Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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lundi 23 mai 2022

Qiu Ju, une femme chinoise - Qiū jú dǎ guānsī, Zhang Yimou (1992)


 Qinglai, le mari de Qiu Ju, a été humilié publiquement par Wang Tang, le chef du village qui l'a roué de coups. Ce dernier est prêt à les dédommager mais Qiu Ju, modeste paysanne chinoise enceinte, refuse l'argent et veut obtenir des excuses.

Dans les films des grandes heures de leurs collaboration commune, Gong Li aura souvent représenté une figure d'insoumission dans le cinéma de Zhang Yimou. Insoumission face à une Chine aux mœurs primitives mais aussi à l'envahisseur japonais dans Le Sorgho Rouge (1987), face aux règles sociales et patriarcales implicite de la Chine rurale de Ju Dou (1990) ou de son pendant bourgeois et institutionnalisé de Epouses et concubines (1991). Dans chacun de ces films, Zhang Yimou trouve le juste équilibre entre l'égratignement du système et surtout le portrait de femme porté par les prestations puissantes de Gong Li. L'approche de mélodrame et la veine romanesque flamboyante transcendait par l'esthétique et l'émotion les éléments qui auraient pu être ressentis comme trop crique envers le régime chinois, chose qui ne fera plus illusion dans Vivre ! (1994), fresque historique qui vaudra un bannissement d'un an loin des plateaux pour Zhang Yimou. On entrevoit déjà cela dans Qiu Ju, une femme chinoise, adaptation d'un roman de Yuan Bin Chen. Zhang Yimou s'y déleste de tout le formalisme chatoyant des précédents films pour une approche néoréaliste et semi-documentaire. Cela se ressent dans la crudité du cadre rural (certes déjà exploités dans Le Sorgho Rouge et Ju Dou mais toujours avec une certaine stylisation) et dans la méticulosité de l'observation du système du droit chinois.

Qiu Ju (Gong Li) est une femme dont le mari Qinglai (Peiqi Liu) a été battu publiquement par Wang Tang (Quesheng Lei), le chef du village suite à une querelle domestique. Qiu Ju face à son époux diminué s'insurge, réclame justice et va se heurter à un mur de conventions. La faute est reconnue implicitement avec un dédommagement financier du coupable, mais jamais ce dernier ne sera mis en porte à faux public dans une décision de justice officielle. Qiu Ju à cheval sur l'honneur va refuser tous les arrangements de façade et grimper les strates du système judiciaire chinois pour obtenir gain de cause. On passe du chef de village récalcitrant au conciliateur (un peu trop conciliant justement) régional, avant de monter à la ville pour solliciter les plus hautes sphères. Qiu Ju, en grossesse plus qu'avancée, ne se démonte pas et traverse les paysages ruraux comme urbain cahin-caha accompagnée de sa belle-sœur Meizi (Liuchun Yang) pour réclamer justice et obtenir gain de cause. 

L'ambiance hivernale ajoute encore à la détermination du personnage, le visage rougi par le froid de Gong Li ne se délestant pas un instant de sa farouche détermination. Zhang Yimou nous montre la un système qui se veut officiellement intouchable et refuse de montrer explicitement ses failles. Si le spectateur occidental ressent l'essentiel du film comme un drame, il en fut apparemment autrement en Chine où les locaux reconnaissant les maux quotidiens auxquels ils étaient confrontés y virent une comédie. Il y a en effet un forme d'absurde dans l'enfer administratif qui se déploie ici alors que de simples excuses verbales auraient tout résolus. Yimou ne blâme pas les individus qui se plient à ce fonctionnement, mais bien un modèle visant une impossible perfection de façade. Ce sera également présent dans Vivre ! mais là le cadre historique posera plus de problème que la réalité à laquelle tous les Chinois se frottent encore de Qiu Ju.

On retrouve aussi là se profond contraste en la Chine rurale encore très arriérée matériellement, et celle moderne de la ville où l'on a clairement l'impression en quelques kilomètres de basculer d'un siècle à un autre (si ce n'est quelques éléments comme les véhicules motorisés). L'humanisme et les rencontres bienveillantes s'entrecroisent entre ces deux mondes, sans manichéisme. La tradition rurale incite notre héroïne à rentrer dans le rang (y compris son époux désormais rétabli et effrayé par le quand dira-t-on) tandis que les citadins se montre plus attentif à la cause de Qiu Ju. La froideur et l'incongruité administrative est cependant bien urbaine tandis que les conflits se surmontent dans la proximité du village lorsque Qiu Ju fera une grossesse douloureuse. Finalement le système se montre déréglé et imparfait en frappant enfin et trop vigoureusement, uniquement lorsqu'il est mis à nu. L'autoritarisme et la violence prennent le pas sur un bon sens qui aurait empêché l'escalade. C'est un système qui ne recherche que l'apparat de l'irréprochable, par l'inertie ou la brutalité, que fustige Zhang Yimou avec intelligence à travers ce portrait de femme.

Sorti en dvd zone 2 français chez Films sans frontières

samedi 21 mai 2022

Cannibal Man, la semaine d'un assassin - La semana del asesino, Eloy de la Iglesia (1972)


 Employé dans une usine de découpe de viande, Marcos vit solitaire entre misère et déprime, dans sa cité d’immeubles gris, malgré sa petite amie Paula. Un soir que les deux s’embrassent sur la banquette arrière d’un taxi, le chauffeur les fait sortir et gifle la jeune fille. Marcos le tue involontairement. Paula le poussant à aller voir la police, il la supprime également. Mais chaque nouveau meurtre entraîne un témoin que Marcos doit éliminer. Il va se retrouver ainsi au centre d’une spirale meurtrière à laquelle il ne pourra pas échapper.

Eloy de la Iglesia reste un cinéaste méconnu hors des frontières espagnoles, et la reconnaissance concerne essentiellement la dernière partie de sa carrière. Entre 1980 et 1984, à travers des œuvres comme Navajeros (1980), Colegas (1982) et El Pico 1 et 2 (1983, 1984), de la Iglesia deviendra un des maîtres du cinéma « quinqui » scrutant la jeunesse espagnole délinquante et désœuvrée. La mort de Franco en 1975 aura permis une transition démocratique libérant un propos social plus frontal. Avant cela, Eloy de la Iglesia effectua ses premiers pas dans le cinéma de genre et masquant sa provocation au sein de ses codes. Des films comme El techo de cristal (1971), Nadie oyó gritar (1973), Le Bal du vaudou (1973) ou Juego de amor prohibido (1975) naviguent ainsi entre les influences du giallo, le Kubrick d’Orange Mécanique, Buñuel, Hitchcock pour proposer des thrillers subversifs mais parvenant à passer entre les mailles de la censure. Cannibal Man fait donc le pont entre ces deux périodes puisque mariant la provocation explicite des films « quinqui » à venir avec une esthétique associée au genre. 

Cette dualité nourrit Cannibal Man dès la scène d’ouverture. La caméra arpente un panorama urbain où se dessine la différence entre les riches dans les luxueuses tours résidentielles et les pauvres avec une modeste maison au milieu d’un terrain vague où un groupe d’adolescents jouent au foot. Au sein d’une de ses tours, le nanti et oisif Nestor (Eusebio Poncela) espionne les alentours aux jumelles, et plus particulièrement la maison où vit notre héros Marcos (Vicente Parra). Celui-ci est alanguit dans une certaine torpeur dans un intérieur dont les contours (les posters de jeunes femmes dénudées) trahissent une culture et des perspectives limitées. Le réalisateur appuiera ensuite dans les situations et dialogues toute la facette oppressante de cette société espagnole pour Marcos. Le côté patriarcal et moralisateur se ressent par les différentes tirades de jeunes femmes adultes évoquant la crainte de la réaction de leur père à leurs petits amis/fiancés (Paula (Emma Cohen) envers Marcos, plus tard Carmen par rapport à Esteban (Charly Bravo)), ou encore le regard accusateur des quidams face aux flirts publics des couple notamment dans le métro. En plus de cela Marcos est pressé par Paula de souscrire à l’institution du mariage, injonction qui le ramène de façon humiliante à sa modeste condition d’employé d’usine insuffisante et se présenter devant les parents de Paula. C’est en quelque sorte cette somme de frustrations qui mènent au premier meurtre, où jugé et rabaissé par un chauffeur de taxi, Marcos le tue accidentellement.

Dès lors la spirale criminelle est enclenchée. Tous les protagonistes proches de le démasquer, ou cherchant/l’incitant à se dénoncer à la police connaîtront le même sort. Déjà suffisamment écrasé par la vie et son quotidien, Marcos se refuse de manière quasi viscérale à subir l’autoritarisme ultime, celui de l’Etat à travers la police et la perspective de la prison. Symboliquement, tous les meurtres ont lieu dans la maison de Marcos, dans des circonstances où il est acculé et dont l’assassinat constitue la seule échappatoire. Les cadavres s’amoncèlent dans une même pièce de sa maison, concentrant toute la frustration et le ressentiment du personnage tandis que la puanteur envahissante traduit un sentiment de culpabilité croissant. Toutes les victimes de Marcos auront eu le tort de le prendre à parti, de le rabaisser et s’adresser à lui comme un enfant. Au départ Eloy de la Iglesia envisageait un acteur plus jeune et cet élément demeure dans le script bien que Vicente Parra soit un homme mûr, ajoutant encore à la tonalité décalée du film. Si le film se montre particulièrement gore et graphique dans ses scènes de meurtre, Marcos n’est jamais caractérisé comme un être psychotique et savourant ses éclats de violence. Le côté accidentel et oppressé pourrait faire penser à d’autres film de serial killer à l’approche voisine, mais jamais Marcos ne prend réellement goût à ses actes tels le Matt Dillon de The House that Jack Built (Lars Von Trier, 2018) et son environnement reste désespérément morne au contraire de l’approche poisseuse de Maniac de William Lustig (1980). 

Eloy de la Iglesia a reconnu la grande influence de Le Boucher de Claude Chabrol (1970), et comme chez ce dernier l’arrière-plan social constitue l’élément essentiel de l’escalade criminelle, de l’ambiguïté des personnages. La boucle de monotonie prolétaire de Marcos entre son domicile et son job fastidieux à l’usine rejoint celle bourgeoise de Nestor. Les deux hommes se reconnaissent implicitement et se rapprochent, imprégnant le film d’une tension sexuelle gay (renforcée par les traits androgynes de Eusebio Poncela) qui ne se concrétisera jamais directement. C’est une thématique récurrente de de la Iglesia lui-même homosexuel, et qu’il abordera plus explicitement dans ses films « quinqui ». Ironiquement les écarts de violence explicite seront tolérés par la censure qui se montrera en revanche impitoyable envers ce sous-texte gay qu’elle cherchera à gommer le plus possible. 

L’atmosphère trouble demeure néanmoins, la seule intimité, le seul lâcher-prise que s’autorisera Marcos consistant à un moment passé en compagnie de Nestor lors d’une scène de piscine. C’est également le seul face à qui il réfrénera ses pulsions meurtrières et dont le contact l’incitera à se dénoncer à la police. Tout le climat du film mène vers un sentiment de dégoût de soi, d’autodestruction qui forment une spirale inextricable se nourrissant d’elle-même, telle la viande de l’usine nourrie du corps des victimes de Marcos finissant ironiquement dans son assiette lors d’une séquence mémorable. Le seul moment où la pression s’estompe, c’est lors de cette proximité éparse entre Marcos et Nestor mais le film de façon diégétique et extradiégétique empêche cet apaisement d’aller plus loin.

Cannibal Man est une grande réussite dont la tonalité dérangeante et captivante demeure intacte, la filmographie d’Eloy de la Iglesia est un territoire à défricher d’urgence. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Artus

jeudi 19 mai 2022

L'Enterrée vive - The Screaming Woman, Jack Smight (1972)


 Une femme n'ayant plus tout son esprit entend les cris d'une femme enterrée vivante sous sa demeure. Les proches de la femme voient en ses déclarations le parfait moyen de la faire interner.

L’enterrée vive s’inscrit dans le courant des téléfilms produit par Universal durant les années 70, dont la facture ou le casting pouvaient se rapprocher des standards du cinéma. L’exemple le plus connu est bien sûr Duel de Steven Spielberg dont la grande réussite lui vaudra une exploitation salle en Europe. L’enterrée vive a pour lui un certain pédigré en étant l’adaptation d’une nouvelle de Ray Bradbury, un réalisateur solide habitué en allers-retours entre cinéma et télévision avec Jack Smight, et son casting de vieilles gloires hollywoodiennes porté par Olivia de Havilland et dans une moindre mesure Joseph Cotten.

L’histoire est très prévisible et pas dénuée de clichés, mais aurait tout à fait pu fonctionner avec une approche formelle inventive qui transcenderait les codes du genre. Malheureusement l’ensemble trahit sa facture de téléfilm à chaque instant. Le statut de paria paranoïaque et jugée sénile par son entourage de Olivia de Havilland ne se traduit jamais par une mise en scène retranscrivant son sentiment d’isolement. Jack Smight n’exprime jamais formellement le doute sur la santé mentale de l’héroïne, ou à l’inverse ne souligne jamais réellement sa détresse face à une bonne foi auquel personne autour d’elle ne souscrit. De même les séquence introduisant puis montrant la fameuse enterrée vive ne fond monter aucune réelle tension ou imagerie macabre vraiment inquiétante. Tout semble calibré pour un spectacle sans aspérité destiné à une diffusion aux heures de grandes écoutes.

Heureusement un atout vient surmonter toutes ces scories à travers la prestation d’Olivia de Havilland. Elle passe par toutes les émotions allant de la vulnérabilité, l’effroi, le dépit face au voisinage doutant d’elle avec une égale intensité, une humanité qui transparait et maintient l’attention du spectateur. Le sentiment injuste d'infantilisation des interlocuteurs passé un certain âge est très bien amené. Le suspense ne tient qu’à son charisme et la petite satisfaction finale de son expression apporte un réel sursaut final. Elle avait encore l’étoffe pour des prestations majeures à ce stade avancé de sa carrière même si les grands rôles se feront rares. 

Sorti en bluray français chez Elephant Films