Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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dimanche 28 août 2022

Gothic - Ken Russell (1986)


 Le 16 juin 1816 en Suisse, la nuit la plus célèbre de la littérature fantastique moderne. En effet sont réunis dans une luxueuse villa qui surplombe le lac Leman deux illustres poètes, lord Byron et Percy Shelley, leurs compagnes Claire Clairmont et Mary Shelley et le docteur Polidori, médecin de Byron. Le docteur propose un concours d'histoires "gothiques". C'est ainsi que naquirent les deux mythes de la littérature fantastique "Frankenstein" et "The Vampyre". "Gothic" est le récit des étranges évènements qui se déroulèrent cette nuit-là dans la villa Diodati.

Gothic est le film du retour en Angleterre, mais aussi d’un certain retour aux sources pour Ken Russell. L’expérience américaine s’est avérée assez mitigée pour le réalisateur, davantage d’un point de vue commercial qu’artistique. Valentino (1977) son biopic de Rudolph Valentino fut un échec commercial, Au-delà du réel (1980) fut agité par les conflits entre Russell et son prestigieux scénariste Paddy Chayefsky (qui en définitive signera la script sous pseudo en désapprobation) et Les Jours et les nuits de China Blue (1984) malgré la présence de la star Kathleen Turner ne rencontrera pas son public non plus. Les trois films sont des réussites mais leur faillite au box-office ainsi que l’incompréhension des exécutifs de studios et des équipes techniques face à la personnalité fantasque de Russell scella les rêves hollywoodiens de ce dernier. Gothic marque donc le retour au pays à travers un sujet typique de Russell, celui de la création et de la figure de l’artiste au cœur de certains de ses plus grands films comme The Music Lovers (1971), Le Messie sauvage (1972), Mahler (1974) ou Lisztomania (1975), ainsi que ses premiers travaux télévisés au sein de la BBC. 

Le scénario de Stephen Volk prend comme point de départ la légendaire nuit du 16 juin 1816 qui vit le poète Percy Shelley, sa compagne Mary Shelley, Claire Clairmont et le docteur Polidori séjourner à la villa Diodati en Suisse chez Lord Byron. Les évènements de cette nuit aboutiront à la création de deux œuvres majeures de la littérature gothique, Le Vampire de John Polidori et surtout Frankenstein de Mary Shelley. Cette fructueuse et apparemment agitée nuit a toujours nourri un grand fantasme de fiction avant et après le film de Ken Russell. Le classique La Fiancée de Frankenstein de James Whale (1935) prend ce cadre pour prémisse, tout comme Un été en enfer de Ivan Passer (1988) et le récent biopic Mary Shelley de Haifaa al-Mansour (2017) en fait le fil rouge et le climax de son récit. Ken Russell lui-même failli réaliser un film sur le sujet dans les années 70 avec l’acteur Robert Powell mais dû renoncer faute de financement. 

Gothic s’attarde moins sur le processus de création des œuvres à venir que sur le contexte et l’excentricité des artistes en place. Si les dialogues, situations et l’imagerie suggère largement les caractéristiques de Frankenstein et Le Vampire soit inscrits dans l’inconscient collectif, soit repérables par les initiés, il n’est nullement question de dépeindre explicitement l’inspiration future des romans/nouvelles. On retrouve ici la démarche de déconstruction provocatrice au cœur des grands portraits d’artiste de Russell. Lord Byron (Gabriel Byrne) est un narcissique torturé et ténébreux se plaisant à exacerber pour choquer les élans morbides de ses écrits. Percy Shelley (Julian Sands) est quant à lui un toxicomane accro au laudanum, un homme-enfant aux humeurs vacillantes selon le degré de sensation de manque. Autre élément typique de Russell, derrière chaque artiste il y a toujours une femme sacrificielle et prête à un voyage au bout de la nuit pour mettre l’être aimé dans des conditions créatrices idéales. 

Claire (Myriam Cyr) est entièrement soumise aux désirs, fantasmes et maltraitances de Byron, moins muse que jouet dont il finira probablement par se lasser. Mary (Natasha Richardson) nourrit plutôt des instincts maternels et protecteurs envers Shelley écorché vif et vulnérable. Les dialogues d’abord, puis les situations vont laisser deviner le passif et les interactions entre chacun d’eux. Natasha Richardson par sa prestation laisse entrevoir une Mary amoureuse mais néanmoins indépendante, n’existant pas dans une position de pure soumission face à Shelley, au contraire du couple Byron/Claire où cette dernière n’est qu’un pantin soumis à ses caprices. L’atmosphère oppressante ne doit ainsi rien à une supposée présence surnaturelle dans la demeure mais tout aux démons bien intérieurs que tous y ont amenés avec eux. Russell les filme d’abord comme des rocks stars, des adolescents turbulents, imbus d’eux-mêmes et avides d’expériences (opiacées, sexuelles, spiritisme) avant de les exposer comme les enfants névrosés et apeurés qu’ils sont.

Le réalisateur entremêle les poncifs du cinéma gothique (crypte inquiétante, ombres menaçantes, bande-son hurlantes) avec les traumas relatifs au passé des protagonistes, des flashforward sur le futur tragique de certains, mais aussi des éléments fondamentaux des deux œuvres littéraires qui découleront de cette nuit. Le bébé perdu par Percy/Mary, la présence vampirique de Byron qui inspire John Polidori (ainsi que des visions où il dévore Claire), la noyade annoncée de Shelley, tout cela forme un kaléidoscope entre illusion et réalité, vérité et fiction, passé, présent et futur. C’est l’occasion pour Russell de lâcher les chevaux comme il se plaît tant à le faire à travers des vision outrées, baroques et provocantes dans une hystérie de tous les instants. 

C’est d’ailleurs un des problèmes du film. L’amateur de Russell vient pour cet excès typique du réalisateur, mais ce dernier sait toujours le mettre au service d’une émotion. C’est ce qui manque un peu ici où l’interprétation défaillante d’un Julian Sands, Gabriel Byrne trop cliché dans son tempérament carnassier, ne parviennent pas retranscrire cette dimension d’artistes qui malgré leurs travers « mériteraient » la dévotion de Mary et Claire. Seule Natasha Richardson parvient à susciter une relative empathie mais pour le reste c’est un bruit et une fureur qui tourne parfois un peu à vide. Comme un aveu d’échec, la dernière scène révèle par la voix-off tout ce qui était tapageusement suggéré par l’image concernant les personnages, comme si le langage du cinéma n’avait pas suffi à impliquer le spectateur. Il n’en reste pas moins que le film sera un succès commercial qui relancera pour la fin des années 80 du moins la carrière de Ken Russell. 

Prochainement en bluray français chez BQHL

samedi 27 août 2022

Willie Boy - Tell Them Willie Boy Is Here, Abraham Polonsky (1969)

Indien de la tribu Paiute, Willie Boy revient dans sa région natale, en Californie, afin d'y épouser la femme indienne qu'il aime, Lola Boniface. Le père et les frères de celle-ci s'y opposent catégoriquement. En état de légitime défense, Willie Boy tue le père de Lola et s'enfuit avec elle. Le shérif local, Cooper, se lance à leur poursuite puis il y renoncera devant les difficultés et les problèmes posés. Toutefois, après la mort d'un vieil ami de son père, il reprendra cette poursuite jusqu'à son terme.

Willie Boy est seulement la seconde réalisation d’Abraham Polonsky en 20 ans puisque, après de prometteurs débuts avec L’Enfer de la corruption (1948), il fut en tant que communiste placé sur la liste noire et banni d’Hollywood. Il contribua néanmoins officieusement entretemps à plusieurs scripts où il pu insérer ses thématiques progressistes comme Le Coup de l’escalier de Robert Wise (1959) ou Police sur la ville de Don Siegel (1968). Avec Willie Boy il effectue donc son grand retour avec un récit inspiré de faits réels. Le film par sa temporalité (il se déroule en 1909, la conquête de l’Ouest est passée et la modernité s’installe) est une sorte de néo western qui fait de ce statut sa problématique même. 

Les circonstances du récit placent les personnages en porte à faux qu’ils cherchent à s’inscrire dans le supposé nouvel ordre amené par cette modernité, ou qu’ils s’inscrivent dans la tradition. Willie Boy (Robert Blake) est un jeune indien amoureux de Lola (Katharine Ross) mais, qu’il demande sa main à son père selon les préceptes des « blancs » ou qu’il l’enlève selon la tradition indienne, il rencontrera l’opposition de sa famille. Il a également le statut de paria dans cette petite communauté de Californie où dès qu’il sort de la réserve indienne, ses origines lui sont violemment rappelée, l’obligeant à se défendre avec véhémence. Le shérif Cooper (Robert Redford) qui va devoir le traquer est le fils d’un ancien boucher du peuple indien, ce qu’un vieil acolyte ne cesse de lui rappeler avec fierté et nostalgie. Pourtant on ressent chez Cooper une volonté de ne pas mener la traque à son terme, de laisser les amants vivre leur passion. Malheureusement le destin semble vouloir rejouer dans une société différente les clivages d’antan et la chasse à l’homme devra se poursuivre.

Tous les personnages sont dans cette schizophrénie de ce qu’ils devaient ou doivent être. Lola oscille entre une existence où l’éducation blanche pourrait l’émanciper mais aussi éloigner de son homme, mais en le suivant elle s’inscrit dans les préceptes machistes de l’union homme/femme chez les Indiens. L’autre doute réside dans le fait que si elle demeure avec Willie Boy, celui-ci finira par être tué. Abraham Polonsky fait dans l’épure (notamment si on compare avec L’Enfer de la corruption plus démonstratif, ou son script pour Sang et or de Robert Rossen (1947)) pour affirmer son propos. Willie Boy n’est malgré sa toile de fond absolument pas un film politique ou livrant un message pro-indien (les westerns dans cette veine ayant plutôt la main lourde à l’époque comme Soldat bleu (1970) ou Little Big Man (1970)), nous sommes plutôt là dans un constat sociétal logique, implacable et sans issue. 

Robert Blake livre une prestation à la fois taciturne et à fleur de peau, plein d’assurance et écorché vif, prêt à affronter le monde tout en cherchant à s’en affranchir (notamment en évitant longtemps de devoir tuer ceux qui le traquent). Robert Redford est tout aussi captivant, lui aussi déchiré entre ses racines rustres et racistes et le dégoût de ses congénères dans cet état d’esprit. La romance ambiguë avec Liz Arnold (Elizabeth Clarke) symbolise bien ce tourment intérieur. Si le récit va à son terme dramatique attendu, toute la supposée flamboyance de la confrontation tourne court (malgré une haletante confrontation finale dans les rocheuses), tant dans l’héroïsme blanc que la noblesse indienne. Polonsky anticipe finalement la noirceur et le nihilisme de Fureur Apache de Robert Aldrich (1972)La dernière phrase de Redford, lorsqu’il se voit reprocher de ne pas avoir laissé un cadavre en pâture aux journalistes, est sans appel. Tell them we ran out of souvenirs/Dis-leur que nous n’avons plus de souvenirs à vendre. La légende qu’il vaut mieux imprimer cher à L’Homme qui tua Liberty Valance de John Ford (1960) n’a plus sa raison d’être.

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Sidonis

vendredi 26 août 2022

Hong Kong, Hong Kong - Nam yi nui, Clifford Choi (1983)

Une relation amoureuse triangulaire mène à la destruction de trois vies : un macho sino-thaïlandais (Alex Man Chi Leung), un prospère charpentier (Kwan Hoi San), et une migrante (Cherie Chung) qu'ils aiment tous les deux.

Clifford Choi est un réalisateur méconnu de la Nouvelle Vague hongkongaise, mais au parcours similaire de ses contemporains Tsui Hark, Ann Hui ou Patrick Tam avec des études aux États-Unis entre 1968 et 1972 puis un retour à Hong Kong où il sera producteur au sein de la chaîne T.V.B.. Sa contribution au cinéma se fera d'abord par l'écriture avec notamment la participation au script du fameux The Sword de Patrick Tam (1980). Il fait ses débuts de réalisateur au sein de la Shaw Brothers où il se spécialise dans les récits adolescents, révélant ainsi un jeune Leslie Cheung dans Teenage Dreamers (1982). Il va profiter d'un contexte où la Shaw Brothers en perte de vitesse va au début des 80's délaisser son genre de prédilection qu'est le wu xia pian en costume pour des drames plus sérieux et réalistes en faisant appel à de jeunes réalisateurs justement issus de la Nouvelle Vague hongkongaise. C'est dans ce cadre que Ann Hui va signer le mélodrame historique Love in a fallen city (1984) et que Clifford Choi pourra réaliser Hong Kong, Hong Kong.

Le film nous dépeint la péninsule sous un jour sinistre peu vu jusque-là à travers les conséquences tragiques de la migration. La Chine continentale ouvre ses frontières à la fin des années 70, occasionnant la migration massive de chinois venus chercher meilleure fortune à Hong Kong. On suivre le destin de Sin Sun (Cherie Chung) jeune migrante chinoise livrée à elle-même et qui n'a d'autres recours que de donner son corps pour continuer à habiter le misérable baraquement qu'elle partage avec d'autres démunis. Elle va faire la connaissance Yuen Sang (Alex Man), autre migrant sino-thaïlandaise tout autant dans le besoin mais, malgré l'attirance commune leur relation va d'abord en rester là. C'est en quelque sorte comme si leur situation précaire ne les autorisait pas à envisager une romance, il s'agit d'abord de survivre. 

Clifford Choi met en parallèle et fait s'entrecroiser le parcours de Sin Sun et Yuen Sang pour traduire une même idée, le migrant est à la merci de ceux sur lesquels il compte pour s'en sortir. Sin Sun va ainsi devoir consentir à un mariage arrangé avec un vieil ouvrier (Kwan Hoi-San) moyennant finance et la promesse de lui donner un fils, en échange de quoi elle obtiendra des papiers d'identité. Yuen Sang entame quant à lui une carrière improvisée de combattant de free fight en se plaçant sous la dangereuse protection d'un boss mafieux (Charlie Cho plus habitué aux rôles comiques et ici très intimidant et sadique). Sin Sun livre son corps au désir de son époux quand Yuen Sang soumet le sien aux brutalités du ring dans un même espoir de lendemain meilleur. Lorsqu'ils pensent tout deux toucher au but, ils vont se retrouver et entamer enfin une liaison.

Clifford Choi travaille vraiment cette idée de corps assujetti à travers les nombreuses scènes de sexe. Cherie Chung adopte un jeu absent, désincarné où elle s'oublie dès qu'un homme souhaite s'approprier son corps, elle n'est que chair dont doivent se délecter ses différents "maîtres" masculins. Il en va de même pour Alex Man dont le surjeu traduit un état de tension permanente, il n'est lui aussi qu'un corps vigoureux destiné à asséner et recevoir les coups pour le plaisir des spectateurs, pour remplir le portefeuille de son boss. La mise en scène et la prestation des acteurs prend une tout autre tournure lors Sin Sun et Yuen Sang peuvent enfin donner et se délecter du corps de celui qu'ils aiment. De présence passive Cherie Chung (qui prend le risque de tourner nue pour bien traduire cette différence, élément assez rare alors pour une comédienne hongkongaise) devient actrice de ce moment charnel, et au contraire d'amas de muscles agressifs Alex Man se mue en amant doux et attentionné. 

Les rapports avec les "bienfaiteurs" sont bien plus artificiels et matérialistes, par les cadeaux que reçoit Sin Sun de son époux (étonnant et pathétique, Choi ne verse pas dans le manichéisme) et ses cachets donnés par le boss pour Yuen Sang. Clifford Choi marque aussi cette différence par son approche formelle. Les séquences urbaines frisent le documentaire notamment une poursuite caméra à l'épaule en début de film (là aussi même si les exceptions existent c'est très novateur à la Shaw Brothers habituée des tournage en studio), les scènes de combats de boxe oscille entre cette urgence heurtée et la presque abstraction à la Raging Bull (le combat final) tandis que les séquences romantiques prennent un tour stylisé et ouaté à travers la photo de Robert Huke, l'attention des cadrages et composition de plan de Clifford Choi. Ces moments sensuels sont des cocons, des écrins hors du temps et du chaos extérieur pour les personnages qui vont malheureusement être rattrapé par le destin.

La conclusion est d'une rare violence et noirceur, un véritable voyage au bout de la nuit. La boucle que forment les scènes d'ouvertures et de conclusion, des plans aériens sur les bas-fonds hongkongais (la caméra y descend en contre-plongée en ouverture et en remonte à la fin dans un mouvement inverse), font du récit un tranche de vie miséreuse et anonyme de plus, un jeu dont les règles étaient pipées dès le départ

 Sorti en bluray hongkongais chez Celestial et doté de sous-titres anglais