Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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samedi 23 mai 2020

Octopussy - John Glen (1983)


James Bond est chargé d'enquêter sur la mort très suspecte de l'agent 009. Pourquoi avait-il donc cet inestimable œuf Fabergé dans la main ? 007 assiste à la mise aux enchères de l’œuf, le richissime Kamal Khan en fait l'acquisition. Ce prince indien exilé semble nourrir de secrètes accointances avec le général soviétique renégat Orlov. Mais quel lien y a-t-il entre l’œuf, les complots du tandem russo-indien et la désirable, bien que mystérieuse, Octopussy ?

Rien que pour vos yeux (1981) avait été le Bond du retour sur terre après les extravagances spatiales de Moonraker (1979). Seulement cet épisode plus sobre (pour du James Bond s’entend) semblait finalement peu adapté à la personnalité espiègle du Bond incarné par Roger Moore. La même année que Rien que pour vos yeux sortait en salle Les Aventuriers de l’Arche perdue de Steven Spielberg, grosse sensation du cinéma de divertissement qui par son exotisme et son action échevelée qui donnait un petit coup de vieux à la franchise James Bond. Octopussy devait donc faire retrouver un certain panache à la saga sur ce terrain de l’entertainment tout en trouvant le juste équilibre entre démesure et rigueur narrative oubliée depuis L’Espion qui m’aimait (1977).A la même période le producteur Kevin McClory codétenteur des droits de Opération Tonnerre (1965) parvient à en monter le remake, Jamais plus jamais (1983) qui sortira donc en concurrence directe du Bond officiel et qui fait même revenir Sean Connery. Ces enjeux multiples incitent Cubby Broccoli à faire revenir un Roger Moore un temps sur le départ (l’acteur américain James Brolin fit même un bout d’essai prometteur) pour avoir un nouveau film avec tous les atouts de son côté.

Le scénario d’Octopussy résout l’équation schizophrène de Moonraker et Rien que pour vos yeux, en combinant fantaisie et contexte de Guerre Froide dans un tout harmonieux à travers les deux environnements du film. D’un côté l’on se trouve dans une Inde luxuriante et bariolée où Bond remonte la piste de contrebandier d’œuf Fabergé, et de l’autre la grisaille de l’Allemagne de l’est où un général russe veut déclencher une catastrophe nucléaire. En Inde John Glen joue donc la carte du dépaysement et du mystère dans la formule Bond. On est presque dans le conte sur certaines atmosphères (Magda (Kristina Wayborn) qui quitte la chambre de Bond en déployant son sari à sa fenêtre), dans l’aura de magnificence que dégagent vues des palais indiens. L’action et les antagonistes participent à cette dichotomie, le suave et retors Kamal Khan (Louis Jourdan) et l’insaisissable Octopussy  (Maud Adams pour son deuxième rôle majeur dans un Bond après L’Homme au pistolet d’or (1974)) s’inscrivant dans l’irréalité des environnements traversés. Dès lors John Glen convoque l’inconscient mythologique (et tout de même un peu colonial anglais) indien rehaussé de la modernité bondienne avec une scène de safari dont Bond est le gibier et qui lorgne sur l’imagerie des productions Alexander Korda (tous le bestiaire du Livre de la Jungle y passe). Tout cela fonctionne grâce à une outrance qui se fond dans l’action (la course de taxi trépidante) même si les fautes de goût d’antan peuvent ressurgir tel ce cri de Tarzan entamé par Bond fuyant de lianes en lianes.

Le monde du cirque fait le lien avec la trame européenne et la photo Alan Hume traduit avec le même brio la facticité assumée de la partie indienne que le réalisme froid de Berlin est. John Barry de retour à la bande originale réussit le même exploit avec l’alternance de thèmes plus rêveurs et romantiques avec d’autres plus entêtant et martiaux. On savoure le suspense au cordeau avec un Roger Moore impliqué qui convainc particulièrement lorsqu’il en finit avec les jumeaux lanceurs de couteau. Là où la retenue de Louis Jourdan contrebalançait l’excès du cadre indien, la folie larvée du Général Orlov (Steven Bercoff) détonne dans l’environnement sobre de l’Allemagne de l’est et crée ainsi une dynamique intéressante dans cet équilibre entre rigueur et démesure. L’un des grands atouts du film est d’ailleurs d’apporter un renouvèlement bienvenu aux scènes d’actions, convoquant modernité sans être envahit par les gadgets (le pré-générique est parmi les plus mémorables de la saga) et inventivité dans le plus pur esprit bd (les thugs et leurs scie circulaires). 

La dernière partie est d’ailleurs un modèle du genre puisqu’à un suspense à la bombe haletant et dans cette veine réaliste succède un climax assez fou mettant en valeur les amazones acrobates d’Octopussy. On peut regretter que John Glen soit un peu timoré à les filmer en action vu leurs aptitudes mais une nouvelle fois l’excès coloré fait mouche. De l’arrivée de Bond en ballon jusqu’à une cascade folle en avion, la promesse de grand spectacle est assurée jusqu’à la dernière minute. Hormis un certain manque d’implication émotionnelle (la relation Bond/Octopussy ne convainc pas complètement), probablement le meilleur Bond de Roger Moore avec L’Espion qui m’aimait (1977) d’autant qu’il remportera le duel des 007 au box-office face à Jamais plus jamais. Il aurait mieux valu finir sur ce coup d’éclat au vu du ratage à venir de Dangereusement votre (1985).

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Sony 

vendredi 22 mai 2020

Lonelyheart - Sabishinbô, Nobuhiko Obayashi (1985)

Hiroki est un lycéen plein de vie, qui aide ses parents au temple pendant son temps libre, et qui aimerait bien aussi se rapprocher d’une jeune fille, belle, mystérieuse et solitaire… mais qu’il n’a encore jamais osé aborder. Un jour, alors qu’il rangeait des vieilles affaires de famille devant l’un des autels du temple, un brusque coup de vent viendra emporter des photos… Rien de bien grave au demeurant. Et pourtant… très rapidement une drôle de jeune fille, au visage blanc et paraissant capable de passer un peu partout, va faire irruption dans sa vie : Sabishinbô (cœur solitaire).

Lonelyheart est au sein de la filmographie de Nobuhiko Obayashi le dernier volet de la trilogie d'Onomichi. Cette série de films a pour spécificité de se dérouler au sein de la ville natale du réalisateur, Onomochi, et de croiser à un récit adolescent un postulat surnaturel métaphore/contribution à la maturité du personnage principal. Ce sont les aptitudes à voyager dans le temps de l'héroïne de The Little Girl Who Conquered Time (1983) ou l'échange de corps fille/garçon de I are you, You am me (1982). Les deux premiers films semblaient porter plus d'attention aux personnages féminins (même indirectement avec le garçon coincé dans un corps de fille de I are you, You am me) alors qu'au premier abord, Lonelyheart semble plus focalisé sur le point de vue de son héros masculin Hiroki (l'acteur fétiche d'Obayashi, Toshinori Omi). C'est d'ailleurs littéralement sur ce point de vue que s'ouvre le film lorsque, du zoom de l'objectif de son appareil photo, il observe la ville depuis depuis ses hauteurs.

La thématique centrale du film s'y révèle à travers deux éléments à priori antinomiques. D'un côté l'objectif arpente la maison d'Hiroki où sa mère (Yumiko Fujita) s'affaire à des tâches ménagères, ce qui permet à l'adolescent de fustiger le côté terre à terre de celle-ci et souligner leurs différences. De l'autre Hiroki zoome sur le lycée féminin voisin, et plus particulièrement sur cette élève qui vient s'exercer seule au piano après les cours. Cette jeune fille dont il tombe instantanément amoureux, il va la dénommer Sabishinbô (cœur solitaire). Obayashi déploie ainsi dans un même mouvement deux problématiques typiquement adolescentes, l'incompréhension du monde des adultes (et plus spécifiquement les parents), et le mélange d'euphorie et de désespoir provoqué par le premier amour. On peut trouver ces éléments plutôt opposés mais ils vont habilement se rejoindre, et Obayashi glisse un indice de ce lien avec le morceau qu'Hiroki "entend" Sabishinbô jouer, « Tristesse »de Frédéric Chopin qui est également le morceau préféré de sa mère.

Le film semble dans un premier temps bien plus potache et moins mélancolique que les précédents films de la trilogie, multipliant les facéties loufoques d'Hiroki et ses amis sources de nombreux gags. Le surnaturel s'invite cependant à nouveau dans le cadre d'un temple bouddhiste (le père d'Hiroki étant prêtre) comme dans I are you, You am me, lorsque Hiroki disperse de vieilles photos familiales alors qu'il range les lieux. A partir de cet instant va ponctuellement surgir dans sa vie une facétieuse jeune fille au masque de cire également surnommée Sabishinbô. D'abord seulement visible par notre héros, elle apparait progressivement à tous, semant la zizanie dans son entourage et semblant omnisciente quant aux petits secrets de chacun.

Si un Hiroki ahuri mettra le temps avant de comprendre son identité, le spectateur aura vite saisi que la magie du temple a matérialisé sa mère telle qu'elle était adolescente sur une des photos perdues. L'importance n'est pas dans cette révélation mais plutôt sur le lien qui unit le premier amour vivace d'Hiroki et cette apparition du passé, puisque les deux Sabishinbô ont les mêmes traits (ceux de l'actrice Yasuko Tomita). Obayashi travaille ainsi les émotions en écho, les dépits amoureux d'hier et d'aujourd'hui partageant le même visage, et leurs douleurs se rythmant aux notes de Chopin. La réconciliation du présent et de l'ancien qui nous hante annonce le traitement mythologique et introspectif du magnifique The Deserted City (1984) à venir.

Cependant le côté filial le rapproche aussi grandement du superbe Chizuko's Younger Sister (1991), quatrième itération qu'Obayashi donnera à son cycle d'Onomochi et où il sera question de deuil fraternel. L'aspect humoristique initial s'estompe ainsi progressivement au fil des révélations qui rapprochent les deux axes du film. Hormis les purs éléments narratifs, ce lien passé/présent se dessine à travers la très belle relation mère/fils. La complicité taquine des deux fonctionne à merveille, la mère faussement sévère mais sensible à la veine artistique du fils (les photographies de femmes nues de celui-ci qu'elle regarde avec lui sans sourciller) et ce dernier plus amusé que réellement agacé des remontrances. Dès lors la compréhension plus intime qui s'amorce peu à peu offre des moments poignants comme quand Hiroki jouera la fameuse mélodie de Chopin au piano devant sa mère. Deux émotions se rejoignent là, celle de l'amour perdu dont la douleur est vivace, et celle dont ne demeure qu'un souvenir tendrement entretenu. La mère console le fils et inversement dans un sentiment implicite qu'Obayashi parvient merveilleusement à faire passer, bien aidé par l'interprétation habitée de Yumiko Fujita (formidable)) et Toshinori Omi. C'est d'ailleurs très intéressant qu'Obayashi ait travaillé ce mimétisme du dépit amoureux entre la mère et le fils plutôt que le père qui reste en retrait.

Formellement Obayashi parvient à donner une fois de plus un visage inédit à cette ville d'Onomichi qu'il a tant filmé (c'est d'ailleurs amusant d'avoir des réminiscences des autres films dans certains lieux bien identifiables où l'on a vu d'autres évènements). Le cadre insulaire donne pour l'essentiel une dimension ensoleillée reflétant l'aspect juvénile et bondissant initial, mais l'histoire se déroule pourtant bien à l'automne. La photo de Yoshitaka Sakamoto traduit donc bien cette entre-deux, à la fois lumineux et estival, mais aussi mélancolique et automnal dans le travail sur la couleur (tout cela annonçant le fabuleux travail chromatique de The Deserted City). L'immédiateté comique (toutes les pochades lycéennes, les apparitions improbables de Sabishinbô) alterne avec un romantisme qui endosse la fulgurance (le premier échange de regard à vélo) et la pure rêverie contemplative lors de l'hypnotique scène du retour en ferry au crépuscule. Un joli film en apparence plus léger que le reste de la trilogie mais tout aussi profond.

Sorti en dvd zone 2 japonais 

mardi 19 mai 2020

Une chambre en ville - Jacques Demy (1982)


L’histoire d’une passion. Nantes, 1955. Les chantiers navals sont en grève. François Guilbaud, métallurgiste fiancé à Violette, rencontre Edith. Une passion naît entre eux mais il ne sait pas qu’elle est la fille de La Colonelle chez qui il loue « une chambre en ville ». Quant à Edith, elle a un mari jaloux, Edmond. Edith et François, submergés par la passion, réalisent qu’ils ne sont rien l’un sans l’autre. La grève pour le droit au travail des ouvriers se durcit et prend de l’ampleur : une muraille de casques, de boucliers et de matraques se dresse.

Une chambre en ville est souvent considéré comme le dernier grand film de Jacques Demy. Il s’agit en effet de l’aboutissement d’un projet de longue haleine pour le réalisateur qui y travaille depuis le milieu des années 50. Au départ envisagé comme un roman, le récit devient un scénario qu’il ne cesse de remanier entre 1964 et 1974 où il trouvera sa forme définitive. D’autres problèmes vont alors se poser avec le désistement du casting initialement envisagé puisque Catherine Deneuve ne souhaitant cette fois pas être doublée au chant abandonne le projet, suivit par son partenaire Gérard Depardieu solidaire. 

Avec la perte de ces têtes d’affiches prestigieuses, la Gaumont abandonne à son tour le financement de cette production risquée qui n’aboutira qu’en 1981. Jacques Demy s’était bien entendu avec Dominique Sanda durant le tournage du téléfilm La Naissance du jour (adapté de Colette) et cette dernière va solliciter la productrice  Christine Gouze-Rénal, belle-sœur de François Mitterrand qui selon la légende dans l’euphorie de l’élection va accepter de produire le film. Après trente ans de gestation, le film va enfin voir le jour mais sans la musique de Michel Legrand peu emballé par la dimension sociale du scénario et qui cède sa place à Michel Colombier.

Une chambre en ville renoue avec une veine personnelle pour Demy, tout d’abord de façon intime dans le cadre de cette ville de Nantes où il a grandi, et la toile de fond sociale qui s’inspire des grèves des chantiers de constructions navale de Nantes et Saint-Nazaire en 1955 auxquelles il assista. On retrouve le récit entièrement chanté initié sur Les Parapluies de Cherbourg et qui avait disparu des films précédents, et cette poésie musicale se confronte donc à cet arrière-plan ancré dans le réel. Ce fut salué comme une thématique novatrice à la sortie du film mais finalement c’était déjà le cas dans Les Parapluies de Cherbourg où les maux du monde contemporain rattrapaient et séparaient le couple quand Guy (Nino Castelnuovo) était contraint d’aller faire son service militaire en Algérie. La différence tient dans les conséquences de ce contexte, où pour Guy et Geneviève (Catherine Deneuve) il ne restait plus que mélancolie et regrets de ce qui aurait pu être, chacun retournant à sa nouvelle vie. Dans Une chambre en ville, la fièvre de ce contexte social se répercute aussi sur la romance. Là où les ouvriers jouent leur va-tout face aux hordes de policiers menaçants, il en va de même pour le couple que forment Edith (Dominique Sanda) et François (Richard Berry).

L’absence d’étincelle romanesque les poussent chacun dans une volonté autodestructrice tandis qu’ils se montrent éteints dans la vie de couple normée que la société veut leur imposer. Edith étouffe au contact d’un époux jaloux et violent (Michel Piccoli) et s’évade par l’excès symbolisé par sa provocante « non » tenue vestimentaire, passant le film nue sous un manteau de fourrure à provoquer les hommes. François évacue sa frustration dans la violence des manifestations, et se montre sans réelle passion pour la douce Violette (Fabienne Guyon) pressante dans ses envies de mariage. Le coup de foudre d’Edith et François est donc aussi la connexion de milieux sociaux qui n’auraient jamais dû se croiser, la passion est également un oubli de ce statut à travers Edith devenant s'offrant comme une prostituée.

Le travail de Demy sur la caractérisation de leur entourage respectif appuie cela, la différence ne signifiant pas de montrer l’un ou l’autre sous un jour négatif. Malgré son tempérament capricieux, c’est la profonde solitude du personnage de la mère jouée par Danielle Darrieux qui frappe, chaque fin de phrase un peu mesquine étant marquée par une expression, un hoquet qui fait craindre le rejet et l’abandon. Le collègue incarné par Jean-François Stevenin transpire également la bienveillance et l’humanité.

S’il ne place aucune chanson aussi marquante que les classiques de Michel Legrand, Michel Colombier capture parfaitement l’ambiance mortifère du récit. Les dialogues chantés, dans le jeu sur la répétition et l’intensité des mots traduisent la passion effrénée et morbide de l’histoire. La mise en scène de Demy confère une imagerie austère à cette ville de Nantes, où tous les éclats de couleurs (les robes de Violette, l’appartement bourgeois de Danielle Darrieux) traduisent un monde factice et contraint dont il faut s’extraire. Il n’est plus question d’accepter les aléas du destin et vivre sa vie comme dans Les Parapluies de Cherbourg, mais de vivre intensément sa passion jusqu’au bout. Cela passe par la disparition des codes de la comédie musicale pour une dimension plus opératique (Demy déclina d'ailleurs une proposition de l'Opéra de Paris de mettre en scène l'opéra de Jean-Philippe Rameau Platée, preuve qu'il penchait dans cette direction) et funèbre.

La fièvre des personnages fonctionnent ainsi sur une pulsion de mort quand l’amour leur échappe, que ce soit dans un élan autodestructeur pour Michel Piccoli, où profondément romantique avec Edith et François. L’autre ne se quitte ou ne se rejoint pour l’éternité que dans la mort pour Demy, la radicalité de l’environnement social se conjuguant à celui d’une expression absolue du romantisme. Le froid réalisme se mêle avec une fatalité plus mystique notamment par les prédictions funestes de la voyante. L’attente fut longue mais le résultat est là pour un Demy qui n’atteindra plus ces hauteurs, et certainement pas avec le kitchissime Parking (1985) à venir. 

Sorti en dvd zone 2 chez MK2 et disponible sur Netflix