Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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lundi 26 décembre 2016

American Pastoral - Ewan McGregor (2016)

L’Amérique des années 60. Autrefois champion de sport de son lycée, Seymour Levov, dit « le Suédois », est devenu un riche homme d’affaires marié à Dawn, ancienne reine de beauté. Mais les bouleversements sociopolitiques de l’époque font bientôt irruption dans la vie bourgeoise, en apparence idyllique, de Seymour. Lorsque sa fille adorée, Merry, disparaît après avoir été accusée d’acte terroriste, il part à sa recherche pour que sa famille soit de nouveau unie. Profondément ébranlé par ce qu’il découvre, il doit affronter le chaos qui secoue la société américaine et jette les bases d’un nouveau monde. La vie de famille ne sera plus jamais la même…

Des jeunes gens se réfugiant dans un activisme/ idéologie extrême nourrissant autant leur mal-être que le rejet de la société de leurs parents… C’est un schéma qui alimente une triste actualité récente mais qui n’est finalement pas nouveau, des chiens fous des Brigades Rouges dans l’Italie des Années de Plomb à la Bande à Baader allemande durant la même période. Ce contraste n’aura jamais été aussi fort qu’entre l’Amérique idéalisée des années 50 et celle des soubresauts politique de la décennie suivante, l’assassinat de JFK marquant la fin du rêve. American Pastoral est l‘adaptation du roman éponyme de Philip Roth et constitue dans son œuvre le premier volet d’une trilogie où il s’interroge sur l’identité américaine avec J'ai épousé un communiste puis La Tache. C’était sans doute un projet trop ambitieux pour un premier film et Ewan McGregor en tire une transposition manquant singulièrement de nuances.

Le récit oppose l’adhésion et la profonde idéalisation au Rêve Américain entre l’homme d’affaire Seymour Levov (Ewan McGregor) et sa fille Merry (Dakota Fanning) basculant dans l’activisme politique violent. La relation père/fille à l’amour inconditionnel faite d’incompréhension est ce qu’il y a de plus réussit et touchant dans le film, porté par l’interprétation sensible de McGregor et celle tour à tour fébrile et hébétée de Dakota Fanning. C’est plutôt dans la description du contexte socio-politique de leur rupture que le film échoue. Ce sera d’abord dans l’aspect fidèle mais finalement pauvrement illustratif de cette bascule des époques. Les flashbacks du roman entouraient « le suédois » d’une aura quasi mythique, en faisant une icône idéalisée pour tous les jeunes fils d’émigrants juifs se rêvant tous un avenir aussi doré que ce modèle à suivre. McGregor est la fois trop fidèle et pas assez audacieux pour retranscrire cette idée. 

Toutes ces évocations du passé ne trouve pas d’imagerie suffisamment puissante et/ou nostalgique pour se résumer à la vision d’une photo ou un simple dialogue en voix-off. Il en va de même pour voir la manifestation du rêve américain dans l’existence de Levov, marié à une ancienne reine de beauté (Jennifer Connelly) et vivant dans un cadre fermier bourgeois somptueux. L’esthétique tapageuse à la Norman Rockwell attendue pour contraster avec la noirceur à venir s’avère donc assez quelconque. La jeune Merry, en confrontant ses propres limites (à travers son bégaiements) à ses modèles écrasant de perfection découvre et se passionne aussi aux maux d’un monde loin du paradis qui l’entoure : Guerre du Vietnam, Mouvement des droits civiques des noirs-américains… Mais son propre déséquilibre et mal-être l’amène à exprimer tragiquement ses engagements, jusqu’au point de non-retour du terrorisme.

L’environnement agité des 60’s souffre de cette même illustration sans relief où l’on ne sent jamais la force de ce monde changeant malgré la reconstitution impeccable. La fidélité littérale à Philip Roth dessert également le film en ajoutant les scènes au présent de la réunion au lycée qui ne se justifiait qu’à l’écrit avec la présence de son personnage récurrent Nathan Zuckerman. Le film dénué de cette continuité littéraire tacite rend toutes les parties du présent lourdement explicatives et empêche une construction qui aurait gagnée à s’émanciper pour paradoxalement mieux servir le propos de Philip Roth. Heureusement Ewan McGregor retrouve une vraie force mélodramatique dès qu'il donne dans l’intimisme et plus précisément la direction d’acteur. 

Le réel et justifié engagement politique masque ainsi la haine aveugle de l’idéal bourgeois que représente le Suédois (les confrontations éprouvantes avec l’activiste hargneuse jouée Valorie Curry) où son rejet par pur fragilité psychique (l’ultime entrevue avec Merry où on comprend que n’importe quel dogme aurait pu la faire vaciller). Et dans tout cela le drame qui consumera un père aimant, incrédule et impuissant en voyant sa fille sombrer. Malheureusement, même cet élément vraiment réussi du film sera un peu édulcoré par une conclusion qui contredit le désespoir plus total du livre. Un premier film pas inintéressant mais qui confirme les difficultés à adapter Philip Roth – se souvenir du maladroit La Couleur du mensonge (2003) de Robert Benton adaptant La Tâche.

En salle 

dimanche 25 décembre 2016

Interstellar - Christopher Nolan (2014)

La planète Terre se meurt par trop de pollution et de gaspillage des ressources naturelles. Cooper est un ancien de la Nasa. Veuf et soucieux de l'environnement, il essaie de mener une vie normale auprès de ses enfants à la campagne. Pendant ce temps, les autorités ont découvert un tunnel cosmique qui permettrait de trouver une nouvelle planète, susceptible d'accueillir les humains. Cooper doit laisser sa famille et prendre les commandes d'une navette. Dans ce voyage périlleux en dehors de la galaxie, il est accompagné par deux autres explorateurs, Brand et Doyle.

La cultissime fin ouverte d’Inception (2010) et sa toupie à la rotation incertaine avait ouvert la brèche. Christopher Nolan, maître des architectures narratives complexes, ne s’aventurant dans les mondes de l’imaginaire que pour mieux les rationaliser – l’artifice expliqué du final de Le Prestige (2006), Batman et son arsenal militaire dans la trilogie Batman Begins (2005), The Dark Knight (2008) et The Dark Knight Rises et même les rêves ramenés à une manipulation à la Mission : Impossible dans Inception – esquivait l’enchâssement géométrique parfait qui le caractérise pour laisser place à l’incertitude, et donc à l’émotion. S’abandonner à cette émotion était jusque-là synonyme de dérèglement mental chez Nolan, que ce soit la vengeance éternelle du héros de Memento (2000), Marion Cotillard ne distinguant plus la réalité dans Inception ainsi que les agents/victimes du chaos de The Dark Knight avec le Joker et Double-Face.

L’émotion à fleur de peau et la rigueur scientifique se croisent ainsi dans l’épopée SF d’Interstellar pour un Christopher Nolan enfin prêt à se mettre à nu. Au départ destiné à Steven Spielberg, le script du projet est confié à Jonathan Nolan qui en échange quelques idées avec son frère Christopher dont il ressent le vif intérêt pour le sujet. Lorsque Spielberg se désiste Christopher Nolan saute sur l’occasion, unissant la Paramount et Warner à la production en réécrivant entièrement le script avec Jonathan. Contre toute attente, la première mouture avec Spielberg était plus sombre et spectaculaire tandis que l’habituellement cérébral Nolan va y intégrer cette candeur et suspension dont le réalisateur d’E.T. n’est plus totalement capable aujourd’hui. 

Dans un Terre tarie de ses ressources et plongée dans une poussière permanente, le rêve a laissé place à la seule survie, le génie au sens pratique, le visionnaire au quotidien terne au point de renier les exploits scientifiques passés – les livres scolaires faisant des missions Apollo une supercherie. Ce constat, Cooper (Matthew McConaughey), ancien de la NASA, n’a jamais pu l’accepter et seule sa fille Murphy (Mackenzie Foy) semble partager sa curiosité. Des mystérieux signaux vont pourtant guider Cooper et Murphy vers une mission secrète de la NASA visant à explorer de nouveaux mondes possibles pour l’humanité avant l’extinction de la Terre. La séparation est déchirante et inéluctable mais Cooper promet à sa fille de revenir de son voyage, quoiqu’il en coûte.

Christopher Nolan part d’une base scientifique méticuleuse pour dépeindre son épopée, ne cédant pas au futurisme facile tant dans sa vision de la Terre agonisante (ramenant l’homme au fermier ordinaire que dans celles des engins spatiaux demeurant dans l’esthétique contemporaine associée aux dernières avancées de la NASA. La mise scène s’inspire grandement du classique L'Étoffe des héros (1983) de Philip Kaufman, où le spectaculaire ne se départit jamais de cette approches réaliste. Hormis quelques plans d’ensemble où l’on n’aura pas ressenti un tel vertige de l’immensité spatiale depuis le 2001 (1968) de Stanley Kubrick, le réalisateur s’accroche au point de vue humain durant les scènes d’explorations et les différents morceaux de bravoure, la caméra littéralement agrippée à la carlingue du vaisseau. 

Ce choix se concrétise avec un usage minimum des effets numériques qui ne servent qu’à amplifier une logistique essentiellement « en dur », y compris le vertigineux final. Les principes du trou noir permettant de passer dans l’autre galaxie où se trouvent les potentielles planètes hôte partent également des travaux du physicien Kip Thorne. La forme, les préceptes et les effets de ce trou noir sont ainsi un habile mélange de connaissance et de suppositions scientifiques que Christopher Nolan plie à la dramaturgie de son récit, plus spécifiquement la notion tangente du temps. Tout comme dans Inception la nature ordinaire des rêves visités n’en rendait que plus stupéfiantes les irruptions folles du subconscient, Nolan dans sa vulgarisation scientifique nous emmène vers un extraordinaire qui n’en sera que plus tétanisant.

Dès les premières scènes, ce questionnement entre sentiments humain et rigueur scientifique s’entrecroisent et s’opposent. C’est une gravité altérée qui fera office de signal et de guide vers la mission pour Cooper et Murphy, car comme le soulignera un dialogue seule cette gravité peut s’affranchir de temps et d’espace. Pourtant lors du moment fatidique de choisir entre la visite de deux planètes, Amelia Brand (Anne Hathaway) privilégie l’une d’entre elles car s’y trouve l’homme dont elle est amoureuse. L’autre notion capable également de s’échapper aux notions de mesures classiques est bien plus irrationnelle, c’est l’amour. Nos voyageurs stellaires ne s’accorderont jamais tout à fait au même moment dans ce qui les anime.

Cooper n’a que le retour et revoir sa famille en tête lorsqu’ils seront piégés sur une dangereuse planète à la marée éternelle quand Amelia privilégie la mission quitte à les mettre en danger. A l’inverse la froide logique et la rancœur de Cooper détermine la visite d’une planète glacière inhospitalière alors que Brand était appelée par ses sentiments. Aux antipodes l’un de l’autre, deux protagoniste symbolisent cette dichotomie. En privilégiant la survie de l’espèce plus que tout, le professeur Brand (Michael Caine) condamne arbitrairement la Terre quant à l’inverse, le Docteur Mann (Matt Damon dans un rôle jumeau de Seul sur Mars (2015)) confronté à l’immense solitude stellaire cause tout autant la perte de l’Homme par pur égoïsme.

D’un bout à l’autre de la galaxie se joue pourtant une réconciliation sur lequel repose le salut de l’humanité. La rancœur et le sentiment d’abandon de Murphy (Jessica Chastain) se conjugue à la culpabilité de Cooper, le voyage stellaire patine et les décennies s’écoule sur Terre où la fillette devient femme. Christopher Nolan bouleverse en faisant mesurer l’écart de distance et temps par écran interposé, la réponse ou son absence brisant le cœur des personnages. La Terre ne peut être sauvée qu’en renouant le dialogue entre le père et la fille, et cela passe par cette fameuse harmonie entre le cœur et la science. C’est finalement aussi le cheminement de Nolan le cartésien, le maître du labyrinthe, vers le mélodrame réclamant un abandon et une mécanique moins huilée au service de l’émotion. 

La résolution a beau enchâsser parfaitement les mécanismes de l’intrigue, elle repose sur principe si aventureux et abstrait que seule la force de cet amour filial permet de l’accepter, de le comprendre et en fait de le souhaiter. Nolan pousse à leur paroxysme ses tentatives de montage alterné du Prestige, The Dark Night et surtout Inception aux temporalités et niveaux de réalité différents dans Interstellar, plus seulement au service d'une virtuosité narrative ou de suspense mais pour un climax émotionnel puissant. L’hypothétique bienfaiteur céleste guidant les évènements n’est rien d’autre que cette force de l’âme humaine capable de plier le temps et l’espace. Le score fabuleux de Hans Zimmer capture à la fois l’ambition et l’intimisme du sujet par sa grandiloquence (les envolées d’orgues sur les scènes spatiales décuplent la force évocatrice des images) habitée et presque religieuse. Après un poignant épilogue en forme de retrouvaille, Christopher Nolan fait dépasser à l’Homme ce statut de survivant où il était engoncé pour lui redonner ses ailes de conquérant avec l’envol final de Cooper.

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Warner 

vendredi 23 décembre 2016

La Maîtresse de fer - The Iron Mistress, Gordon Douglas (1952)


En Louisiane, en 1825. Jim Bowie n'est encore qu'un simple bûcheron qui exploite une scierie en compagnie de sa mère et de ses deux frères. Son habileté à lancer le couteau lui permet un jour de gagner une compétition, dont l'enjeu, considérable pour lui, est un voyage à La Nouvelle-Orléans. C'est alors qu'il s'éprend d'une jeune aristocrate, aussi égoïste que frivole, la séduisante Joséphine de Borney, qu'il entreprend de conquérir. Mais la belle est très courtisée. Jim tente de faire fortune par tous les moyens tout en affrontant ses rivaux, dont un politicien sans scrupules, Jean Moréno, et un duelliste frénétique, Henry Contrecourt...

The Iron Mistress est une biographie romancée de Jim Bowie, futur héros de la Bataille de Fort Alamo et resté célèbre pour sa dextérité légendaire au couteau, son arme favorite. Le film adapte le roman éponyme de Paul Wellman paru en 1951 et sera le premier d'Alan Ladd à la Warner après une décennie dans le giron de Paramount. Warner achète les droits du livre en pensant confier le rôle à Errol Flynn mais Alan Ladd qui en a lu les épreuves avant parution exprime son intérêt et aura gain de cause pour ce qui sera le premier film de sa fructueuse collaboration avec le réalisateur Gordon Douglas - suivront Le Tigre du ciel (1955), Santiago (1956) et Les Loups dans la vallée (1957). Dans une veine purement romanesque, c'est une femme qui éveillera l'instinct violent et aventurier d'un Jim Bowie délesté de ses aspect les plus douteux avec le passage au cinéma - il aurait notamment fait fortune au départ par la contrebande d'esclaves alors que le Congrès avait interdit les traites négrières aux Etats-Unis.

L'aspect rustre du personnage est montré sous un jour plutôt bon enfant au départ avec une bagarre où il dispute à ses frères le voyage à La Nouvelle-Orléans pour vendre leur bois. Sur place il tombe amoureux (par une belle idée puisqu'il découvre son visage dans un tableau inachevé) de la South Belle Judalon de Bornay (Virginia Mayo), riche héritière séductrice et orgueilleuse. Bowie qui n'avait jamais quitté son bayou fait la découverte à travers elle de son statut "d'inférieur". Judalon n'aime rien moins que soumettre les hommes puissants, profiter d'eux et les inciter à se déchirer pour elle. Le scénario n'en fait pas pour autant une femme fatale (malgré l'érotisme certain que dégage sa première apparition où elle essaye une robe) mais plutôt une opportuniste pensant à son bien-être quitte à renier ses sentiments. La notion de classe et le sens de l'honneur tout européen se transpose de manière violente et exacerbée dans la cosmopolite Nouvelle-Orléans, laissant douloureusement Bowie comprendre ses codes. Le duel constitue ainsi un prétexte aisé pur se débarrasser d'un rival amoureux ou d'affaire. Notre héros apparait au départ comme un être paisible et pacifiste (superbe scène où il désamorce avec humour le duel avec Narcisse de Bornay).

Mu par la volonté de réussir pour se montrer digne de Judalon, Bowie s'élève ainsi par sa férocité aux affaires et au combat, une violence contenue dans son poignard surnommé la "maîtresse de fer" et dont la fabrication prend des contours presque mythologique sous le regard de Gordon Douglas. Le réalisateur filme avec brio cette aristocratie sudiste luxuriante, sa caméra s'élevant et se faufilant dans les environnements fastueux des bals, champs de course et bateaux rutilants. Sous cet apparat, les tensions et jalousies se contiennent pour exploser dans les cadres plus populaires et neutres. Bowie, sauvageon défiant l'ordre établi devra à chaque fois répondre de sa réussite financière et possiblement amoureuse par un duel aux conséquences dramatiques. Ces moments forts sont filmés avec une virtuosité extraordinaire par Gordon Douglas tel cet incroyable combat dans une pièce obscure dont les éclairs de la foudre constituent la seule lumière - photo fabuleuse de John F. Seitz. Le découpage, les jeux d'ombres, les mouvements de caméra et la hargne des combattants font de cette scène un morceau de bravoure stupéfiant.

Gordon Douglas désamorce pourtant cette beauté romantique du duel (exprimée telle quel par un des protagonistes les plus belliqueux et à l'image par des idées formelles magnifique ave ce duel dans la brume matinale qui préfigure Les Duellistes (1977) de Ridley Scott) pour rejouer ces instants de manières toujours plus sèches, violente et douloureuse à chaque nouveau combat. Le film surprend vraiment par sa brutalité et sa noirceur où s’accumulent les morts sanglantes tout au long du récit. Bowie se perd en pensant gagner le cœur de celle qu'il aime à la force de son poignard, la maîtresse de fer étant autant cette arme que la manipulatrice Judalon. Virginia Mayo radieuse et élégante incarne à la perfection ce mirage du paradis sudiste où se joue constamment l'assujettissement et le profit (physique comme pécuniaire) de l'autre.

La réussite de Bowie est ainsi viciée dès le départ car vouée à une cause perdue, toute la témérité du personnage s'avérant au final un signe de faiblesse. Ce n'est que lorsqu'il sera involontairement extérieur à la joute qui conclut le film (et toujours causée par Judalon) qu'il sera libéré de cette emprise. Le Sud terreau des inégalités de l'ancien monde peut donc être abandonné pour le Texas où l'attend une vie plus paisible et un amour plus sincère. Même si l'on sait que cela tournera court avec la vraie destinée de Jim Bowie (Fort Alamo donc), c'est une belle rédemption pour le personnage à l'écran et que Gordon Douglas magnifie par une absolument somptueuse scène de mariage. Très belle découverte !

 Sorti en dvd zone 2 français chez Warner

mercredi 21 décembre 2016

Embuscade - Ambush, Sam Wood (1950)

À la suite de l'enlèvement d'une jeune femme par les Apaches, un groupe de cavalerie commandé par le Capitaine Ben Lorrison se lance à leur poursuite. Ils sont aidés, dans cette affaire, par l'éclaireur Ward Kinsman.

L'inégal Sam Wood signe son dernier film et une de ses plus belles réussites avec ce Ambush, unique incursion dans le western. Le film s'inscrit dans la lignée des films de cavalerie de John Ford mais volontairement délesté de ses éléments les plus marquants, que ce soit la truculence des personnages (pas absente mais largement atténué avec le personnage de John McIntire), l'humanisme et le lyrisme de la mise en scène. A la place, Sam Wood privilégie une sécheresse qui s'exprime autant dans les moments forts que ceux plus creux. Pour le premier point la scène d'ouverture magistrale donne le ton avec ce traveling avant arpentant un sol jonché de cadavres fraîchement massacrés, avant que la caméra dévoile le paysage montagneux et leurs bourreaux apaches fuyant au loin. L'éclaireur Kinsman (Robert Taylor) nous révèle ainsi ses compétences dans l'action, sa connaissance des rocheuses et des mœurs des apaches lui permettant de s'extirper du danger. Pourtant à peine sauvé il est sollicité par Ann Duverall (Arlene Dahl) pour secourir sa sœur enlevée par le redoutable chef apache Diablito (Charles Stevens).

Plutôt que nous embarquer dans l'aventure le scénario use du refus initial de Kinsman pour s'attarder longuement sur le quotidien de la garnison. L'ennui et le comportement excessif que suscitent l'attente, la place fragile des femmes et le poids de la rumeur, tout cela se ressent à travers les différentes sous-intrigues du récit. Le personnage alcoolique et violent Tom Conovan (Bruce Cowling) qui bat son épouse secrètement amoureuse du Lieutenant Delaney (Don Taylor) donne ainsi une idée des passions qui se jouent sous l'étiquette militaire. Il en va de même avec l'autre triangle amoureux où le rigoureux Capitaine Ben Lorrison (John Hodiak) se dispute les faveurs d'Ann Duverall avec le Kinsman dont le tempérament plus libre s'oppose au sien.

Sam Wood ne force jamais son postulat de possible mélodrame, restant dans une retenue qui impose cette notion de quotidien. Ainsi à cheval sur le règlement qu'il soit, Ben Lorrison ne cède jamais à une folie autoritaire (façon Henry Fonda dans Le Massacre de Fort Apache (1948)) lorsque l'action se noue et s'avère même étonnement valeureux le temps d'une scène de bagarre où il surclasse Kinsman. Les deux triangles amoureux trouveront leur résolution à travers les sacrifices au combat mais en amont Sam Wood ne cède pas au mélo ou au romantisme trop appuyé sans pour autant négliger les sentiments (notamment le destin douloureux de l'épouse malmenée jouée par Jean Hagen).

Après cette longue introduction intimiste, Sam Wood retrouve la nervosité de son entrée en matière dans la traque de Diablito. La tension sourde parcours l'ensemble de la traversée de ce panorama montagneux, la violence est sèche et inattendue (la confrontation entre Kinsman et un indien sournois) et le réalisateur se montre constamment inventif pour mettre en valeur son décor. Le film a la justesse de faire jouer de vrais indiens, autant respecté dans leur culture (usage de la vraie langue) que mis en valeur dans leurs aptitudes guerrières avec une mémorable et inventive embuscade finale qui justifie le titre. Robert Taylor est comme souvent excellent et qui amorce là une belle décennie dans le western (Convoi de femmes (1950) de William A. Wellman, La Porte du diable (1950) d'Anthony Mann, Libre comme le vent (1958) de Robert Parrish...).

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner

lundi 19 décembre 2016

The Blue Lamp - Basil Dearden (1950)

En 1949, à Londres, le vétéran George Dixon apprend le métier de policier au jeune Andy Mitchell. Appelé sur le lieu d'un braquage, Dixon est confronté à Tom Riley, un malfaiteur qui lui tire dessus avant de s'enfuir. Une vaste chasse à l'homme s'engage alors.

Le scénariste T. E. B. Clarke, en plus d'avoir guidé la mue du studio Ealing vers les comédies qui feraient sa gloire (l'enchaînement magique Passeport pour Pimlico (1949, De l'or en barre (1950) et Tortillard pour Titfield (1953)) contribua également à y faire produire un des polars les plus mémorable du cinéma britannique avec The Blue Lamp. Membre de la police de réserve durant la Seconde Guerre Mondiale, T. E. B. Clarke avait déjà pu faire montre de son gout du polar avec À cor et à cri (1947) même si teinté de comédie et transforme l'essai avec The Blue Lamp. Véritable plongée dans le quotidien de bobbies londonien, le film nous en fait découvrir les codes à travers la transmission se faisant entre le vétéran George Dixon (Jack Warner très attachant) et le jeune "rookie" Andy Mitchell (Jimmy Hanley).

Les tâches courantes (ronde de nuit, faire cuver un ivrogne, ramener un chien à sa maîtresse, calmer une dispute conjugale) se déroule en parallèle de la vie du commissariat dont la joyeuse camaraderie nous attache immédiatement aux personnages. Basil Dearden confère une vraie rigueur documentaire tant dans cette vie policière que dans la description des bas-fonds où de jeunes chiens fous amène une forme plus imprévisible de criminalité qui dérange les truands endurcis plus discrets. Basil Dearden creusera plus précisément cet angle social dans d'autres films notamment Violent Playground (1958) mais se fond ici dans la tonalité quotidienne du script de T. E. B. Clarke même si ces jeunes criminels d'après-guerre sans codes moraux ont déjà été évoqués dans Le Gang des Tueurs (1947) de John Boulting.

Le côté violent et instable de Tom Riley (Dirk Bogarde) est amené progressivement, de sa fascination pour son arme à la vraie agression envers un policier au sortir d'un cambriolage puis le point de non-retour en abattant un bobbies suite à un hold-up. Cette péripétie marque le basculement du film (le respect de l'uniforme ressenti jusque-là se brisant en un coup de feu) où la dimension documentaire sert la collaboration rigoureuse de toutes les franges de Scotland Yard pour retrouver le tueur. Le drame fonctionne donc grâce à la description de la première partie, la détermination et l'union des policiers se conjuguant à la douleur de l'épouse du collègue abattu (superbe scène toute en retenue où Andy vient lui annoncer la terrible nouvelle). L'aspect laborieux, méthodique et crucial de l'enquête (témoins récalcitrant, draguer la Tamise pour retrouver une arme) poursuit la mise en valeur de la police, alors qu'à l'inverse l'angoisse et l'incertitude guide les criminels avec un Dirk Bogarde fascinant, à la fois intimidant et vulnérable.

Après un ensemble très rigoureux, Basil Dearden lâche les chevaux avec une dernière partie plus heurtée. Mano à mano brutal entre policier et criminel, course poursuite survoltée dans les ruelles londoniennes et final haletant en plein stade de football, Dearden se montre virtuose et inventif pour gérer et relancer son suspense par un sens du cadre et du rythme épatant. Le choc des générations s'affirme définitivement lorsque les truands classiques aident la police à retrouver le fugitif. Ce premier essai de Dearden dans le polar affirme ses formidables aptitudes pour le genre et lance sa collaboration avec le producteur Michael Relph avec lequel il signera une plus grande réussite encore dès l'année suivante avec Pool of London.

Sorti en dvd et bluray anglais chez StudioCanal et doté de sous-titres anglais

dimanche 18 décembre 2016

The Stone Roses : Made of Stone - Shane Meadows (2013)


The Stone Roses fut un des groupes majeurs du rock anglais de la fin des 80’s et du début 90’s. Croisant l’héritage de la pop 60’s (à travers des mélodies délicates et des guitares carillonnantes inspirées des Byrds) avec le courant Acid house que traversait l’Angleterre (et préfigurant l’engouement pour les raves et les musiques électroniques des 90’s), le groupe rencontrerait un immense succès avec son premier album The Stone Roses en 1989. Englué dans un procès avec son label et son manager qui les a spolié de leur royalties, le groupe est interdit de faire paraître de la musique en son nom pendant des années et végète jusqu’à la sortie tardive de Second Coming, deuxième album paru en 1994. Cependant le cœur n’y est plus après ces mésaventures et des groupes qu’ils ont influencés comme Oasis les ont supplantés dans le cœur des fans. En 1995 c’est la séparation inévitable et l’histoire aurait dû en rester là, maintenant l’aura culte du groupe. 

Pourtant en 2012 les Stone Roses font l’annonce inattendue de leur reformation imminente et d’une tournée qui doit s’achever en Angleterre à Heaton Park. Shane Meadows, un des réalisateurs anglais contemporain les plus intéressants dont l’ancrage social et la passion musicale ne sont plus à prouver (le tétanisant Dead Man Shoes (2004), l’excellent This is England (2006)) s’attèle donc dans ce documentaire à accompagner les préparatifs de ce retour des Stone Roses. Cette actualité ancre le film dans le présent et le déleste de l’aura nostalgique du plus récent et formidable Supersonic (2016) consacré à Oasis, puisque toutes les archives exhumées du glorieux passé des Stone Roses sert un parallèle avec leur reformation. 

Les débuts balbutiant où Ian Brown (chant), John Squire (guitares), Mani (basse) et Reni (batterie) se rencontrent au sortir du lycée, cherchent leur style et tâtonnent de longues années alterne ainsi avec les retrouvailles chaleureuses, notamment une formidable scène de première répétition où l’on sent les désormais vieux briscards retrouver leur ancienne alchimie. Il en va de même quant à la personnalité de chacun, les images de 1989 montrent des post-adolescents timides et repliés sur eux même incapables d’aligner trois mots en interview quand en 2012 ils jouent avec la caméra de Shane Meadows tout en parvenant à maintenir ce naturel attachant.

Le réalisateur en vrai fan du groupe se met également en scène. La ferveur qui accompagne le premier concert « de chauffe » que donne gratuitement le groupe à Manchester se ressent autant dans l’engouement populaire que capte Shane Meadows que par son propre enthousiasme face caméra où il avoue ému n’avoir pas pu voir les voir sur scène du temps de leur splendeur et profiter de son film pour assouvir son rêve. Ce regard de fan aurait pu servir une vision trop hagiographique mais les dissensions d’antan rattrape les Stone Roses et amène une dramaturgie inattendue au documentaire. 

Un concert annulé suite à une dispute permet un nouveau parallèle cette fois plus négatif avec le passé, nous rappelant au souvenir du tumulte qui conduisit à la première séparation (notamment l’imprévisibilité de Reni déjà capable de laisser ses camarades en plan sur un coup de tête). Plutôt que de filmer les longues négociations et le nouveau rabibochage à effectuer, Shane Meadows préfère nous en montrer le résultat avec une conclusion triomphale sur le concert à Heaton Park. Rien de mieux que la musique pour illustrer le lien indéfectible qui unit les Stone Roses et ce sera sur un Fool’s Gold d’anthologie, porté par un groove phénoménal qui ne peut fonction qu’avec une vraie cohésion et plaisir de jouer avec l’autre.

Edité depuis le 15 novembre par Les Films du Paradoxe

mercredi 14 décembre 2016

Les Poings dans les poches - I pugni in tasca, Marco Bellocchio (1965)

Souffrant de crises d'épilepsie, le jeune Alessandro s'est, petit à petit, enfermé dans une sorte de monde parallèle où il ressasse inlassablement son amertume, sa révolte, sa haine d'autrui en général et de son milieu bourgeois en particulier. Perdu dans l'admiration de son frère Augusto qui rêve de départ, et l'amour coupable qu'il voue à sa sœur Giulia, Alessandro, entre crises d'épilepsie et débilité congénitale, tente de détruire l'oppression familiale.

Les Poings dans les poches est un des premiers films les plus fulgurants de l’histoire du cinéma, un brûlot unique en son genre qui fera figure d’ovni à sa sortie. Si l’on peut éventuellement associer le film à un courant précurseur de Mai 68 au côté du Prima della rivoluzione de Bernardo Bertolucci (là aussi un très jeune réalisateur signant une œuvre en réaction de la production italienne d’alors) sorti l’année précédente, Bellocchio se démarque par un ton, un style et des thématiques infiniment personnels. Bertolucci perdait en intensité et substance par une influence trop marquée de la Nouvelle Vague quand Bellocchio digère de manière bien plus subtile les approches d’un Buñuel notamment. De plus loin de la confection profondément collégiale qui définit le cinéma italien de l’époque, Bellocchio signe entièrement seul le scénario de ce premier film dont il est également producteur.

Il pouvait difficilement en être autrement quand on scrute les prémisses du projet. Après des études à l’Académie d’art dramatique de Milan et au Centre du Cinéma Expérimental, Bellocchio signe trois court-métrages (La colpa e la pena (1961), Ginepro fatto uomo (1962)) et aspire à signer un long inspiré de son histoire personnelle. Le Poings dans les poches se déroule ainsi dans sa province natale de l’Emilie-Romagne et la famille dysfonctionnelle du scénario s’inspire grandement de la sienne, lui qui perdit son père à dix-sept et vit son frère aîné Piergiorgio endosser difficilement ce rôle patriarche. L’enfance sous le régime fasciste de Mussolini avait également imprégné la famille d’une image troublée pour Bellocchio avec une mère admirative du Duce et un père contraint par convenance de porter la chemise noire. 

Tout cela nourrit le regard à la fois froid et monstrueux qu’il porte sur ses personnages. Tous les rapports familiaux du film reposent sur les notions de dominants/dominés, de dépendance à l’autre et d’un foyer faisant autant office de refuge au monde extérieur que de prison. Alors que l’aîné Augusto (Marino Masè) aspire à s’installer en ville et à se marier, il est comme enchaîné à leur demeure familiale par diverses contraintes. Ce sera d’abord une fratrie problématique avec l’inconséquence d’Alessandro (Lou Castel), l’immaturité de Giulia, l’attardement mental de Leone (Pierluigi Troglio) et également la cécité de la mère (Liliana Geraci). Dès le départ, Bellocchio affirme ce désordre familial notamment lors d’une scène de repas où les disputes puériles d’Alessandro et Giulia contrastent avec leur âge adulte, et où l’impotence physique de la mère (le chat venant manger dans son assiette) et psychique de Leone (faisant des bruit de bouche en mangeant comme une enfant) en font des figures perturbées. Augusto en patriarche de substitution fait ce qu’il peut mais rêve surtout de fuir cet environnement monstrueux.

Alessandro, plus cruel et complexé par son épilepsie voit dans les autres des obstacles à une existence meilleure. Si Alessandro joindra la parole aux actes, c’est par un esprit de rébellion dévoyé qui le conduira à des méfaits révoltant - qui annoncent ceux des activistes des Années de Plomb du Buongiorno, notte (2003). C’est ce côté vindicatif mais tournant finalement à vide (le matricide puis le fratricide ne l’amènent pas à concrétiser les semblants de projets qu’ils visent) qui le démarque mais ce poids de la famille se ressent également chez les autres. Le passage fondamental sera ainsi l’absence de réaction voir l’espérance d’Augusto lorsqu’Alessandro lui annonce dans une lettre vouloir tuer le reste de la famille en voiture pour le laisser libre. De même Giulia semblera étrangement détachée lorsqu’elle saura les vraies circonstances de la disparition de leur mère. Quand l’affection daigne s’exprimer, elle est tout aussi douteuse.

Giula réconforte avec une tendresse déplacée les crises d’épilepsie d’Alessandro, et sa volonté de briser le couple d’Augusto et Lucia (Jenny MacNeil) se justifie autant par un désir de maintenir le statu quo familial que par un désir incestueux. La maison, étouffante, étroite, engoncée de meuble et chargé du passé est un lieu de cauchemar que Bellocchio baigne d’une austérité étrange. Le réalisateur se détache de tous les courants d’alors : aucune trace de néoréalisme, pas d’expérimentations narratives et formelles issues de la Nouvelle Vague, trop austère pour un existentialisme à la Antonioni et les rares rires sont bien trop perturbant pour évoquer la comédie  l’italienne. Bellocchio semble plus faire figure d’entomologiste de la monstruosité où les extérieurs montagneux, la ville sans nom offre un reflet opaque nous faisant bien comprendre que la société n’est pour rien dans la nature dérangée des protagonistes. Bellocchio croise ainsi le mystère d’un Buñuel et la maitrise du Joseph Losey de The Servant avec un récit d’aliénation voisin.

Le détachement absolument glacial des scènes de meurtres (jouant de la durée pour la mise en situation puis de l’ellipse pour l’exécution) n’en rend le film que plus suffocant. Lou Castel est absolument extraordinaire, dissimulant le démon sous les traits juvéniles et poupin. Maintenir le désordre familial pour mieux dominer et éliminer les faibles est son seul objectif mais, rattrapé par son propre mal il paiera chèrement cette déshumanisation dans une ultime séquence aussi magistrale qu’insoutenable. Un très grand film qui annonce une grande carrière.

Sorti en dvd zone 2 français chez TF1 Vidéo