurs puis la ville entière croient en la destruction à venir parait décalé au vu d’un contexte moins tendu et paranoïaque. La Warner appâté par le script de De Jarnatt l’envisage dans un traitement façon La Quatrième Dimension (le tout s’avérant un rêve) que refuse le réalisateur. Il mettra près de huit ans à imposer sa vision en rachetant les droits de son script et en le mettant en scène à l’économie d’une production plus modeste (Warner l’envisageant comme un blockbuster). Dès lors cette acceptation de la fin ne se rattache pas à des peurs contemporaines mais tout simplement à une crainte latente d’une fin inéluctable qui plane sur l’humanité. 

Le réalisateur capture cela dans une outrance qui se fait comique et absurde à petite échelle (la réaction dans le restaurant et toutes les rencontres improbables d’Harry tout au long de cette nuit) avant le chaos urbain généralisé où les maux de la société américaine ressurgissent. Les visions de guerre civile anticipent ainsi tristement celles des émeutes qui auront lieu suite à l’affaire Rodney King à Los Angeles, validant à postériori le regard désabusé de De Jarnatt. La désolation fonctionne par le vide avec dans l’imagerie inquiétante de la ville déserte tant que subsiste le doute, puis par le trop-plein lorsque l’hystérie collective gagne la population et que la fin apparaît plus concrète. Dans tous les cas, le lien à l’autre sert de refuge, tant dans l’absence et la recherche de la proximité et regard de l’autre, que dans la présence où sa chaleur permet de surmonter l’épreuve. 

Malgré son budget restreint, Steven De Jarnatt parvient idéalement à traduire les sentiments contradictoires et fragiles d’un tel moment. Cela inclus le couple de héros bien sûr, mais aussi une humanité hétéroclite dans ses tranches d’âges, race, orientation sexuelles mais sans que cela soit surligné et avec l’amour et la fraternité comme vrai liens commun. La symbolique et l’émotion à fleur de peau s’unissent parfaitement, notamment dans un beau final résigné et ironique où à nouveau la « fin » et le « début » s’entrecroisent dans ce même cadre du musée d’histoire naturelle ouvrant le film. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Blaq Out