Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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vendredi 16 février 2024

Au feu, les pompiers ! - Hoří, má panenko, Milos Forman (1967)


 Dans une petite ville de Tchécoslovaquie le bal annuel du corps des pompiers volontaires se prépare. Ce sera l'occasion de remettre la Hache d'or à l'ancien chef des pompiers, âgé de 86 ans. Le comité a prévu un bal, mais également une tombola et l'élection de miss Pompiers. Les prix de la tombola sont volés peu à peu, en commençant par ceux consistant en nourriture.

Au feu les pompiers ! est le dernier film réalisé par Milos Forman en Tchécoslovaquie. En effet, alors qu’il effectue la promotion du film à travers l’Europe, les chars soviétiques pointent le bout de leurs canons en Tchécoslovaquie et mettent fin à la parenthèse enchantée du Printemps de Prague. Comme un symbole avant-coureur, c’est donc avec Au feu les pompiers que Forman va signer sa farce la plus corrosive. Isolé dans la campagne tchèque avec ses coscénaristes Ivan Passer et Jaroslav Papoušek, Forman a l’occasion d’observer le bal des pompiers d’une petite ville. Les situations et figures pittoresques en présence stimulent l’imagination des scénaristes qui vont par la suite approfondir la question échangeant avec les pompiers à la taverne locale, le temps de recueillir quelques anecdotes croustillantes.

Forman voit dans ce « spectacle » une sorte d’instantané de la situation du pays qu’il va croquer dans une satire hilarante. Le microcosme de ces pompiers va ainsi s’avérer l’allégorie de la bureaucratie et une allusion à différents scandales politiques ayant secoués le pays. Le président Antonín Novotný et du Parti communiste se sentent visés à juste titre et manifestent leur mécontentement tandis que les pompiers menacent de faire grève. Forman use de tous les artifices à disposition pour dénoncer la corruption et les petites mesquineries ordinaires par le prisme de ce groupe de pompiers vieillissant. Le culte du chapardage et de l’individualisme est fustigé lorsque les lots d’une tombola organisée dans le cadre du bal disparaissent mystérieusement, les pompiers autant que les danseurs faisant office de suspects dans un pays souffrant de dénuement quant aux produits de première nécessité. La solidarité est une façade hypocrite lorsque le but du bal s’avère un geste envers l’ancien président des pompiers (et un tordant pied de nez final), mais en pratique un mot (et un sentiment) que l’on cherche lors de l’hilarant discours d’entraide d’un pompier.

L’organisation d’un concours de beauté en parallèle permet de fustiger de manière sous-jacente la corruption du régime, les candidates entrant ou sortant de la liste au gré des amitiés nouées, et prête à tout pour concourir y compris un strip-tease. Les pompiers sont des libidineux facilement corruptibles, et les beautés sont volontairement affublées de physique disgracieux comme pour traduire la laideur de la société par le visage de ceux et celles qui la composent. La misère est un état qui se regarde de loin, à l’image de ce grand-père dont l’incendie de la maison devient un spectacle auquel on assiste indifférent, prétexte au commerce et à l’exploitation. Forman n’épargne rien ni personne dans ce brûlot dévastateur qui, s’il trouve une construction narrative plus classique que ses œuvres précédentes, se montre fort inventif formellement dans son grotesque et baigne ses assauts d’une chatoyante photographie couleur (une première pour Forman) de Miroslav Ondříček. 

L’exploitation locale du film sera en partie sabotée même si la censure n’a pas encore cours dans cette liberté d’avant l’invasion soviétique. A l’international et notamment en France, il faudra le support des amitiés de Claude Chabrol et François Truffaut pour rendre le film visible. Déjà en discussion pour entamer un début de carrière américaine, Forman va ainsi de fait franchir le pas avec Taking Off (1971) puis aller vers les grandes réussites que l’on sait. 

Sorti en bluray français chez Carlotta 

Extrait

mercredi 14 février 2024

Walk a Tightrope - Frank Nesbitt (1963)


 Après avoir abattu un homme à son domicile, le meurtrier clame avoir été embauché par la femme du mort afin de réaliser ce contrat....

Walk a Tightope est un thriller plutôt habile, qui brille par un postulat de départ déroutant même si pas pleinement exploité. Le scénario de Neil McCallum oscille entre récit social et suspense imprévisible dans une remarquable introduction. Ellen Sheppard (Patricia Owens) est une jeune femme aux abois, ressentant comme la présence d'un homme mystérieux qui la traque dans les ruelles londoniennes. Se réfugiant dans un bar pour échapper à son supposé poursuivant, elle y croit par hasard son mari Jason (Terence Cooper) dont la présence, au lieu de la rassurer amplifie sa terreur. De retour chez eux, le fameux suiveur se manifeste et abat froidement Jason d'un coup de revolver, avant de réclamer son dû à Ellen dont il affirme qu'elle l'a engagé pour ce meurtre.

L'introduction brossant un portrait tendre et désespéré de Lutcher (Dan Duryea), l'assassin, ainsi que de la misère dans laquelle il vit ne nous prépare absolument pas à son acte et suscite plutôt l'empathie avant de comprendre le "boulot" pour lequel il abandonne momentanément sa compagne. D'un autre côté la réaction apeurée voire hystérique d'Ellen se croyant suivie, puis le désarroi sincère face au corps inanimé de son époux sème le doute. Comment cette femme sincèrement accablée peut-elle être la commanditaire du crime. 

La vulnérabilité de Patricia Owens tout comme la bonhomie de Dan Duryea rendent insoluble la solution pour le spectateur, d'autant que Frank Nesbitt s'y entend pour déployer habilement l'angoisse urbaine et paranoïaque durant la traversée de la ville, puis faire brutalement exploser la violence lors du meurtre. La surprise est totale et impossible d'anticiper ce que la suite nous réserve, avec son tueur pas assez patibulaire et sa commanditaire trop sincère et vulnérable, pas assez femme fatale. Il y a presque trop de possibilités dans les directions que pourrait prendre l'histoire et malheureusement, passé cet sidérante entrée en matière, on retourne sur des rails plus conventionnels.

A une séquence de procès gérant plus ou moins bien l'ambiguïté initiale succède une résolution totalement expédiée, qui ne doit son originalité qu'à cette caractérisation surprenante d'Ellen, mais se montrant d'une platitude absolue au niveau de l'exécution. Reste donc une Patricia Owens très touchante, même lorsque vient l'heure des timides révélations.

Disponible en streaming sur myCanal

dimanche 11 février 2024

L’Invasion des morts-vivants - The Plague of the Zombies, John Gilling (1966)


 Dans un petit village des Cornouailles, de nombreuses morts inexpliquées attirent l’attention du professeur Forbes, qui vient accompagné de sa fille Sylvia. Venant en aide au docteur du village, ils découvrent le comportement renfermé des habitants et font la connaissance d’un châtelain mystérieux, Lord Hamilton.

L’Invasion des morts-vivants est une production Hammer qui, dans son esthétique, ses thèmes ainsi que sa narration fait le pont entre une certaine tradition du cinéma fantastique, les codes du studio et les évolutions à venir du genre. Le scénario de Peter Bryan est le premier à aborder la figure du zombie, même si en théorie elle plane sur d’autres productions antérieures notamment le cycle Frankenstein. Deux ans plus tard George Romera va réinventer l’imaginaire associé au zombie avec La Nuit des morts vivants (1968), y ajoutant une dimension politisée en écho avec la situation d’alors aux Etats-Unis, mais également une esthétique plus réaliste, organique, le lésinant pas sur les effets les plus sanglants et gore. L’Invasion des morts-vivants parait lui davantage creuser le sillon amorcé par Jacques Tourneur dans son légendaire Vaudou (1943). Le folklore associé au cadre exotique et inquiétant d’Haïti, les rituels issus de la magie noire et la présence d’une menace invisible, indicible et ancestrale constituent les apports majeurs de la vision de Tourneur et son producteur Val Newton au sein de la RKO. 

Le film de John Gilling s’inscrit pleinement dans cet héritage, même s’il parvient à trouver son propre ton. L’intrigue se déroule en effet en Angleterre, dans la région des Cornouailles, et l’exotisme des cultes ramenés de contrées lointaines se teinte ici d’une veine colonialiste. Celle-ci s’exprime de diverses manières, tout d’abord l’analogie explicite à l’esclavage durant toutes les scènes où les zombies sont exploités et malmenés dans les mines. C’est aussi par l’usage, le vol de rites et artefacts d’anciennes colonies (même si Haïti ne fut pas une colonie anglaise) une manière de déplacer l’exploitation qui fut faite dans celle-ci au sein d’un modeste village anglais. Les autochtones sont sous le joug de Clive Hamilton (John Carson), un châtelain mystérieux prolongeant l’ascendant de classe d’une certaine aristocratie anglaise par les éléments gothiques traditionnels et un folklore venu d’ailleurs. Le recyclage d’éléments d’intrigues de récits gothiques issus de la littérature tout comme des précédents films de la Hammer jouent explicitement là-dessus – des situations rappelant Dracula de Bram Stoker, des éléments de scénario revisitant entre autres La Gorgone de Terence Fisher (1964), ou La Femme-reptile de John Gilling se déroulant déjà dans les Cornouailles.

Plus tard durant cette année 1966, la Hammer aborde de nouveau l’horreur par le prisme de la magie noire dans Pacte avec le diable de Cyril Frankel. On y retrouve cet exotisme, ce spectre du colonialisme cette fois venu d’Afrique représentant un ailleurs coupable, mystérieux et inquiétant dont le souvenir trouble s’incarne une fois de plus aux Cornouailles. Le film de Frankel restait à son tour figé dans une certaine vision dépassée, tout en s’inscrivant dans une modernité réactionnaire puisque les ensorcelés arboraient les traits et les manières des hippies. L’Invasion des morts-vivants souffre donc de ces maux avec un thème certes nouveau pour la Hammer, mais figé dans les archétypes narratifs et formels de son passé et du cinéma fantastique au sens plus large. Cela est renforcé par le budget modeste du film, destiné à être un complément de programme Dracula, Prince des ténèbres (1966) et reprenant nombre de décors bien connus de la Hammer – même si réaménagés bien sûr.

Le film se laisse regarder sans déplaisir grâce à la mise en scène de John Gilling allant aussi loin qu’il le peut dans les débordements sanglants (la décapitation, le maquillage putride des zombies) et amorçant subtilement les mécaniques de prédation sexuelle, de domination de classe – Clive Hamilton se rapprochant imperceptiblement pour prélever le sang de Sylvia (Diane Clare). Néanmoins, une œuvre comme Les Vierges de Satan de Terence Fisher (1968) saura tirer vers quelque chose de plus inédit et imprévisible ce motif de la magie noire, en abandonnant le fatras exotique pour revenir à un paganisme plus anglo-saxon raccrochant le mythe et la modernité – de Rosemary’s Baby (1968) à The Wicker Man (1973) en somme. 

Sorti en bluray français chez Tamasa

samedi 10 février 2024

Comfort and Joy - Bill Forsyth (1984)


 Un animateur de radio locale à Glasgow se retrouve mêlé à une rivalité entre deux marchands de glaces.

Après les deux attachantes chroniques adolescentes That sinking feeling (1979) et Gregory’s girl (1980), Bill Forsyth avait brillamment fait passer ses intrigues à l’âge adulte avec le succès de Local Hero (1983). Comfort and Joy poursuit cette voie, retrouvant l’univers et les personnages décalés chers au réalisateur écossais. Alan « Dicky » Bird (Bill Patterson) est un animateur radio à succès coulant de jours heureux avec son excentrique petite amie Maddy (Eleanor David), jusqu’à la brutale rupture de cette dernière le soir de noël. La scène est aussi cruelle qu’hilarante, Alan constatant la rupture avec l’arrivée des déménageurs venu chercher les meubles de Maddy qui a « oublié » de l’avertir. Le moral au plus bas dans un appartement vide, Alan semble prêt à céder à la première jeune femme venue daignant lui accorder un sourire durant ses errances où, en rachetant le nécessaire pour son logis, il doit aussi se reconstruire, se réinventer – élément renforcé par la monotonie de son métier de radio. 

C’est ainsi qu’il va suivre le camion d’une vendeuse de glace qui lui a semblé amicale, et être témoin de l’agression d’hommes cagoulés sur le commerce. Ce postulat s’inspire d’une vraie affaire criminelle qui défraya la chronique quand deux entreprises de marchands de glace de Glagow se livrèrent une guerre sans merci. Dans la réalité, il s’agissait d’une véritable guerre des gangs mafieux qui dissimulaient sous la vente de glace un trafic de drogue et se disputaient ainsi les espaces de vente en disséminant leur camion. Bill Forsyth se déleste de tout cet arrière-plan (qui mériteraient presque une version « sérieuse ») de polar pour quelque chose de plus léger. Alan se trouve malgré lui à devenir l’intermédiaire entre les deux concurrents afin d’arriver à une coexistence plus apaisée. 

Il y a une dimension amusante dans la caractérisation pittoresque des mafieux locaux qui n’évite cependant pas le cliché, mais l’environnement austère écossais amène un certain décalage original et la tonalité douce-mère ne manque pas de charme. L’abattage de Bill Paterson passant de la loque dépressive au « consigliere » des glaciers fait mouche et Bill Forsyth est très bon pour façonner des situations décalées, notamment lorsque Alan fixe des rendez-secrets dans des messages cryptés durant son émission de radio.

On passe donc un moment relativement agréable, mais il manque le soupçon de charme, d’originalité et d’invention formelle des précédents films de Forsyth. L’intrigue tire en longueur (les vas et vient de négociations d’une famille à l’autre finissent par lasser) et l’écriture semble moins affutée, notamment la conclusion résolvant artificiellement le conflit et oubliant en route la romance. Petite déception donc, mais en tout cas on rêve un peu d’un polar premier degré sur la guerre des glaciers de Glasgow !

Sorti en bluray anglais doté de sous-titres anglais chez StudioCanal

jeudi 8 février 2024

La Bête - Bertrand Bonello (2024)


 Dans un futur proche où règne l’intelligence artificielle, les émotions humaines sont devenues une menace. Pour s'en débarrasser, Gabrielle doit purifier son ADN en replongeant dans ses vies antérieures. Elle y retrouve Louis, son grand amour. Mais une peur l'envahit, le pressentiment qu'une catastrophe se prépare.

Un certain pan de la filmographie de Bertrand Bonello le montre se faire le peintre d’une forme d’aliénation de l’individu à travers les époques. Il l'observe à travers la condition féminine oppressée de L'Apollonide (2011),  la jeunesse agitée et en plein doute de Nocturama (2016) ou encore le rite et la malédiction vaudou de Zombi Child (2019). Le réalisateur parvient à chaque fois à conjuguer questionnement social aux résonances contemporaines avec une dimension existentielle, le pont entre les deux se faisant par l’incarnation d’un lieu. Le féminisme entrait en résonance avec l’espace de la maison close dans L’Apollonide, tous les doutes et contradictions des apprentis terroristes de Nocturama se matérialisaient dans la galerie marchande où ils s’étaient réfugiés, et la dimension mythologique du vaudou, politique du passé d’Haïti trouvaient un écho inattendu avec les amours adolescentes au sein d’un pensionnat. Bonello prolongera cette approche avec la chambre de la jeune fille de Coma (2022), exercice intéressant mais inabouti qui cependant annonçait la réussite majeure que serait La Bête.

Le récit ambitieux a pour base le court roman La Bête dans la jungle d’Henry James. Le roman dépeignait la romance avortée mue en amitié ambiguë de deux personnages. John Marcher, rongé par l’angoisse qu’un grand malheur le guettait, choisissait d’en rester à une relation platonique avec May Bartram, réalisant trop tard qu’il était passé à côté du grand amour de sa vie. John Marcher est un personnage typique d’Henry James, tout en atermoiements, émotions refoulées, aussi agaçant que fascinant pour le lecteur. Bertrand Bonello prend le postulat du roman pour le tirer vers une réflexion plus vaste sur la place des affects dans nos sociétés passées, présentes et futures. La trame principale se situe dans un futur proche où justement les affects, considérés comme la cause de tous les maux passés de l’humanité, sont désormais étouffés. Pour accéder à de hautes fonctions, il s’agit de se délester des derniers résidus de cette « faiblesse » grâce à un système purifiant notre ADN en nous réincarnant dans nos vies antérieures. La jeune Gabrielle (Léa Seydoux), attachée à ses émotions, hésite à céder à cette injonction mais va néanmoins tenter l’expérience. Nous avons un aperçu saisissant de ce futur à la fois loin et proche, où l’on déambule à l’extérieur avec une sorte de masque à oxygène dissimulant notre visage, dans lequel l’amitié et les confidences se font à une intelligence artificielle (Guslagie Malanda, l’accusée de Saint Omer (2022)) ou à une « amie » que l’on n’a jamais rencontrée (Julie Faure). Bonello propose dans cet avenir un prolongement non contraint des relations et interactions telles qu’elles ont pu évoluer après l’épidémie du covid, radicalisant et normalisant les liens distendus nés des nouvelles habitudes de ce moment. L’épure des environnements et de la technologie se conjugue au minimalisme des sentiments et, la visite de ses vies antérieures place ainsi l’héroïne et le spectateur face à l’espérance ou l’impossibilité de l’élan romanesque.

Le segment se situant en 1910 est le plus fidèle au roman d’Henry James, mais l’anxiété et la peur d’une menace indicible sont désormais porté par la femme (Léa Seydoux) tandis que la tentation de la romance est représentée par l’homme (George MacKay). Bertrand Bonello déploie un espace chatoyant, fait de la rencontre une déambulation douce et feutrée facilitant les confidences, et la réalité du monde extérieur offre une imagerie divinement poétique avec ce Paris submergé par les crues. La digue des carcans intimes semble prête à céder malgré les hésitations, mais les amants ne pourront être réellement réunis que d’une façon tragique. Cependant, les sentiments sincères et l’appel de l’imprévisibilité du romanesque semblent encore vivaces dans ce passé, même doté d’une issue funeste, porté par les tableaux macabres et romantiques de Bonello – magnifique image des corps flottants et inanimés bien qu’enfin réunis.

La partie située en 2014 adopte une artificialité par l’univers dépeint (le monde du mannequinat), la ville des apparences et des relations factices qu’est Los Angeles (l’embryon d’amitié aussi vite noué qu’avorté entre Léa Seydoux et un autre mannequin) et le vrai fait divers en germe puisque le personnage de George MacKay s’inspire du véritable jeune auteur d’une tuerie dans ce quartier à cette période. La solitude et la distance entre les individus, la domination des apparences se ressentent dans les errances de Léa Seydoux, sa silhouette isolée dans l’immense demeure qu’elle garde, les danses solitaires et le dialogue impossible dans les boites de nuits bondées. Nous sommes désormais dans un monde connecté et saturé où le lien à l’autre est impossible, dans lequel le refuge se trouve devant les écrans après un retour seule de soirée. Léa Seydoux en représente le versant mélancolique, et George MacKay la part névrosée puisqu’il confie son mal-être aux réseaux (Bonello reprenant les vraies tirades du meurtrier avant son passage à l’acte) mais se montre incapable de répondre à l’invitation sincère de Gabrielle. L’attente du romanesque est donc bien là, mais sa concrétisation impossible à cause des baumes artificiels (écrans, drogues, biens matériels) que nous avons érigés pour faire face à nos solitudes. 

Bertrand Bonello, par les rencontres impromptues de Léa Seydoux et George MacKay dans le monde futur entre deux sauts dans le passé, pose les bases d’un possible romanesque même dans cette ère aseptisée. L’impact de cette rencontre influence les visions de vie antérieures et crée une sorte de fil rouge mystique, bercé de karma et de destinée (la récurrence de la figure de la voyante dans chaque niveau de réalité), qui rend le rapprochement inéluctable malgré les obstacles. Léa Seydoux dégage quelque chose d’assez unique pour exprimer cette vulnérabilité, ce sentiment d’attente, quand George MacKay paraît bien plus énigmatique. Tout appelle donc à transcender par les affects vivaces et le romanesque ce futur froid, même si la conclusion nous réservera une fatidique surprise. Bonello saisit vraiment quelque chose de notre individualisme 2.0 par lequel le lâcher-prise, le risque et l’abandon à l’autre apparaissent comme des passages amenés à disparaître. 

L’amour n’est plus empêché par les ressorts de la fiction et du mélodrame (Bonello assumant scruter son héroïne mais aussi l’actrice Léa Seydoux qui l’incarne) ou les aléas de la vie, mais par un sens des priorités plus froid et terre à terre. Un constat qu’il est d’ailleurs amusant d’observer dans les tentatives de romance et mélos récents, par exemple l’histoire d’amour du film Past Lives (2023) avortée avant de l’avoir tentée car aucun des amoureux n’est prêt à brièvement abandonner sa vie et ses projets pour simplement rencontrer l’autre. Une réaction impossible dans des postulats romantiques voisins comme Before Sunset ou même La la land (2016) dont l’amertume ne naît qu’après avoir essayé et échoué à s’aimer. Bonello a compris que le renoncement aux affects et le choix du pragmatisme représentent notre avenir, avec ce film captivant offrant une sorte de pendant moderne et désabusé à L’Année dernière à Marienbad (1961) ou Je t’aime, je t’aime (1968) d’Alain Resnais dont il partage les vertiges mentaux.

En salle

mercredi 7 février 2024

This love of mine - Wo de ai, Chang Yi (1986)

Les angoisses d'une femme s'exacerbent lorsqu'elle apprend la liaison adultère de son époux.

Chang Yi est un réalisateur bien moins connu que les célébrés Hou Hsiao-hsien et Edward Yang, parmi les grandes figures de la Nouvelle vague taïwanaise. Il s'agit même d'un des artistes pionniers du mouvement puisqu'il participa au mythique et fondateur film à sketches In Our Times (1982) - marquant les débuts d'Edward Yang - pour lequel il réalisa le segment Say your name dans lequel joue Sylvia Chang. Sa carrière se limite à trois long-métrages (Jade Love (1984), Kuei-mei, a Woman (1985) et This Love of Mine ) qui furent célébré par la critique à leur sortie (Kuei-mei, a Woman remporta notamment le Golden Horse Award du meilleur réalisateur) mais un scandale de mœurs interrompit son ascension. Nouant une relation adultère avec son actrice fétiche Yang Hui-shang, il fut forcé de s'éloigner du monde du cinéma (ainsi que Yang Hui-shang) auquel il ne revint que tardivement pour signer deux films d'animation, Black Bum (2005) et A Dog’s Life (2018) avant de s'éteindre en 2020.

This love of mine poursuit l'observation de la condition féminine taïwanaise abordée dans ses deux précédents films. Le récit s'ouvre sur une tranche de vie familiale où se ressent déjà la tension à venir. Liang (Yang Hui-shang) et son époux Yeh (Hsia-Chun Wang) se rendent chez le dentiste avec leurs enfants mais, face aux cris et à la peur de leur fillette de passer entre les mains du docteur, Liang au grand dam de Yeh s'interpose et empêche la consultation. Ce moment presque anodin, du fait de la réaction et le langage corporelle crispé de la jeune femme, trahit une crainte de tout ce qui viendrait troubler l'harmonie de son bonheur familial. Cette appréhension se prolonge à travers les différents TOC dont elle semble souffrir, maladivement attentive à tout risque de saleté et autres pollutions pouvant affecter ses enfants. Une terrible nouvelle vient bientôt troubler ce paisible édifice intime, lorsqu'une amie d'enfance vient la prévenir que sa jeune sœur entretient une liaison avec son mari. En confrontant son époux, Liang a de nouveau une réaction hystérique où la tromperie apparaît autant comme une trahison intime que comme une de ces fameuses infections toxiques ayant pénétré son foyer, malgré toutes ses précautions.

Chang Yi associe ainsi les TOC de Liang à un sentiment d'insécurité maladif, tenant lieu de profond trouble psychique. Le réalisatrice traduit ce mal par la prison mentale et sociale qui va rendre l'héroïne incapable de répondre dignement à cette situation. Ce sera tout d'abord une colère légitime qui l'animera, refusant tout contact avec son époux et cherchant déjà l'émancipation en envisageant le divorce, en cherchant un logement et un emploi. La douloureuse réalité se rappelle alors à Liang, femme au foyer sans qualification, elle est incapable pour le moment de subvenir à ses besoins sans son mari. Cela constitue certes un obstacle, mais auquel Liang cède immédiatement en retournant penaude au domicile conjugal. Toutes les figures féminines du film renvoient en fait à ce schéma aliénant pour la femme envers l'homme. L'amante du mari (Cynthia Khan future star du girls with gun hongkongais surprenante ici dans un rôle plus introverti), amoureuse transie, soumet son amant à un véritable chantage affectif en menaçant de se suicider s'il ne divorce pas. Des dialogues et situations subtiles laissent entendre que la mère de Liang est tout autant sous le joug de son époux (et beau-père de Liang depuis le décès de son père dans son enfance), cette dernière recommandant d'ailleurs à sa fille de pardonner et retrouver son Yeh. Enfin An-ling (Elten Ting), l'amie d'enfance en apparence indépendante, semble encore avoir des relations intimes avec le mari dont elle a divorcé. 

Liang semble donc être l'ultime et tragique itération de cet impossible émancipation féminine. Le monde extérieur n'a plus lieu d'être si l'on pas la présence d'un homme pour nous y accompagner, comme le montre les séquences d'errance urbaine dans un Taipei que Liang préfère fuir pour se réfugier dans des espaces clos, fuyant les regards. La féminité même n'a plus de raison d'être une fois disparu celui pour lequel elle était entretenue, Liang mutilant au rasoir sa belle et longue chevelure, abandonnant les robes d'été seyantes du début de film pour des tenues plus informes. Chang Yi accompagne cela par l'idée d'une geôle psychique dans laquelle est enfermée Liang par des longs plans fixes, des multiples cadres dans le cadre dont elle se trouve au centre, immobile, incertaine, dépourvue de toute raison de vivre. 

Le réalisateur confère aux différents environnements, particulièrement les espaces intimes comme l'appartement, un aspect froid et factice dans le choix du mobilier (Yeh étant décorateur d'intérieur), la gamme chromatique neutre et opaque des arrière-plans. Il y a comme une volonté de donner une texture presque publicitaire à ces lieux pour révéler la supercherie d'un bonheur qui n'a jamais réellement existé. Plus l'on approche de la fin, plus le domicile familial semble plongé dans la pénombre et Liang s'abandonner aux ténèbres, transformant ce qui fut l'illusion du havre domestique en mausolée morbide. Cette symbolique formelle prend un tour plus concret dans une dernière scène absolument glaçante, un "tableau" de réunion familiale tétanisant de noirceur. La prestation hallucinée de Yang Hui-shang hantera longtemps après le visionnage, elle apparaît comme une devancière à la Julianne Moore du Safe de Todd Haynes (1995).
 

Sorti en bluray chinois doté de sous-titres anglais

dimanche 4 février 2024

Eaux profondes - Michel Deville (1981)

À Jersey, Mélanie (Isabelle Huppert) et Vic (Jean-Louis Trintignant) forment un couple particulier, même s'ils sont bien intégrés dans la population locale. Mélanie séduit d'autres hommes et Vic regarde son épouse dans les bras des autres, sans manifester extérieurement la moindre jalousie. Il s'arrange toutefois pour faire peur aux prétendants et les éloigner de sa femme.

Eaux profondes marque les retrouvailles de Michel Deville avec Jean-Louis Trintignant qu'il avait dirigé sept ans plus tôt dans Le Mouton enragé (1974), mais aussi avec un projet avorté de la même période, l'adaptation du roman éponyme de Patricia Highsmith. A 1980, Michel Deville est dépêché par Stanley Kubrick en personne pour effectuer le casting et diriger le doublage de son Shining (1980). Deville sélectionne Jean-Louis Trintignant pour doubler Jack Nicholson et c'est ainsi l'occasion de renouer le contact avec l'acteur et discuter des projets en cours, d’une nouvelle collaboration éventuelle. Michel Deville vient à ce moment-là de remanier un ancien script écrit avec Christopher Frank adaptant le roman de Patricia Highsmith, initialement abandonné faute d'avoir réussi à rendre le personnage féminin consistant. Deville cerne mieux les scories de ce premier jet à la relecture et rend selon lui l'ensemble plus intéressant, au point de proposer le premier rôle masculin à Trintignant.

Le film aurait tout aussi bien s'appeler Eaux troubles, tant brille ici l'ambiguïté dont Patricia Highsmith est capable. Nous suivons la relation de couple étrange liant Mélanie (Isabelle Huppert) et Vic (Jean-Louis Trintignant), la première s'avérant en constante recherche de flirt ou d'aventures adultère aux yeux de tous, et ce avec l'apparent assentiment de son mari. Les choses s'avèrent plus complexes durant la scène d'ouverture, montrant la danse langoureuse de Mélanie avec son amour du moment sous le regard de Vic. Ce dernier va cependant refroidir les ardeurs du prétendant par une tirade menaçante assénée avec le sourire, sous-entendant le sort funeste des précédents amants de sa femme. Tout le film est une variation de cette introduction, montrant tour à tour Vic ou Mélanie à leur avantage, la seule différence se faisant sur les conséquences criminelles de ce jeu dangereux. 

La mise en scène de Michel Deville sème le doute entre le degré de conflit, de défi et de complicité de ces situations. Sous ses airs avenants, on sent la jalousie ronger Vic incarné par un Trintignant dont la fascinante opacité permet de projeter une gamme variée de sentiment. Mais d'un autre côté, Mélanie tout affairée qu'elle soit avec un nouvel homme, n'oublie jamais de guetter par un regard en coin la réaction de Vic à son comportement. Cette zone grise entre jeu amoureux et réelle tension conjugale passe par la mise en scène de Deville. Les panoramiques passant de Vic seul, stoïque et meurtri à Mélanie, lascive et sensuelle dans les bras d'un autre laisse entendre cette complicité implicite, quand les champs contre champs plus frontaux et jouant sur les gros plans des visages signifieraient au contraire une jalousie plus ordinaire mais contenue.

Michelle Deville exploite cette tension également dans l'intimité du domicile conjugal, où la place de chacun est incertaine. Vic prête une attention "paternelle" à une Mélanie femme-enfant dans plusieurs situations (la déshabillant avant le coucher, lui apportant le petit-déjeuner) quand Marion (Sandrine Kljajic), la vraie enfant du couple, semble avoir une vraie acuité et maturité pour observer, désamorcer les conflits en germe de ses parents - et a par ce biais davantage le rôle d'une mère et épouse dans la cellule familiale. 

Il n'y a pas de réel suspense ou de notion de thriller lorsque le crime intervient, tant par une sorte de complicité de classe implicite de cette société de Jersey ne souhaitant pas incriminer l'un des leur, que par cette dynamique insaisissable unissant Vic et Mélanie (cet échange final, "J'ai eu peur", "Moi aussi" se prêtant à toutes les interprétations). Ils ne se poussent mutuellement au bord du précipice (la métaphore finale de la falaise) que pour mieux se retrouver, sans qu'aucun n'envisage sérieusement la solution la plus logique d'une séparation. La dernière scène dépeignant un paisible retour dans la demeure familiale entérine cette zone grise uniquement connue de ce couple singulier.

Sorti en bluray français chez Gaumont

vendredi 2 février 2024

La Reconquista - Jonas Trueba (2016)


 Quinze ans après avoir vécu leur premier amour d’adolescents, Manuela et Olmo se retrouvent, comme ils se l’étaient promis. L’espace d’une soirée, dans la nuit madrilène hivernale, ils revivent leur histoire et nous plongeons avec eux dans leurs souvenirs de jeunesse, à l’époque légère du lycée, mais aussi dans leur réflexion mature d’adultes sur les sentiments et la conscience du temps.

Quatrième long-métrage de Jonas Trueba, La Reconquista affirme le réalisateur comme une sorte de Richard Linklater espagnol. On retrouve chez lui cette thématique du rapport au temps, cet amour du dispositif narratif étiré ou resserré, et la manière dont ce dernier point fait osciller les films entre fiction et documentaire. En revanche Trueba se déleste de la patine pop, vintage et parfois nostalgique dont peut faire preuve Linklater à travers des récits intimes et romanesques à l'inspiration plus européenne, Éric Rohmer en tête. La Reconquista renoue ainsi avec l'observation du spleen amoureux de trentenaires vu dans Les Exilés Romantiques (2015), mais davantage sous l'angle des retrouvailles et du souvenir plutôt que de la quête. Manuela (Itsaso Arana) et Olmo (Francesco Carril) se retrouvent, adultes et trentenaire, le temps d'une soirée, quinze après ce qui fut leur premier amour durant l'adolescence. Durant la première scène, le premier geste de Manuela après les salutations badines est de remettre à Olmo de lui qu'elle a retrouvé, écrite au plus fort de leur passion juvénile. Nous n'en connaitrons pas le contenu sur le moment et devront nous contenter de la réaction surprise et détachée d'Olmo ne se souvenant plus l'avoir rédigé, et reconnaissant presque un autre que lui-même en se lisant.

La première moitié du film se déroule dans l'unité de temps de cette soirée de retrouvailles, et observe la proximité croissante, la complicité progressivement ravivée entre Manuela et Olmo. La nature des échanges nous permet de deviner le changement opéré chez eux entre l'adolescence et l'âge adulte. Olmo semble être le plus fragile, celui ayant le plus souffert de la rupture, mais aussi celui davantage sur la réserve durant la discussion où il se confie peu. On soupçonne que cela est autant dû à une retenue par laquelle il s'interdit de fragiliser la stabilité de sa situation de couple actuelle, mais aussi dans la continuité de sa réaction stoïque à la lettre, de ne plus exposer son ancien "moi" innocent et romantique pour ne pas souffrir. Manuela raconte quant à elle sa vie sentimentale plus agitée, ses multiples ruptures et retrouvailles avec le même homme, son exil à Buenos Aires, puis son célibat actuel dans lequel elle multiplie les amants d'un soir. 

L'épanchement désinvolte de l'une tout comme le renfermement de l'autre dissimulent cependant le sentiment d'inachevé implicite de leur histoire. Les silences, les quelques mots aigres subrepticement lâché et les vexations discrètement enfouies expriment cela, comme lorsque Olmo dit à Manuela qu'il n'est pas étonné de ses relations éphémères. Cette dernière semble le prendre avec amusement, mais s'éclipse aux toilettes après la saillie, et l'on ressent comme une gêne entre eux après cet instant. Jonas Trueba filme tout cet échange faussement détendu en long plan fixe continu, comme une attente mutuelle que l'autre brise la glace et sorte de sa posture.

C'est l'absence d'échange direct qui va raviver le lien lorsqu’ils quittent le bar anonyme pour une salle de concert où joue le père de Manuela. Celui-ci est interprété par le vrai musicien espagnol Rafael Berrio, qui illuminera d'ailleurs plus tard la bande-originale du magnifique Qui à part nous (2022) de Jonas Trueba. Le travail sur les lumières crée un écrin chaleureux et intimiste plus authentique que la neutralité (reflétant le rapport des personnages à ce moment-là) du bar précédent, l'environnement et notamment les très expansifs couples constituant la clientèle facilite la complicité entre Olmo et Manuela. Plutôt que le face à face inquisiteur de la scène et du lieu précédent où rien ne se disait réellement malgré le long dialogue, la proximité physique, le jeu de regard et les sourires laissent enfin quelque chose renaître au sein du "couple". Mais surtout, la douceur folk et les beaux textes de Rafael Berrio offre une poignante résonance aux sentiments qui agitent les personnages à cet instant. 

On comprend que la démarche de Jonas Trueba est une lente et minutieuse entreprise de lâcher-prise pour le duo, culminant dans un nouveau lieu où se terminera la soirée, une salle de danse. Aux cadrages fixes et à la place des mots des deux environnements précédents, Trueba troque une caméra portée plus chaotique capturant des pas de danse qui ne le sont pas moins, et c'est par ce seul langage corporel que l'on voit la flamme d'antan renaître, avec quelque chose en plus - le coincé Olmo entamant une folle et spontanée chorégraphie. Francesco Carril et Itsaso Arana (tous deux acteurs fétiches de Jonas Trueba) excellent à amener, sur des registres retenus puis expansifs, les élans contradictoires de leurs personnages. Francesco Carril a cette gaucherie si touchante à laquelle on peut s'identifier et Itsaso Arana dégage déjà cette présence solaire qui envoutera dans le merveilleux Eva en août (2020) - difficile de ne pas fondre sur le regard qu'elle lance à Olmo lors de la séparation.

Et alors que l'on est déjà comblé par cette bulle à l'issue incertaine à laquelle on vient d'assister, Jonas Trueba nous cueille par un épilogue en flashback revenant justement sur les amours adolescentes des personnages. Là le spectre rohmerien s'estompe pour laisser penser aussi au Eustache de Mes petites amoureuses (1974), notamment lors d'une longue marche toute en appréhension et silences timides. Trueba capture la sensualité naissante, les traits de caractères amorçant la romance puis provoquant sa fin par un travail subtil de mise en scène et direction d'acteurs, les jeunes interprètes (qu'il reprendra sur la fresque adolescente Qui à part nous) parvenant à prolonger par le langage corporel et le phrasé ce que l'on a vu des versions adultes. 

Les mots de la fameuse lettre peuvent enfin être entendus et faire sens, qu'ils restent ensemble ou se séparent, le temps qui passe n'aura jamais prise sur la force des sentiments qui à cet instant précis unissent Olmo et Manuela. Jonas Trueba est parvenu à un équilibre délicat entre flottement du présent (la magnifique scène où la pensée de Olmo divague sur la musique de Rafael Berrio durant son trajet de retour à moto) et incertitude de l'avenir par un regard face caméra final qui exprime autant la maturité enfin atteinte de l'âge adulte, où le renouement avec la candeur des émois adolescents.

Sorti en bluray espagnol et doté de sous-titres français