Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
Policier intègre, Serpico lutte contre la corruption généralisée au sein de la police new-yorkaise. Détesté de tous, collègues comme supérieurs, il ne pourra compter que sur lui-même pour mener à bien sa croisade pour la justice.
Au début des années 70, la ville de New York est financièrement au bord du gouffre. Le malaise est tel qu’une grève des éboueurs pour salaires non versés entraînera une insalubrité dangereuse dans les quartiers les plus défavorisés et causera des violences des minorités révoltées par cet abandon. Paradoxalement, la ville sortira de cette impasse en ouvrant ses rues aux studios de cinéma qui des drames comme Macadam Cow-boy au polar tel ce Serpico diffuseront à travers le monde cette imagerie sordide et menaçante. Dans ce contexte où les instances s’avèrent si démunies, être policier n’est pas chose aisée face à une criminalité galopante et les tentations sont grandes. S’il ne la justifie pas, ce cadre délétère explique en tout cas le basculement de certains vers la corruption désormais vue comme une chose naturelle. Quelle place alors pour un flic réellement vertueux et propre ?
C’est la grande question du film de Lumet qui adaptait là le roman de Peter Maas inspiré du réel destin de Frank Serpico ici incarné par Al Pacino. On accompagne ainsi le lent désenchantement d’un jeune flic idéaliste qui va constater à quel point la gangrène de la corruption ronge la police. Dénué de vraie intrigue linéaire, le récit accompagne Serpico à différents moments de sa carrière et de sa désillusion croissante sur son métier, ses collègues et ses dirigeants. Lumet articule cette faillite de la police de manière croissante selon les fonctions qu’occupe Serpico. Encore jeune policier en uniforme idéaliste, Serpico se confronte à des confrères blasés (« ce n’est pas notre secteur » lancé par son coéquipier lors d’un appel pour une tentative de viol) et guère motivé par la défense du citoyen. Après une arrestation courageusement tentée en solitaire, il se voit ainsi voler le crédit de son action par ceux même ayant refusé de l’aider sous prétexte hiérarchique.
Cette marginalisation progressive va bientôt se manifester de manière plus concrète dans la tenue vestimentaire. Alors que même les officiers les plus « borderline » comme l’Inspecteur Harry affiche toujours un impeccable veston de ville (et ainsi repérable des lieues en amont par les criminels), Serpico révolutionne l’image du flic au cinéma avec un Al Pacino à la chevelure hirsute, barbe foisonnante et fripes évoquant plus la communauté hippie de Greenwich Village. La télévision surtout saura s’en souvenir puisque des séries aux héros classiques comme Les Rues de San Francisco vont bientôt laisser place au Robert Blake, roi du déguisement de Barreta ou du duo décontracté de Starsky & Hutch.
Cet aspect très voyant en cache un bien plus problématique. Serpico dans sa droiture morale est un homme souhaitant s’élever l’esprit, se cultiver. Dès lors, face aux conversations terre à terre et à la bêtise crasse des autres flics, on comprend qu’il ne sera jamais l’un des leurs. Le film dresse un constat très pessimiste, Serpico se confrontant au corporatisme en plus haut lieu et voyant l’étau se resserrer sur lui. On passe en effet du repas gratuit offert à une collecte savamment organisée et aux montants de plus en plus élevés selon les quartiers et unités. Le style urbain et sur le vif adopté par Lumet s’alterne ainsi avec des moments plus intimistes où Serpico désespère de sa condition.
Devenue une menace pour ses collègues mais aussi ses dirigeants dont il dénonce l’immobilisme, Serpico est un héros en sursis comme le montrera la boucle que forme l’ouverture et la conclusion d’une noirceur sans appel. Lumet signait là une de ses grandes réussites, bien aidé par la prestation habitée de Pacino. Ce n’est pourtant que le premier édifice d’une entreprise qui révélera toute son ambition avec Le Prince de New York (1981)puis Contre-Enquête (1990) dans ce qui est la grande trilogie policière (auquel on peut ajouter en sortant du polar le méconnu Dans l'ombre de Manhattan) consacrée à la corruption au centre de la filmographie du regretté Sidney Lumet qui nous a quitté récemment.
Marc, richissime aristocrate, réside dans un château luxurieux. A ses côtés, vit notamment son neveu Patrice, haï par toutes celle et ceux qui espèrent hériter de la fortune du châtelain. Un jour, Patrice ramène dans la demeure Nathalie, une belle et jeune orpheline, qu'il pense pousser dans les bras de Marc. Mais les autres résidents, envieux, ne sont pas du tout du même avis. Pensant les empoissonner, ils feront boire à ses derniers un élixir d'amour.
Déjà vedette établie au théâtre, l'ascension de Jean Marais au cinéma se voit freinée par des aléas sur lesquels il n'a pas prise, entre les annulations de plusieurs projets avec Marcel Carné qui devaient le lancer (dont Juliette ou la Clé des songes que Carné réalisera bien plus tard) et surtout pour sa relation avec Jean Cocteau cible favorite de la critique collaborationniste. Qu'à cela ne tienne, Cocteau décide d'écrire lui-même à Jean Marais le grand rôle qu'il mérite. Considérant que les deux plus grands textes à avoir traversés les siècles sont les épopées romantiques de Roméo et Juliette et Tristan et Iseult, il décide de donner sa vision du second et de faire de Jean Marais son Tristan. Le projet alternera à l'écriture entre adaptation classique pour un film d'époque et transposition moderne mais les aléas du budget (n'est pasLes Visiteurs du Soir qui veut) forceront Cocteau à opter définitivement pour une version contemporaine du mythe.
Le difficile Sang du poète réalisé en 1930 avait prouvé que Cocteau n'était pas encore apte à porter la mise en scène d'un projet d'envergure et son choix se portera sur Jean Delannoy qui venait de remporter un grand succès avec Pontcarral et dont le Macao (1942) l'avait fortement impressionné par sa facture visuelle inventive puisque le Macao de studio sera très proche des souvenirs de Cocteau qui s'y était vraiment rendu.
En dépit de quelques difficultés, la collaboration se déroulera sous les meilleures auspices (le trio Delannoy/Marais/Cocteau se retrouvera même bien plus tard pour une adaptation de La Princesse de Clèves en 1961), Cocteau interférant peu sur le tournage et au contraire se familiarisant avec la notion d'écriture et de mise en scène pensée pour le cinéma. Ce sera également l'occasion de côtoyer et d'apprendre auprès de futurs collaborateurs sur ses film à venir comme le décorateur Georges Wakhevitch (qui déploie des trésors d'inventivité ici) qui contribuera à L'Aigle à 2 têtes en 1948).
Fort de cette gestation complexe, L'Éternel Retour est un objet des plus singuliers et un des fleurons du "fantastique poétique" français alors à son apogée. Le cadre moderne donne ainsi une forme déroutante au film qui joue autant de l'origine médiévale du conte dans le ton que d'une touche "réaliste" et très terre à terre dans l'approche de certains aspect. Le romantisme exacerbé et lyrique exprimé lors de tout les échanges entre Patrice/Tristan et Nathalie/Iseult (Madeleine Sologne) est un ode à l'amour courtois du Moyen Age tandis que certaines relectures surprennent tel le géant Morholt qu'affronte Tristan qui devient ici une brute épaisse terrorisant un bar local.
Le très nébuleux titre du film évoque une pensée de Nietzsche sur l'éternel recommencement et l'éternité des choses, que Cocteau applique à la légende de Tristan et Iseult se répétant à l'insu même de ses protagonistes moderne revivant les même tourments. Delannoy traduit cette idée visuellement avec de pures séquences où on semble revenu au cadre originel du conte tel l'arrivée à cheval de Patrice et Nathalie au château, leurs entrevues secrètes nocturnes où la majesté vétuste et factice du décor nous plonge en pleine féérie intemporelle. L'alternance avec des lieux plus contemporains (le garage) et d'autres plus neutre mais à la beauté naturelle fascinante (le chalet en montagne, les vues somptueuses de cette côte maritime au petit matin) achève de faire de L'Éternel Retour une oeuvre hors normes où le naturalisme s'alterne avec l'illusion la plus pure.
Jean Marais et Madeleine Sologne formeront pour toute la jeunesse de l'époque une sorte d'idéal romantique. Cela tient autant à leur look très travaillé (où à nouveau passé et présent, réalisme et féérie se disputent entre la décoloration blonde commune leur donnant une aura angélique mais aussi les fameux pull jacquard de Jean Marais et les robes blanche évanescente de Madeleine Sologne) qu'à l'approche de Cocteau. L'ambiguïté est constante quant aux réels pouvoir du filtre d'amour sur la passion de notre couple. Cocteau joue sur les deux tableaux, la déchirante douleur de la séparation dans la dernière partie pouvant être la cause du filtre mais c'est bien à un amour humain, naturel et sincère que semble croire l'auteur. Nathalie semble troublée par Patrice bien avant l'absorption de la boisson aux vertus magiques lorsqu'elle le soigne et se montrera vexée lorsqu'il tentera de la jeter dans les bras de son oncle.
La scène où ils boivent le filtre est délestée de tout effet tendant à souligner la teneur surnaturelle de leur lien, mais suggère plutôt à la prise de conscience de son existence. Jean Marais aura subtilement retenu l'exaltation de son personnage jusqu'à cet instant la magie pouvant autant être en cause qu'un vrai coup de foudre tandis Madeleine Sologne (parfaite de fragilité) au contraire n'aura rien dissimulé de ses sentiments. C'est cet entre deux qui rend le récit si poignant, rendant le couple victime de forces qui le dépassent et/ou de leur sentiments les plus sincères.
Les partis prix sont si marqués et novateurs que le film a forcément vieilli sur certains aspect mais le charme reste intact, notamment grâce à l'interprétation de premier ordre. La jalousie de Junie Astor en fiancée déçue, la sournoiserie de Yvonne de Bray en tante manipulatrice, la douleur contenue de Jean Murat en oncle bafoué et l'ignominie de l'incroyable nain Pieral (échappé des Visiteurs du Soir) tissent un tableau fascinant autour du couple vedette. C'est eux qui auront fait survivre le drame de ces nouveaux Tristan et Iseult et lorsque les notes de la musique de Georges Auric s'élèvent pour leur ultime voyage, l'émotion n'en est que plus forte avec un plan final significatif s'il en est.
A Paris, Galia sauve Nicole, qui veut se jeter dans la Seine car son mari la néglige. Galia lui conseille de disparaître pendant quelques jours afin d'inquiéter cet homme et accepte de le suivre pour voir ses réactions. Mais elle tombe amoureuse de lui et malgré les avertissements de Nicole, accepte de passer le week-end avec lui.
Galia semble être un film quelque peu oublié dans les fleurons de la collaboration entre Mireille Darc et Georges Lautner et pourtant ce drame troublant est probablement un des plus singulier et réussi. Si Lautner et Mireille Darc avait déjà travaillé ensemble trois fois auparavant (Des Pissenlits par la racine, Les Barbouzes et le génial film à sketchLes Bons Vivants) l'actrice y abordait toujours (et avec brio) le même emploi de jeune séductrice sensuelle et faussement ingénue. Galia marque donc une vraie avancée car elle trouve là son premier très grand rôle dramatique en jetant un voile sombre sur le personnage insouciant qu'elle s'est créé dans les précédents films.
Le film (adapté d'un roman de Vahé Katcha qui coécrit avec Lautner le scénario) nous narre donc l'étrange destin de Galia (Mireille Darc), une jeune fille bien de son temps. En quête d'aventure et de frisson,, elle quitte sa trop étroite province d'Etretat pour la capitale où elle mène une existence trépidante et multiplie les conquêtes masculines d'un soir. Pourtant elle ne peut s'empêcher de ressentir la vacuité et la solitude qu'entraînent ce quotidien faussement exaltant. Lautner orchestre une mise en scène élégante, percutante et très moderne pour accompagner l'état d'esprit de son héroïne en ouverture. Le montage inventif est dans l'esprit psyché pop de l'époque et fait se bousculer les lieux et les visages, la caméra accompagne la silhouette radieuse de Mireille Darc dont la narration détachée en voix off fait parfaitement corps avec les images pour exprimer l'esprit libre de Galia.
Ces fulgurances visuelles (qui annoncent grandement celles plus extravagantes de La Grande Sauterelle) seront plus parcimonieuses par la suite lorsque le drame va s'installer. Celui ci arrive par la rencontre de Galia avec Nicole (Françoise Prévost), une femme qu'elle sauve de la noyade dans la Seine où elle tentait de se suicider. La cause, un mari infidèle, et la malicieuse Galia décide d'aider sa nouvelle amie en côtoyant le goujat afin d'évaluer sa réaction face à la supposée disparition de son épouse. Seulement elle va être prise à son propre jeu en tombant folle amoureuse de lui.
Malgré quelques longueurs dans son dernier tiers, Galia passionne alors de bout en bout en estompant sa légèreté de ton pour un drame lourd et intense, à l'image de la transformation de son héroïne. Si Galia paraissait si pétillante et détachée face aux hommes, c'est qu'elle n'avait jamais réellement aimée. Mireille Darc offre une prestation mémorable avec cette jeune fille qui paradoxalement se découvre femme (l'allure relativement garçonne et androgyne du début laisse place progressivement à une féminité de plus en plus prononcée) au contact du pire homme possible, et se désagrège littéralement au fil du récit, consumée par sa passion.
Lautner crée un décalage constant entre la bonne mesure détachée que cherche à dégager Galia et le réel trouble qui la gagne, la voix off moqueuse contrastant avec son attitude (et inversement) et nous faisant comprendre que le mauvais tour se transforme en vrai romance. Venantino Venantini fait un peu peur le temps d'une première apparition où il incarne tout les clichés du macho séducteur et rouleur de mécanique italien.
On comprendra plus tard que c'était par le prisme du regard de Galia qu'il était représenté ainsi puisque lorsqu'elle lui cède finalement (superbe séquence de weekend à Venise) on devine alors le terrible prédateur qu'il cache. Son personnage est réellement odieux, égoïste et satisfait de lui-même mais se cache si peu de ce qu'il est et impose une telle séduction animale qu'on comprend sans peine le trouble de Galia plus habituée à faire courir les jeunes hommes. Les accords de Bach s'alternant avec l'envoutant et majestueux score de Michel Magne exprime bien cette dualité entre doux romantisme qui s'oublie et douleur cynique du présent.
Plusieurs éléments fascinent tel le jeu de miroir entre Françoise Prévost et Mireille Darc, la première voyant dans les comportements de plus en plus perturbés de la seconde les affres par lesquels elle est passée mais ne pouvant l'empêcher d'y succomber. La complicité en les deux femmes laissent place à la dissimulation, la méfiance et la jalousie et la dernière partie n'est pas loin de basculer dans le thriller passionnel.
Le film prend un tour onirique et cauchemardesque face aux tourments de Galia, comme pour la punir de sa liberté du début (et Galia créa une réelle polémique pour la sexualité sans tabou de son héroïne), tel cette sordide scène où Mireille Darc débarque chez Venantini pour le trouver en pleine orgie enfumée ou plus tard une séquence de rêve oppressante et psychédélique (c'est plastiquement un des Lautner les plus aboutis, notamment le noir et blanc aux nuances subtiles de Maurice Fellous). En dépit d'une dernière partie moins maîtrisée, la conclusion implacable et dramatique est réellement marquante, ramenant Galia à sa solitude mais où la quiétude du début a laissée place à une angoisse sourde.
Le consul du Royaume-Uni à Florence, Sir Duncombe, vient de perdre son épouse. Il demande à Andrea, son fils aîné, de ne rien dire à son jeune frère Milo. Andrea, désespéré par la mort de sa mère, ne parviendra jamais à communiquer avec un père qui le croit insensible.
Comencini entamait avec L’Incompris un cycle de films sur l’enfance et la perte de l’innocence qui allait se poursuivre avecCasanova, un adolescent à Venise (1969) et Les Aventures de Pinocchio (1971). Casanova offrait une vision étonnante du célèbre séducteur en s’attachant à ses jeunes années et montrant comment la décadence de la société vénitienne d’alors (faisant écho à l’Italie du moment) pouvait totalement pervertir une âme pure. Dans la même lignée, Pinocchio conservait l’aspect de fable morale du roman de Collodi dans le parcours initiatique du pantin de bois destiné à devenir un vrai petit garçon.
L’Incompris par sa nature de grand mélodrame s’avère le plus touchant des trois films, explorant une sphère purement intime au-delà d’un quelconque message. L’histoire dépeint le drame d’un enfant condamné à se montrer insensible face à la douloureuse perte de sa mère. Le jeune Andréa doit en effet à la demande de son père cacher à son petit frère la disparition de leur mère afin de ne pas le troubler. C’est là une terrible erreur du père qui suppose que son aîné est le plus solide de ses fils. Toute son attention sera donc monopolisée par son turbulent cadet Milo tandis que Andréa part lentement à la dérive. Le récit nous promène dans une atmosphère de spleen constant accompagnant la solitude et la tristesse d'Andréa. Solitude face à un père plus attentif à Milo, cadet exubérant mais protégé par un jeune âge dont l’insouciance permet de tout surmonter. Tristesse face à la terrible absence maternelle qui ne sera plus jamais comblée. Le jeune Stefano Colagrande (que l’on n’a plus revu dans d’autres rôles ensuite) est poignant dans la contradiction d’indifférence que semble exprimer son visage et le désarroi de son regard.
Une des grandes forces du film est la subtilité extrême apportée pour exprimer cette gamme de sentiments complexes. La musique sobre de Fiorenzo Carpi accompagne les pérégrinations des enfants dans la maison, les états d’âmes dans une neutralité dangereuse par une mélancolie diffuse. Hormis une conclusion bouleversante, le scénario (adapté d’un roman de Florence Montgomery) évite tout rebondissement ou situation trop manifeste qui déséquilibrerait la sobriété du film.
Dans cette maison où la tristesse doit être étouffée ou cachée (le père écoutant les bandes de sa femme en cachette), le malaise ne se ressentira que par les regards à la dérobée, les non-dits et l’incompréhension mutuelle. Personne n’est coupable, chacun pense bien faire et accentue le fossé avec l’autre. Il faudra un terrible événement en conclusion pour que le lien se rétablisse avant d’être perdu à tout jamais. Comencini bouleverse définitivement dans ce final (porté par une interprétation intense et sobre d'Anthony Quayle), où son héros renoue avec son père tout en s’apprêtant à rejoindre celle qui lui a tant manqué.
Le film recevra un accueil glacial à Cannes en 1966, sa sphère profondément intime et son classicisme ne s'accordant pas avec le tout politique et la forme moderne du moment. C'est lors de sa ressortie en 1978 que le film est réévalué et considéré comme un des plus beaux mélodrames réalisés. Justice était rendu pour le plus touchant des Comencini.
Sorti en dvd zone 2 chez Carlotta
Extrait qui en quelques minutes met la larme à l'oeil avec un rien...
Au siècle dernier en Angleterre, à la suite du décès de leur père, les sœurs Dashwood et leur mère sont contraintes de réduire drastiquement leur train de vie et de quitter leur propriété pour s'exiler à la campagne. L'aînée, Elinor, renonce à un amour qui semble pourtant partagé, tandis que sa cadette, Marianne, s'amourache du séduisant Willoughby. Si la première cache ses peines de cœur, la seconde vit bruyamment son bonheur. Jusqu'au jour où Willoughby disparaît.
Atteint de fièvre Austenienne aiguë ces dernières semaines (troisième livre entamé d’affilé c’est parti pour une intégrale pour l’été) il était donc temps de se pencher sur les adaptations. Le film d’Ang Lee est assurément une des plus réussies et fut largement saluée par la critique en son temps. Raison et Sentiments est le premier roman tardif de Jane Austen paru en 1811 dont le succès d’estime ouvrira la voie à d’autres bien plus important, en faisant un des auteurs les plus populaire de l’époque même si la vraie grande reconnaissance et analyse littéraire se fera après sa mort. Le livre est en quelque sorte une révision d’un texte de jeunesse intitulé Elinor and Marianne qu’après un long silence créatif Jane Austen se décide à reprendre pour entamer la carrière que l’on sait.
L’histoire dépeint les amours contrariées de deux sœurs, Elinor et Marianne dont les caractères diamétralement opposés (fougueux et passionné pour l’une, calme et mesuré pour l’autre) vont amener à réagir bien différemment face à cette haute société anglaise cruelle et frivole où tout rapport repose sur la notion de classe. Les deux héroïnes étant sans fortune, elles vont aller au-devant de bien des déconvenues. Romantisme, mélange de retenue et d’emphase et féroce satire bourrée d’humour, Raisons et Sentiments constituait de brillant début pour l’auteur. Néanmoins on est en droit d’y trouver quelque légers défauts totalement corrigés dès le merveilleux Orgueil et Préjugés à suivre. Austen reste ainsi trop évasive dans certains lien primordiaux entre personnage (on reste très distant des relations entre Marianne et le Colonel Brandon et le mariage entre eux en conclusion n’est guère touchant) et à l’inverse surligne parfois trop par le dialogue le caractère pourtant bien établi des deux sœurs (on ne compte plus les crises de Marianne et une Elinor mesurée jusqu’à l’excès parfois.
L’excellent scénario d’Emma Thomson atténue largement ces petits soucis. Tout ce qui n’était que de l’ordre descriptif dans le livre se voit ici approfondi sous la caméra d’Ang Lee. Le lien affectif se tissant entre Edward Ferrars (Hugh Grant) et Elinor (Emma Thomson) est ainsi longuement développé en début de film, le cadre rural apaisant où évoluent les deux personnages accompagnant bien la nature douce de leurs caractères. Emma Thomson tout en élégance et sensibilité retenue est parfaite et Hugh Grant gauche et effacé rend plus attachant encore Ferrars que dans le livre. Il en va de même pour Marianne dont l’emphase a été un peu atténuée et Kate Winslet (qui y gagnera le surnom de « Corset Kate » tant elle collectionnait les films en costumes à l’époque) lui prête la fièvre amoureuse attendue sans pour autant la rendre égoïste.
La romance exaltée (magnifique séquence de sauvetage sous la pluie) et tragique avec le fourbe Willoughby est ainsi idéalement menée dans son charme trop appuyé en laissant deviner l’issue comme dans le cruel cynisme intéressé qui l’achèvera. Le script ajoute foultitude de petite scénettes pour montrer l’interaction entre Marianne et son prétendant malheureux le Colonel Brandon qui rend ainsi leur rapprochement plus touchant, notamment grâce un Alan Rickman résigné qui bouleverse souvent lors des divers camouflets qu’il subit.
A quelques broutilles près (les personnages les moins actifs disparaissent comme la deuxième sœur Steel ou la fade Mrs Jennings) et coupes nécessaires le film est donc très fidèle. Ang Lee adopte une esthétique feutrée et ne tombe pas dans une flamboyance inappropriée même si de jolis moment se dégagent comme cette très belle scène de bal ou la première rencontre entre Marianne et Willoughby.
La mise en scène du réalisateur est réellement au service des personnages et tente souvent de cerner l’émotion dissimulée au détour d’un regard à la dérobée, d’un geste inapproprié, données enssentielles dans cette société où le paraître et la dissimulation sont si importants. C’est particulièrement vrai pour Elinor, forcée de donner bonne mesure face aux tourments qu’elle subit et Emma Thomson est aussi brillante dans la contenance (la scène où apprend que Ferrars est fiancé et cette détresse fugitive dans le regard) que quand l’émotion la déborde enfin lors de l’ultime entrevue heureuse avec Ferrars.
L’alchimie fraternelle est réellement palpable avec Kate Winslet et on saluera à nouveau les légers ajouts qui rendent le drame plus fort tel Marianne brisée observant sous la pluie la demeure de Willoughby mais aussi le dernier regard de ce dernier à la fin qui exprime ce qu’un très long dialogue nécessitait dans le livre, son regret. La très belle musique de Patrick Doyle joue également un grand rôle dans sa manière de guider subtilement les émotions tout au long du film.
Il n’y a bien que l’aspect caustique qu’Ang Lee ne parvient pas à rendre aussi fort malgré quelques moments amusant (la révélation de Miss Steel à la sœur de Ferrars quant à leur lien est un grand moment). Le goujat vaniteux Robert Ferrars est assez raté notamment et il manque réellement quelques joutes verbales et phrases assassines qui aurait ajouté du piquant. Une très belle transposition donc et un des meilleurs films de Ang Lee, qui ravira les amateurs de Jane Austen et qui à coup sûr donnera envie aux autres de s’attaquer à ses ouvrages.
Paulo les Diams, son ami Walter, Jack de Londres et un Munichois pratiquent allègrement le trafic d'or. Un jour une bande rivale, celle de Mario, les attaque. Les correspondants de Londres et de Munich disparaissent. Paulo est sauvé par un faux journaliste mais vrai policier américain, qui se trouve promu garde du corps du gangster.
Sans égaler les polars à succès de Gabin des 60's comme Le Clan des Siciliens, Le Pacha ou Mélodie en sous-sol, ce plus oublié film de Denys De La Patellière s'avère fort bien mené. Comme souvent avec les réussites policière françaises de l'époque, l'histoire est adaptée d'un roman d'Auguste Le Breton (des petites choses comme Du rififi chez les hommes, Razzia sur la chnouf, Le Clan des Siciliens) et la trame habilement construite constitue vraiment le point fort du film.
La longue introduction nous présente donc les forces en présences de ce qui sera un film de gangster pur et dur. D'un côté "Paulo les Diams" (Jean Gabin) et son associé Walter l'antiquaire (Gert Froebe) menant un lucratif trafic d'or entre la France, l'Angleterre et le Japon (ce qui nous vaut courte mais élégante séquence japonaise à Tokyo). De l'autre un mystérieux ennemi tentant de décimer leur business et qui s'avéra être la mafia et au milieu de tout cela navigue la police avec un flic américain infiltré qui va réussir à faire partie de la garde rapprochée de Gabin.
Les indices se révèlent donc progressivement lors d'assassinat inattendus par l'organisation rivale tandis que parallèlement sont développés les différents personnages de chaque camp. Gabin fait son numéro habituel de dur à cuir gouailleur et impose son charisme coutumier sans forcer(très bon Marc Bozzuffi également dans un rôle ingrat d'homme de main), le personnage plus tragique de Gert Froebe est le plus intéressant dans la mélancolie qu'il fait passer puisque son épouse (la belle Nadja Tiller) est une ancienne amante de Gabin dont il sait qu'elle ne l'a pas oublié. Il est d'ailleurs dommage que le film ne développe pas plus sa facette (le livre doit sans douté être plus détaillé là dessus) le film y aurait gagné en force dramatique. Le falot Claudio Brook incarne lui le policier infiltré tandis que chez les méchants c'est un festival de trognes entre un tout jeune Claude Brasseur en homme de main et même George Raft en personne en ponte de la Mafia. Mireille Darc fait également une apparition remarquée en jeune entraîneuse écervelée.
Si la mise en place est parfaite, le film peine un peu par la suite à imposer un rythme percutant l'intrigue tourne un peu en rond par instants avec la laborieuse enquête de Claudio Brooke (et les apartés presque comique avec le Commissaire l'encadrant joué par Daniel Ceccaldi) qui peine à intéresser quand on attend surtout le règlement de compte entre Gabin et ses adversaires. On se raccroche donc au charisme des principaux interprètes et aux dialogues percutant qui sans être aussi fleuri que du Audiard font leur petit effet et quelques écarts de violence étonnant. Bien qu'un peu abrupt, le final vengeur est cependant très réussi et achève de rendre cette production tout à fait recommandable.
Sorti en dvd zone 2 français chez Studio Canal dans la collection Gabin.
1917 – A l'heure où l'Italie s'engage aux côtés de la France dans le conflit mondial, deux soldats sortent du rang pour pratiquer la guerre buissonnière. Toujours en première ligne lorsqu'il s'agit de déserter le champ de bataille, Oreste Jacovacci (Alberto Sordi) et Giovanni Busacca (Vittorio Gassman) se distinguent dans l'art d'éviter les ennuis et de collectionner les aventures...
Après l’avoir progressivement initiée depuis le début des années cinquante dans ses réalisations pour le comique Toto, Mario Monicelli fur véritablement le fer de lance de la comédie italienne grinçante en 1958 avec Le Pigeon. Contexte réaliste, humour noir, personnages extravagants, tous les éléments qui ferontde la comédie le genre roi de l’âge d’or du cinéma italien pendant plus de vingt ans, se retrouvent d’emblée dans ce coup de maître. A peine un an plus tard, Monicelli confirmait avec La Grande Guerre, tout aussi brillant et plus ambitieux encore.
Tout au long de La Grande Guerre, à travers les pérégrinations comique et tragique de ses deux héros, un autre film vient constamment à l’esprit, Le Bon, la Brute et le Truand de Sergio Leone. En effet, derrière les deux œuvres se cachent les mêmes auteurs : le légendaire duo Age & Scarpelli, grands auteurs de la comédie italienne et le nom moins fameux Luciano Vincenzoni, grand scénariste italien et collaborateur fidèle de Leone. On retrouve ainsi dans les deux films (surtout pour les séquences guerrières chez Leone) ce croisement de réalisme noir et oppressant nous plongeant dans l’enfer de la guerre et d’humour désopilant. Si Eastwood apportait un détachement tout américain et Eli Wallach toute la touche outrancière latine, Monicelli quant à lui fait appel aux deux acteurs parmi les plus cabots du cinéma italien, Vittorio Gassman et Alberto Sordi.
Surtout, les deux interprètes se sont spécialisés dans les rôles d’italiens fanfarons, lâches et idiots. C’est eux qui créent le décalage permanent entre farce pure et vrai film de guerre. On rit ainsi beaucoup au début du film notamment la première rencontre entre les héros où Sordi embobine Gassman en se faisant payer pour l'exempter de combat, alors que ce n'est pas en son pouvoir, et leurs retrouvailles musclées un peu plus tard suite à cette trahison. Nos deux couards ne sont que le reflet de la description qui nous est faite de l’armée italienne : aucune fibre patriotique, des soldats cherchant à en faire le moins possible (toutes les tâches permettant de quitter momentanément le front sont bonnes à prendre) et ceux motivés à prendre des risques se font rétribuer par les malchanceux désignés d’office pour les remplacer sur les missions dangereuses.
D’ailleurs, si Gassman et Sordi apparaissent comme deux électrons libres, les personnages secondaires sont imprégnés de cette tonalité néoréaliste encore très présente dans la comédie italienne. On pense au soldat Bordin joué par Folco Lulli, père de famille nombreuse prenant tous les risques pour envoyer un maigre complément financier aux siens. On trouve également la prostituée incarnée par Silvana Mangano (femme du producteur Dino De Laurentis) qui dans un premier temps donne dans l'excès de l’Italienne forte de caractère, notamment une hilarante scène où tout un régiment en rut se presse sous sa fenêtre pour ses faveurs. Ces deux personnages servent donc à humaniser Gassman et Sordi en ne les réduisant pas au seul ridicule comique. La relation entre Vittorio Gassman et elle s’avère ainsi très touchante, les aspects humoristiques (la séduction ridicule de Gassman, le vol de portefeuille par Mangano) rapprochant peu à peu leur solitude, notamment lorsqu’ils découvriront tout deux qu’ils sont nés de père inconnu.
Plus le récit avance, plus le ton se fait sombre et dramatique, chacun des retours des deux tire-au-flanc s'avérant de plus en plus culpabilisant quand il n’était que drôle jusqu’ici. Dino De Laurentis a accordé des moyens colossaux à cette production et Monicelli déploie nombre de séquences impressionnantes, à la violence saisissante, comme ce fulgurant assaut de tranchées qui ouvre le film. Les injustices pathétiques sont également légion : un messager se fait tuer à cause de l'intransigeance d'un gradé, l'obligeant à traverser un champ de tirs pour délivrer l'ordre autorisant les soldats à boire de l'alcool et manger du chocolat pour Noël...
Finalement, sous le comique apparent, La Grande Guerre est sans aucun doute le grand film européen sur la Première Guerre Mondiale où l'on devine l’écho à une débandade militaire italienne plus récente et nettement moins glorieuse. Le final sec et brutal où nos héros paieront cher leur ultime couardise appuie cette idée de façon magistrale, puisque paradoxalement la frontière avec l’héroïsme est fort ténue dans leur destinée. Ni pires, ni meilleurs, juste des hommes cherchant à survivre au milieu du chaos.
Sorti en dvd zone 2 français chez Seven 7 et évitez l'édition René Chateau qui comme souvent ne comporte que la vf.
La Nouvelle-Orléans dans les années 1930, peu après la Grande Dépression. Chaney, un boxeur occasionnel, assiste à un combat clandestin à mains nues et propose une association au manager Speed. Chaney se révélant très doué, des combats de plus en plus "cotés" lui sont organisés...
Le temps d'un brillant début de carrière (les franches réussites furent moins manifestes passé l'excellent 48h hormis sans doute Extrême Préjudice) Walter Hill fut considéré comme le digne descendants des franc tireurs les plus talentueux de l'âge d'or Hollywoodien, de Robert Aldrich à Samuel Fuller en passant par le plus contemporain Sam Peckinpah pour lequel il écrivit le scénario de Guet-apens. Ces comparaison flatteuse viennent de l'approche de Hill, aux antipodes des canons esthétiques expérimentaux et stylisés du moment. Le récit est construit de manière à aller d'un point A à un point B de façon linéaire et sans digression ni fioritures narratives, les émotions naissent de la mise en scène simple et épurée ainsi que d'une caractérisation des personnages laissant toujours une certaine place au mystère quant à leur nature qui se dévoile plus par leurs actes que par leur paroles. Toutes ces qualités étincèlent dans Hard Time, premier film de Hill et ceux à venir.
L'histoire est donc ici des plus simple. Chaney (Charles Bronson) décide de s'associer au manager roublard et gouailleur Speed (James Coburn) sur le marché florissant en ces années de crise de la boxe clandestine. On assiste ainsi aux haut et bas de l'entreprise, de son lancement à sa conclusion, la tournure des évènements nous permettant de cerner progressivement les personnages. Charles Bronson est l'acteur idéal pour un réalisateur tel que Walter Hill.
Peu disert, en apparence uniquement motivé par le gain et évitant toute forme d'engagement trop profond, son Chaney est également un être à la droiture imperturbable et jaugeant autrui en un regard (voir la scène où il refuse sans ménagement l'offre de Gandil). Bronson prolonge en quelque sorte la figure de son légendaire Harmonica d'Il était une fois dans l'Ouest, mais sans le motif de la vengeance et le voile de mystère qui le rendait si fascinant. Ici il semble être un simple produit de la Grande Dépression souhaitant juste survivre tranquillement du gain de ses combats, faisant un pas en arrière lorsque la possibilité d'une relation sentimentale plus poussée se profile.
Comme souvent avec Charles Bronson, sous cet air taciturne se distille une profonde lassitude et mélancolie dans le geste et le regard qui permet de tout imaginer quand aux raisons de cette attitude et valant toutes les lignes de dialogues superflues. La facette plus chaleureuse est donc dégée par un excellent James Coburn, parfait en manager flambeur et risque tout. C'est par lui et ses problèmes financiers se développent finalement la facette dramatique d'une histoire aux enjeux réduits au strict nécessaire.
Ce ton tout en retenue fonctionne également pour les différents combats émaillant le film. La simplicité de Hill y fait merveille, la caméra est au plus près des combattants, le découpage sert au mieux les mouvements et les différents coup portés (très bon montage de Roger Spottiswood) et quelques plans en plongée sur l'arène permettent de définir l'évolution des personnage dans le cadre de l'action.
Bronson sec et affuté n'est que vélocité et précision enchaînant les esquives inattendues et les coup dévastateur (ce premier combat où il allonge un adversaire d'un coup de poing) mais Hill n'en fait pas un être indestructible pour autant et c'est bien son intelligence et sa tactique (le combat le plus dur en conclusion sera celui dont il n'a pu observer son adversaire au préalable) qui lui permettent de décimer des adversaires plus jeunes et imposants.
Aucune musique où dramatisation exacerbée ne vient troubler les affrontements, l'émotion naît au rythme des halètements, des impacts de coup reçu et donné et des visages éprouvés des combattants. Cette absence d'artifice fait vraiment merveille notamment dans la tension extrême du dernier combat plus incertain. La belle conclusion est à l'image de la sobriété traversant tout le film, d'un sentimentalité diffuse mais bien présente et auréolant son héros d'une même opacité indéchiffrable. Belle entrée en matière pour Hill qui poussera ses principes à la quasi abstraction dans son second et meilleur film, l'excellentissimeThe Driver.