Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 22 avril 2025

Akira - Katsuhiro Otomo (1988)


 Neo-Tokyo, an 2019. Détruite trente ans plus tôt par une mystérieuse explosion, la mégalopole japonaise renaît de ses cendres et se prépare à héberger les Jeux Olympiques. Les oubliés de la reconstruction manifestent chaque jour contre le pouvoir en place, tandis que les plus jeunes trouvent refuge dans la drogue et la baston. Parmi eux, Kaneda et Tetsuo, amis d'enfance, et membres d'un gang de jeunes motards. Au coeur des travaux du stade, une section spéciale de l'armée poursuit en grand secret le projet Akira, tandis que les dissidents cherchent à percer le mystère qui se cache derrière ce nom.

En parallèle du succès rencontré par son manga Akira (publié depuis 1982 dans le Weekly Young Magazine, Katsuhiro Otomo avait commencé à faire ses armes dans le monde de l’animation. Il va tout d’abord être sollicité par le réalisateur Rintaro pour être chara-designer sur le film Harmageddon (1983), faire ses premiers pas à la réalisation en signant deux courts segments du film à sketches Robot Carnival (1987), puis briller de nouveau dans le format court avec Stoppez le travail ! excellent troisième sketch du film de SF Manie Manie (1987). Ces expériences le rendent plus réceptif à la possibilité d’une adaptation d’Akira qui lui avait été proposé mais pour laquelle il n’avait pas immédiatement fait montre d’intérêt. 

Dès lors, son exigence et implication pousseront très loin le projet qui par l’ambition et les moyens déployés va révolutionner l’animation japonaise et profondément contribuer à son rayonnement mondial. Le projet va réunir un impressionnant comité de production (comprenant entre autres le fabricant de jouet Bandai, l’éditeur Kōdansha, les studio Toho et TMS) et solliciter les plus grands talents d’alors au sein de la japanimation. Ainsi la TMS va en quelque sorte créer un studio dans le studio (nommé Akira Studio) entièrement consacré au film, et au sein duquel s’intégreront des animateurs externes, notamment ceux du studio Ghibli une fois libéré de leurs obligations sur Mon voisin Totoro (1988). Le budget pharaonique de1,1 milliard de yens est un record pour l’époque, dépassé bien plus tard par Otomo de nouveau sur Steamboy (2004).

La durée de 2h du long-métrage et le fait d’être produit alors que l’œuvre papier est encore inachevée empêche Akira d’avoir totalement l’ampleur thématique, politique et en partie dramatique du manga. De nombreux personnages majeurs sont absent, font de la figuration ou sont revisités (pas toujours pour le meilleur comme Kaori), tandis que la fin est assez différente et correspond davantage au milieu du manga (qui ne connaîtra sa conclusion qu’en 1990). Dès lors Akira en dans son récit ne fait qu’esquisser la profondeur du manga, mais l’endosse pleinement sur le plan formel. Les tourments adolescents, les amitiés tumultueuses, la métaphore de la puberté, tout cela est bien présent dans une fougue juvénile s’exprimant par la fluidité de l’animation. 

La mémorable scène d’ouverture emprunte bien sûr comme le manga à l’imagerie bozoku avec ses courses à moto effrénée dans une urbanité chaotique. Le montage alterné entre ces combats de bande et la répression d’une manifestation exprime un tumulte commun, la révolution sociale et la rébellion adolescente, les angoisses adultes contre l’insouciance de la jeunesse. Les plans iconiques s’enchaînent porté par des idées formelles brillantes (les lignes de fuites entraînées par les phares des motos) et Otomo traduit dans l’énergie du moment la relation amour/haine entre le complexé Tetsuo et le leader naturel et charismatique Kaneda.

La figure d’Akira est davantage symbolique que dans le manga où elle avait une incarnation concrète et mystérieuse. Ici il s’agit avant tout d’un écho signifiant une apocalypse libératrice pour les illuminés, la volonté de maîtrise d’un pouvoir destructeur pour l’armée, et pour tous l’écho d’un ordre nouveau destiné à tout renverser. Otomo en approfondissant certaines situations (l’émeute d’ouverture) parvient par l’image à exprimer les allusions politiques plus explicites du manga, comme les manifestations de la jeunesse militante japonaise des années 60. 

Il capture les angoisses du pays par le prisme de sa propre fascination pour la destruction, le réveil d’Akira, la rage de Tetsuo, étant tout autant synonyme d’un renouveau que d’une fin. Tous les personnages, dans leur insouciance (Kaneda), leur fureur (Tetsuo), leur autoritarisme (le colonel Shikishima), leur fraternité (le trio d’enfant/vieillard télépathe) font montre d’une fuite en avant déterminée et sans retour.

C’est vraiment ce sentiment d’urgence exprimé de manière sensorielle et pulsative (l’hypnotique bande-son de collectif Geinoh Yamashirogumi) qui guide le récit clairement pensé comme une alternative purement formelle du manga. L’ampleur, l’inventivité et l’emphase du climax destructeur transcende les raccourcis narratifs, archétypes et personnages tout juste esquissés pour nous emporter et en définitive susciter une sincère émotion. Otomo sait conférer à ses images de cauchemars (l’illusion terrifiante de Tetsuo, sa mutation, les deux étant de vraies prouesses d’animation), de combats et de désolation une puissance évocatrice exprimant le mélange de nihilisme et de croyance qui le caractérise dans un tout cohérent qui convoque autant le cyberpunk que le body-horror.

Sorti en bluray chez Dybex 

lundi 21 avril 2025

Le Juge Fayard dit « le Shériff » - Yves Boisset (1977)

Jeune juge d'instruction dans une importante ville de province, il fait partie de cette génération de magistrats qui tentent de réadapter la notion de justice à une époque en pleine mutation. Ses méthodes ne plaisent pas à tout le monde. Les critiques, les pressions s'exercent mais, conscient de sa valeur professionnelle, il se refuse à toute concession. Il "fonce".

Toujours prompt et courageux à aborder les sujets socio-politiques les plus brûlants de la société française, Yves Boisset signe un de ses meilleurs films avec Le Juge Fayard dit « le Shériff ». L’audace est ici d’autant plus grande que le film traite d’un sujet encore très frais dans l’actualité. Boisset s’inspire en effet librement du destin tragique du juge François Renaud, assassiné pour avoir fouillé d’un peu trop près les collusions entre les mondes du crime et la politique.

On retrouve là le talent de narrateur de Boisset, qui parvient à idéalement croiser portrait intime de Fayard (Patrick Dewaere), vrai thriller politico-judiciaire haletant et rendre limpide la somme d’informations à assimiler sur l’affaire en cours. Ce dernier point est d’autant plus impressionnant lorsqu’on va se renseigner sur la réalité des faits et personnes évoquées. La personnalité fantasque et frondeuse de Fayard/Renaud est excellement retranscrite par un Patrick Dewaere totalement habité, et les tenants et aboutissants de l’affaire qui en fera une cible explicitement nommés comme le SAC (Service d'action civique). 
Cette organisation fondée durant la guerre d’Algérie en soutient du Général de Gaule se trouve alors en collusion avec le grand banditisme, finançant via le butin blanchi de crimes divers les campagnes de certains politiques. Boisset va au plus efficace dans sa démonstration sans pour autant être simpliste, et le but est d’éveiller la conscience de son public en lui expliquant les choses de manière limpide.

S’il cède à quelques montées d’adrénaline de pur polar (l’attaque du fourgon d’une efficacité redoutable), c’est avant tout le mur silencieux de la corruption généralisée à laquelle se heurte Fayard qui frappe. Tentative de découragement de la hiérarchie « l’exfiltrant » des affaires où il fâche les mauvaise personne trop haut placée, intimidations anonymes dans la sphère personnelle, Fayard avance bille en tête dans une logique de seul contre tous. 

Boisse nuance malgré tout cet aspect à travers le personnage de flic intègre joué par Philippe Léotard, ainsi que par le soutien des collègues progressivement gagné à la cause et partageant leurs informations avec Fayard. Le superbe casting aligne les seconds mémorables sur la galerie de méchants, qu’ils soient barbouzes, hommes d’affaires véreux ou magistrats corrompus. Michel Auclair, Marcel Bozzuffi, Jean-Marc Bory, Henri Garcin, Jean Bouise composent une galerie d’ordures tour à tour menaçante, sournoise ou calculatrice. 

Boisset capture là un vrai climat délétère de la France des hautes sphères et des bas-fonds, relents du passif et des dérives idéologiques post guerre d’Algérie, sujet d’ailleurs frontalement abordé par le réalisateur dans R.A.S. (1973). La sortie provoquera de grands remous, la SAC bloquant l’exploitation jusqu’à ce que son nom ne soit plus cité dans le film. Certaines scènes seront coupées, des noms de personnages modifiés (le député Chalabert de fiction rappelant un peu trop le bien réel ministre Albin Chalandon) et les séquences citant explicitement la SAC seront ponctuées d’un bip – selon Boisset comblés par les spectateurs hurlant « le SAC ! » dans les salles durant ces moments-là. Il faudra attendre la dissolution de l’association en 1981 pour que le film soit diffusé sans cette censure. Informatif, trépidant et porté par une interprétation impériale de Patrick Dewaere, un Boisset qui n’a rien perdu de sa force - d'autant que malgré l'issue tragique connue, la conclusion vindicative laisse entendre que le combat continue.


 Sorti en dvd français chez Jupiter Communication

samedi 19 avril 2025

Hercule et la reine de Lydie - Ercole e la regina di Lidia, Pietro Francisci (1959)

Accompagné de son épouse Iole et du jeune Ulysse, Hercule fait halte à Colone, à la demande d’Œdipe, pour régler un différend qui oppose les fils de ce dernier, Etéocle et Polynice. Mais Hercule boit à la source de l’oubli, et tombe prisonnier dans le piège d’Omphale, la cruelle reine de Lydie. Ulysse et ses compagnons, les Argonautes, vont partir à sa rescousse.

Les Travaux d'Hercule fut un immense succès, faisant de Steve Reeves une star tout en installant pour quelques années le filon du péplum aux héros musculeux dans le cinéma populaire italien. La même équipe gagnante est donc rapidement réunie pour un second volet avec Pietro Francisci, Steve Reeves et Mario Bava à la photo et aux effets visuels. Comme le film précédent, le scénario mélange des éléments de l'épopée d'Hercule (cette fois le mythe d’Omphale) qui se greffent à la tragédie grecque (Les Sept contre Thèbes d'Eschyle et Œdipe à Colone de Sophocle). Le mélange opère assez bien pour un scénario poursuivant la réflexion sur la quête d’identité d’Hercule. 

Le premier volet montrait la difficulté du demi-dieu à conjuguer son humanité et sa nature de surhomme qui l’éloignait des autres, admiratifs ou apeurés de lui. La séduction à laquelle il est soumis par Omphale (Sylvia Lopez) et lui faisant perdre la mémoire est ainsi une façon de se délester de ses responsabilités et questionnements. C’est pourtant sur cette dualité et la volonté héroïque qui en découle que repose sa force, dont il se trouvera longuement délesté tant que son esprit restera embrumé. C’est donc très intéressant mais donne pendant longtemps du fait de son héros entravé un film moins généreux en morceaux de bravoure que son prédécesseur.

Pietro Francisci travaille davantage la symbolique et les atmosphères, croisant le classicisme du premier épisode et les excès à venir dans les suivants, Hercule contre les vampires (1961) et Hercule à la conquête de l'Atlantide (1960). Mario Bava s'en donne à cœur joie sur les couleurs outrancières de l'antre souterraine de la Reine de Lydie. Les éclairages de mêmes décors évoluent ainsi constamment selon les sentiments d'Hercule lors de sa captivité, parfois au sein d’une même scène comme lorsqu'il cède pour de bon au charme de la Reine Lydie. L'ambiance se fait gothique à souhait pour illustrer les moments les plus sadiques comme ce musée Grévin humain où la Omphale expose tous ses anciens amants ou encore la cuve égyptienne (dans un hétéroclisme typique du péplum italien) où elle entrepose leurs cadavres pour les soumettre à l'opération. Les décors studios sont très réussis et truffés de pièges transformant une séquence d'évasion en jeu vidéo avant l'heure.

Le climax film offre une splendide (bien que trop courte) scène de bataille finale pour la défense de Thèbes, où le métier de Francisci fait merveille dans l’imagerie grandiloquente. Hercule plus surhomme que jamais fait s'écrouler les tourelles adverses à la force de ses bras, affronte en début de film le fils de Guée dont l'énergie se régénère dès qu'il touche le sol et donc sujet à une difficulté très originale. En revanche le combat de Hercule face à une horde de tigres est plus inégal pour cause de montage hasardeux et d'une peluche un peu trop visible lors des gros plans – alors que le face à face avec le lion de Némée était bien mieux géré de ce côté-là dans le premier film. 

Steve Reeves pour la dernière fois dans le rôle est toujours aussi imposant et charismatique tandis que Sergio Fantoni est un flamboyant Étéocle, méchant bien théâtral. Sylvia Lopez est assez convaincante en Reine de Lydie bien aidée par l’esthétique baroque du film mettant en valeur son physique étrange. Le mélange de manipulation, de désir (les allusions appuyées au plaisir que lui offre Hercule durant leurs nuits) et en définitive de réelle passion amène et ambiguïté inattendue quant à ses objectifs et son sort final tragique. Sylvia Koscina fait les frais de cette rivale, avec une Iole davantage réduite à l’épouse éplorée et en détresse, bien moins complexe que dans le premier film.

Cette suite directe (qui s’ouvre sur la séparation avec les compagnons d’aventures de Les Travaux d’Hercule) sait comme Les Travaux d’Hercule mettre les compagnons d’Hercule en valeur, notamment Gabriel Antonini toujours aussi facétieux en Ulysse. Une belle réussite dont les suites encore meilleures et plus folles se feront sans l’équipe originale – Steve Reeves ne souhaitant travailler qu’avec Francisci passé à autre chose et brouillé avec Mario Bava mécontent de voir sa contribution minimisée au générique – avec La Vengeance d’Hercule de Vittorio Cottafavi (1960), Hercule contre les vampires (1961) et Hercule à la conquête de l'Atlantide (1960).

Sorti en bluray français chez Artus