Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
Comme nous l’explique Stéphane du Mesnildot en introduction
de son captivant essai, l’adolescente japonaise se distingue de ses congénères
d’autres pays en convoquant par sa simple évocation toute une identité
visuelle, une attitude, des lieux et des souvenirs de fictions détonants. L’uniforme,
élément visuel le plus immédiatement identifiable de l’adolescente japonaise,
est ainsi à son adoption en 1920 une manière d’introduire la culture
occidentale dans l’habillement des jeunes filles. Cette tenue est
symboliquement et concrètement une forme d’émancipation en libérant leur
mouvement de la « soumission » contraignante du kimono traditionnel.
Mais la marinière s’oppose à l’équivalent de l’uniforme masculin dont le modèle
occidental adopté à l’époque est la tenue d’officier. L’auteur entend ainsi
tout au long du livre démontrer la nature double du monde des
« shojos », à la fois espace secret et de libération des adolescentes
japonaises mais également carcan illustrant la domination masculine.
Stéphane du Mesnildot nous dépeint ainsi comment
l’adolescente japonaise accompagne et représente tous les soubresauts culturels,
sociaux et politiques de la société japonaise au fil des décennies. Chaque
bouleversement (le tremblement de terre du Kantô en 1923, l’agitation politique
des 70’s, la bulle économique des 80’s, le séisme de Kobe et les attaques au
gaz sarin à Tokyo en 1995, le tsunami et la catastrophe de Fukushima en 2011)
appelle l’adolescente japonaise à une mue que l’auteur illustre par des
références culturelles allant de la littérature au manga,du cinéma à la japanimation en passant par la
J-pop. Passionnant dans l’interprétation et la mise en perspective des plus
connues (la série Neon Genesis Evangelion,
le manga La Rose de Versailles),
ouvrant à des cercles plus obscurs (les mondes littéraires féminins clos et
lesbiens d’auteurs comme Noboku Yoshiya et leur influence) et décodant la
superficialité de façade (l’association de l’univers des stars et groupe de
J-Pop à leur époque dans les clips, les looks et l’attitude), l’auteur donne un
riche tour d’horizon et d’associations d’idées.
L’auteur fait l’effort de rebondir à chaque fois sur un équivalent
occidental qui explicite sa réflexion pour les novices (le parallèle avec les
romans de Colette) et creuse les spécificités plus complexes pour les initiés
notamment les référents géographiques des quartiers de Tokyo où se développent
les diverses communautés adolescentes dont les fameuses kogal. De manière
générale cette manière de mêler chaque rupture (temporelle, sociétale…) à une
esthétique est un des points fort du livre. Cela participe à cette notion du
double jeu rébellion/soumission de l’image de l’adolescente japonaise. Le
scandale de la prostitution de lycéennes des 90’s dénonce autant la perversion
d’adulte prédateurs que l’emprise que pouvaient avoir les jeunes filles sur
eux. De même les mues de l’uniforme aux jupes de plus en plus courtes nourrissent
les fantasmes libidineux et aux frontières de la pédophilie de l’industrie du
porno tout en étant une réelle tenue de combat où les adolescentes façonnent
leurs propres codes – la culture sukeban où les délinquantes japonaises s’approprient
certains fonctionnements des yakuzas.
Didactique, érudit et dépaysant, un ouvrage qui nous ouvre
sur un monde foisonnant et en constante mutation.
Un couple d'italiens
Walter et Eve Mancini, un journaliste ivrogne et sa très sensuelle épouse,
voyage au sud de la Californie en caravane. Ils prennent en stop un malfaiteur
en cavale, Adam Konitz, qui s'avèrera être également un peu psychopathe...
Pasquale Festa Campanile est une figure injustement oubliée
du cinéma italien qui sut amener une touche singulière et subversive dans une
filmographie s’attachant dans l’ensemble à des genres populaires/commerciaux du
cinéma italien. Cette sensibilité vient d’un parcours avant tout intellectuel
qui le verra s’imposer en tant qu’écrivain reconnu avant de signer des scénarios
pour des réalisateur aussi prestigieux que Mauro Bolognini pour (entre autres) La Viaccia (1961), Elio Petri sur L’Assassin (1961) ou encore Dino Risi
avec Pauvres mais beau (1957).
Lorsqu’il
passera à son tour à la réalisation Campanile s’attache dans ses meilleurs
films à des questionnements progressistes sur l’identité sexuelle avec Le Sexe des anges (1964) traitant des
castrats ou plus tardla notion
transgenre et l’homosexualité dans Personne...
n'est parfait ! (1981) ou Più bello
di così si muore (1982). C’est dans la comédie sexy que le réalisateur
donnera son meilleur avec les excellents L’Amour à cheval (1968) et Ma femme est un violon (1971). Campanile y traite des relations homme/femme, la notion de
domination/soumission au sein du couple et la manière dont une sexualité
différente peut le détruire et/ou le raviver. Le fantasme y est interrogé dans
sa facette pouvant être ludique ou oppressante selon qu’il est partagé ou
forcé.
La Proie de l’autostop
semble au premier abord détoner dans cet ensemble puisqu’il s’agit d’un pur
thriller, s’inscrivant de plus dans le sous-genre controversé du rape and revenge. Dès l’introduction où
en pleine partie de chasse la lunette du fusil de Walter (Franco Nero) hésite
entre un cerf et son épouse Eve (Corinne Clery) comme proie, le ton est donné.
Marié à la fille de son patron, Walter est un macho blessé dans sa virilité et
noie son dépit dans l’alcool ou en rudoyant sa femme. L’agressivité est autant
verbale que physique avec une sexualité brutale du couple où la frontière est
mince entre élans fiévreux et viol conjugal. Eve le soulignera d’ailleurs par
un dialogue cinglant quand elle verra de jeunes amoureux coucher ensemble dans
leur camping : « Eux ils couchent ensemble, nous on baise ».
Cette tension va s’accentuer lorsque le couple (roulant sur les routes
californiennes) va prendre en stop Adam Konitz (David Hess) malfrat en cavale
et inquiétant déséquilibré. La cohabitation forcée va façonner un triangle « amoureux »
des plus destructeurs.
Adam est un monstre imprévisible qui exacerbe les maux du
couple, son machisme n’étant qu’un avatar dément de celui de Walter et dont Eve
est à la fois la victime et complice pour se venger de son époux. Campanile
montre la graduation de ce schéma, d’abord dans la conversation durant le
trajet où Adam manipule les époux et les place face à leurs contradictions dont
il s’amuse. Le trio s’allie et s’oppose au fil d’un récit reposant sur la pure
tension psychologique mais aussi des mécanismes de thriller sous influence. La
présence de David Hess ravive ainsi le souvenir douloureux de La Dernière maison sur la gauche de Wes
Craven (1972) dont il était l’inoubliable méchant, l’angoisse latente sur fond
de grands espaces naturels et routiers rappelle le Duel (1971) de Steven Spielberg, le tout étant zébré d’élans
sanglants typiques du cinéma de genre italien.
Campanile ajoute à l’ensemble une
ironie éclatante dans l’hyper masculinité caricaturale des deux protagonistes
masculin, la monstruosité d’Adam donnant un mimétisme progressif à l’attitude
de Walter. Le réalisateur brise même les barrières morales dans la scène où
Adam abuse d’Eve, le choc étant démultiplié de façon inattendue : la
souffrance de la jeune femme se confond ainsi à une vengeance plus ou moins consciente
envers son mari dont la sacrosainte virilité est brisée en assistant impuissant
à l’acte.
Cette ironie se traduit aussi dans la distance que crée le
scénario quand Adam demande à Walter (qui est journaliste) d’écrire sa
biographie (amorçant leur étrange complicité) en y réclamant du « sang et
beaucoup de sexe ». Dès lors tous les rebondissements violents du film
semblent obéir à ce cahier des charges que le geôlier souligne dans les
dialogues avant chaque nouvelle exaction. L’excellent bande-original d’Ennio
Morricone alternant le registre du pur suspense avec la valse psychédélique
gorgée de chœurs féminins participe également à cette distance qui fait de l’ensemble
du film une fable grotesque et inquiétante sur les rapports de couple. La
citation finale d’Heinrich Böll est sans appel :
« Il n’y a pas de
problème de couple : il y a le problème d’un homme et le problème d’une femme.
Et il n’y a qu’une solution : la mort. »
A l'âge de treize ans,
une future sorcière doit partir faire son apprentissage dans une ville inconnue
durant un an. Une expérience que va vivre la jeune et espiègle Kiki aux côtés
de Osono, une gentille boulangère qui lui propose un emploi de livreuse.
Kiki la petite
sorcière constitue une phase importante dans la filmographie d’Hayao
Miyazaki. La première partie de carrière du réalisateur se place sous le signe
de la grande aventure à travers sa série Conan
le fils du futur, la réalisation du film Le Château de Cagliostro (1979) et sa participation à l’adaptation
télévisée de Sherlock Holmes.
Lorsqu’il aura enfin la possibilité de réaliser des œuvres vraiment
personnelles grâce à la fondation du studio Ghibli, Miyazaki fondra pleinement
cette quête de l’épique à ses thèmes de prédilection dans Nausicaä de la vallée du vent (1984) et surtout l’aboutissement que
sera Le Château dans le ciel (1986).
Dès lors le réalisateur allait creuser un sillon parallèle dans son œuvre où au
récit épique échevelé s’ajouterait une veine plus sobre notamment avec Mon voisin Totoro (1988) et donc Kiki la petite sorcière. Le merveilleux
n’y sert plus une emphase spectaculaire mais des préoccupations plus
intimistes, que ce soit entre autres l’absence et le deuil (réminiscence de
l’enfance du réalisateur et du rapport à sa mère) pour Totoro ou du passage de l’enfance à l’âge adulte dans Kiki.
Le film adapte un livre pour enfant japonais d’Eiko Kadono
paru en 1985. D’abord accaparé par la production de Mon voisin Totoro, Miyazaki délègue le scénario et la mise en scène
à ses deux protégés Sunao Katabuchi (futur réalisateur du récent et somptueux Dans un recoin du monde (2016)) et Nobuyuki
Isshiki mais – prémisses des futurs problèmes du studio – peu satisfait décide
de reprendre tout leur travail à zéro pour signer lui-même le film. La série de
changements que fait Miyazaki au roman dans son script tend à contredire le
postulat merveilleux pour l’inscrire dans une certaine réalité. L’apprentie
sorcière Kiki quitte ainsi selon le rituel son foyer à l’âge de treize ans pour
vivre un an en indépendance. Le roman d’Eiko Kadono se déroule sur cette année
entière en abordant des évènements épars sur un ton léger alors que Miyazaki
restreint son récit au premier été de Kiki dans sa nouvelle vie et mets l’accent
sur toutes les difficultés intimes comme matérielles pouvant se poser à cette
autonomie.
Cette phase va ainsi du trivial mais si universel (Miyazaki
s’inspire grandement des jeunes animatrices officiant à Ghibli et vivant ce
déracinement) dès les premiers pas de Kiki dans cette ville inconnue, son
allant « provincial » se confrontant à l’indifférence urbaine
ordinaire lorsque les passants - la curiosité de voir une sorcière sur son
balai n’a qu’un temps dans cet univers où le merveilleux est naturellement
accepté – ignorent ses saluts. Même les gags sont au service de cette idée
quand Kiki se confronte aux remous de la circulation sur son balai. Sa
singularité est désormais source d’une curiosité à laquelle elle ne sait
comment réagir notamment avec le jeune Tombo (modèle physique et dans la
caractérisation du futur Jean de la série Nadia
et le secret de l’eau bleue dont Miyazaki fut l’initiateur avant de laisser
l’idée au studio Gainax) fasciné par sa faculté de voler.
Pour résumer, notre
héroïne passe du statut de fillette libre de sa fantaisie (signifiée par la
magie) à l’adolescente/adulte consciente du rapport au monde qui l’entoure
et au regard que celui-ci porte sur elle. Une scène nous aura préparé à cela
lorsque Kiki rencontre une autre jeune sorcière de retour de son année
d’initiation et dont la pédanterie lui fait prendre conscience de ses manques -
à part voler elle n’a aucune spécialité magique -, la situe face à « l’autre »
et met à mal sa confiance.Tout le film est ainsi constitué de petites épreuves que
Kiki surmonte tant dans la débrouillardise ordinaire – monter un commerce de
livraison grâce à ses pouvoir de voltige, gérer un budget – que dans son
interaction aux autres.
Miyazaki s’attarde longuement dans une tonalité
tragicomique sur les embûches se posant à chaque mission de livraison pour un
apprentissage rigoureux du monde du travail (l’épisode du chat Jiji abandonné
pour donner le change, particulièrement savoureux) et la difficulté à le
concilier à une vie personnelle, à l’insouciance initiale. Tout en célébrant
les vertus du travail par lequel passe l’émancipation, Miyazaki fustige aussi
une forme d’apathie urbaine où l’individu ne se résumerait plus que par sa
tâche. Epanouie et pleine d’allant dans son métier (la belle scène où elle
aidera une vieille dame à réparer son four) et face aux adultes, Kiki semble
plus complexée avec les jeunes de son âge dont elle fuit la compagnie. Partagée
entre ses élans de jeune adulte en construction et la légèreté/confiance
inhérente à tout lien d’amitié à l’autre, Kiki va ainsi perdre pied.
Tous ces questionnements se fondent de façon limpide dans la
narration et Miyazaki brille à les traduire par des motifs purement formels. La
ville est un mélange saisissant de détail entre cité méditerranéennes comme
Naples avec d’autres nordiques comme Stockholm (principalement inspiration et
visitée par Miyazaki et ses équipes avant le tournage), la confrontation de
Kiki avec un réel tangible servant d’autant plus sa perte de repères avant de
s’affirmer dans les rapports humains difficile.
La mise en scène en joue aussi
notamment dans les scènes de vol, tout en cadrage dynamique et animation fluide
(les mouvements de la robe de Kiki impressionnants) en début de film tandis que
lorsque le spleen et la solitude s’installe, les phases aériennes se font plus
lentes – la lourdeur de l’avancée se conjuguant à celle du moral déclinant de
Kiki appuyé par une météo pluvieuse. Cette notion se prolonge jusqu’à faire
perdre son pouvoir de vol à la jeune fille déboussolée qui devra reprendre
confiance en elle. Miyazaki capture les tourments de l’adolescence avec une
rare acuité et procède de façon inversée au futur Le Voyage de Chihiro (où la maturité passe par le réveil d’une
héroïne léthargique) avec une héroïne bondissante dont les doutes de la
solitude urbaine réfrènent l’élan.
Le récit sans vrai méchant ni conflit peut néanmoins se
résoudre dans un final spectaculaire où Miyazaki peut laisser éclater son goût
pour les morceaux de bravoure aériens. Kiki
la petite sorcière sera le premier vrai succès commercial du studio Ghibli
(Mon voisin Totoro en étant un sur la
longueur grâce aux produits dérivés, Le
Château dans le ciel et Le Tombeau des
lucioles (1988) surtout des succès critiques) et qui permettra une
vraie pérennité après un fonctionnement jusque-là assez précaire. Reste une des
héroïnes les plus iconiques (les cosplays inspirés de sa tenue son légion) et
attachante du studio et la grande réussite du Miyazaki introspectif.
Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Buena Vista