Suite à l'échec de son suicide, Claude Ridder se voit proposer de participer à une expérience de voyage dans le temps qui n'a été testée jusqu'à présent que sur des souris. Mais l'expérience tourne mal, et Claude entame un voyage aléatoire dans son passé.
Entre Marguerite Duras pour
Hiroshima Mon Amour ou Alain Robbe-Grillet sur
L'Année dernière à Marienbad, Alain Resnais se sera plu à convoquer des écrivains novice du cinéma pour alimenter la touche anticonformiste de ses films.
Je t'aime, je t'aime allait ajouter une nouvelle pierre à l'édifice par sa collaboration avec l'auteur Jacques Sternberg. Plutôt porté sur le fantastique et de la science-fiction, celui-ci s'était fait maître dans l'art de la nouvelle et la capacité à délivrer un récit intense et inventif dans ce cadre restreint. L'idée du scénario co écrit par Resnais et Sternberg sera donc de construire un récit entier sur des moments courts, en creux et anodins. La construction en flashback logique pour une telle entreprise sera donc amenée par le postulat de science fiction que constitue le voyage dans le temps.
On assiste donc à l'étrange destin de Claude Ridder (Claude Rich), un homme dépressif ayant perdu le goût de vivre et qui suite à une tentative de suicide ratée se voit proposer par une équipe scientifique d'expérimenter un voyage dans le temps qui ne durera qu'une minute. Seulement la machine se détraque et au lieu de remonter seulement un an en arrière, c'est sur les vingts dernières années de son existence que va se plonger le héros. Après de premières minutes d'exposition austères et vaporeuses (le trajet en voiture vers le centre scientifique sur la musique hypnotique et inquiétante de Krzysztof Penderecki), le film laisse ainsi la place aux expérimentations narratives et visuelles du duo Resnais/Sternberg. Pour comprendre la structure de
Je t'aime, je t'aime, il faut imaginer l'existence comme un puzzle dont on aurait soudainement mélangé les pièces qui se révèlent donc à nous de manière totalement aléatoire.
Le film alterne donc les émotions qui accompagnent une vie que ce soit la joie, l'amour l'exaltation ou l'ennui. C'est pourtant ce dernier aspect qui domine par le choix des auteurs de ne privilégier que les moments quelconques et sans éclats, notamment ceux où Claude ronge son frein dans des emplois ingrats et ennuyeux. Ce parti pris permet de révéler de manière fragmentée et indirecte ce qui constitue l'enjeu principal, la découverte de la raison du mal être de Claude. L'énigme se révèlera progressivement, notamment au travers de la relation tumultueuse que Claude entretient avec son épouse qui se s'avérera être décédée...
Je t'aime, je t'aime doit une partie de sa réputation à sa narration alambiquée transcendant un récit intimiste et qui ouvre la voie par sa modernité à de grandes réussite à venir comme
Eternal Sunshine of the Spotless Mind,
L'Armée des douze singes (Resnais aura d'ailleurs un projet avorté avec Chris Marker dont
La Jetée inspire ce dernier et c'est lui qui conseillera au réalisateur de travailler avec Sternberg) ou le récent
Inception. Pourtant si le film a pu sembler terriblement nébuleux au spectateur de 1968 on se rend compte que sous l'aspect éclaté Resnais donne toute les clés à la compréhension de son histoire. Profitant de l'idée de la machine détraquée, le montage se fait déroutant avec son jeu sur la répétition des séquences faussement identiques mais avec toujours la légère variante de cadrages ou de positionnement de caméra qui change tout, comme un souvenir qui se transforme. Ces variantes jouent aussi sur la durée des scènes, escamotant ou ajoutant constamment des informations essentielles en début ou fin de séquences de manières impromptues.
Cela concerne notamment l'histoire d'amour entre Claude Rich et Olga Georges-Picot dont on voit le début, l'épanouissement, le lent délitement puis la fin. Tout cela s'exprime dans une dimension onirique fortement prononcée, que ce soit par les apparitions improbables (la charmante jeune femme dans son bain) ou la mise en scène de Resnais comme son choix une fois dans le passé de cadrer constamment Claude Rich au centre de l'image, que la caméra soit en mouvement et l'accompagne ou qu'elle soit statique. Après tout dans nos rêves ne sommes nous pas toujours au centre des évènements ?
Dernier point fort la prestation magnifique de Claude Rich. Sans le moindre artifice de maquillages il parvient par son seul jeu à faire deviner chacune des époques de la vie de son personnages, adulte ou juvénile, heureuses ou triste grâce à une expressivité subtile. Il est l'âme du film et notre guide dans ce kaléidoscope. Un beau film qui constitue une des grandes réussites de l'époque pour Resnais.
Sorti en dvd aux Editions Montparnasse
Extrait
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