Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 21 janvier 2020

A Fishy Story - Bu tuo wa de ren, Anthony Chan (1989)


Si les premières et mythiques collaborations avec Wong Kar Wai (As Tears go by (1988) et surtout Nos années sauvages (1990)) et les prestations remarquées dans le cinéma d’auteur hongkongais (Song of Exile de Ann Hui (1989), Full moon in New York et Center Stage de Stanley Kwan (1991)) placent Maggie Cheung sous les radars cinéphiles locaux et internationaux, c’est véritablement avec A Fishy Story qu’elle va gagner une immense popularité à Hong Kong avec ce qui est un de ses plus beaux rôles. Peut-être influencé par son enfance entre Hong Kong et l’Angleterre, Maggie Cheung aura souvent choisit des personnages hésitant entre deux mondes, aspirant à l’ailleurs puis s’y morfondant de la patrie une fois atteint. C’est tout le questionnement des héroïnes de Full Moon in New York, Farewell, China (1990) ou encore Comrades, almost a love story (1996).  

A Fishy Story reprend cette idée mais en inverse la dynamique, avec cette fois Huang (Maggie Cheung) aspirante starlette de cinéma coincée à Hong Kong mais qui ne rêve que de gloire aux Etats-Unis. Cette chimère dépend pourtant bien plus du bon vouloir de « bienfaiteurs » intéressés que de son possible talent. On le comprend bien au début du film où elle est installée dans un appartement cossu par un réalisateur et protecteur libidineux. A l’étage au-dessus vit Kung (Kenny Bee), taxi sans licence qui lutte pour joindre les deux bouts. Les deux personnages vont se lier et s’entraider, Kung faisant office de chauffeur pour Huang qui en profite pour faire des arrivées pétaradantes de star glamour dans les studios de tournage.

Le début du film est trépidant, fonctionnant dans une pure veine de screwball comedy où la délurée Huang mène par le but du nez un Kung dépassé. Le réel va pourtant malmener plus d’une fois nos héros. Le réalisateur Anthony Chan l’exprime en oppressant les personnages à travers différents éléments formels et dramatiques. En ne cédant pas aux avances du réalisateur, Huang est ainsi métaphoriquement écrasée dans une scène de « film dans le film » avec une séquence de comédie musicale où des prostituées (et rivales de casting dans l’envers du décor)  la tabassent pour avoir empiété sur leur territoire. La réalité de ce Hong Kong agité par les soubresauts économiques et sociaux vient également briser le rêve quand Huang et Kung se retrouvent happés dans une manifestation communiste. La face sombre du glamour et l’obscurantisme idéologique dépassent les personnages qui n’aspirent qu’à une existence plus douce et le réalisateur use habilement d’une grandiloquence bariolée ou cauchemardesque pour montrer l’impasse de ces deux directions.

Huang et Kung voient d’ailleurs chez l’autre le miroir de l’avilissement qui les guette. Kung est entretenu par une ancienne fiancée (Josephine Koo) qui a quitté sa misère en devenant la maîtresse d’un nanti. Huang subit quant à elle la cour assidue d’un producteur hongkongais installé aux Etats-Unis et qui l’incite à le rejoindre. Un rebondissement à mi-film humanise alors magnifiquement la frivole Huang, lui faisant comprendre la vacuité de son ambition et ce qu’elle lui a sacrifiée. La métamorphose de Maggie Cheung de la joyeuse écervelée à la femme torturée et rongée de remords est absolument bouleversante. Toute l’outrance première de sa prestation ne servait qu’à rendre plus intense encore la bascule, notamment un magnifique moment trempée par la pluie elle recherche enfin le réconfort de Kung, le seul homme droit et aimant qu’elle connaisse.

Dès lors le contour sophistiqué et clinquant du film s’estompe volontairement, les aspirations au jour le jour et la vie plus modeste façonnant un écrin de bonheur enfin authentique pour les personnages. Mais c’est un répit que n’est pas prêt à leur accorder le monde qui les entoure, le leitmotiv des paillettes et de l’aveuglement sociaux politiques revenant les hanter de façon plus sinistre encore. Cet équilibre entre le conte (et l’hommage hollywoodien assumé) et la fange hongkongaise est remarquablement tenu, la bande-son pleine d’emphase Richard Yuen, les compositions de plan de Anthony Chan et la photo Peter Pau (toutes les scènes sur le toit avec les arrière-plans de ciel où les avions décollent) façonnant un brillant écrin où le mélo peut tutoyer des cimes d’émotions. 

C’est tout le délicat enjeu de la dernière scène, où l’inéluctable violence d’une situation débouche sur un pur final de conte, où le réel du cadre cède à la facticité et laisse couple s’échapper des ténèbres vers une lumière pleine d’espoir. Une superbe réussite qui vaudra à Maggie Cheung une première grande reconnaissance avec le Prix de la Meilleure actrice lors des Hong Kong Film Awards. 

Disponible en dvd hongkongais 

lundi 20 janvier 2020

Moi, la femme ! - Noi donne siamo fatte così, Dino Risi (1971)


Moi la femme est un film à sketch dans la lignée de Sept fois femme de Vittorio De Sica (1967) avec Shirley MacLaine, soit une galerie de portrait de femmes au service du talent d’une actrice, Monica Vitti interprétant le rôle principal de tous les segments. A la place du glamour quasi Hollywoodien de De Sica, c'est à la méchanceté et au cynisme de Risi en grande forme auquel on a droit, avec une Monica Vitti survoltée qui raccroche ainsi les wagons de la comédie italienne. Le poussif Modesty Blaise de Joseph Losey (1966) n’avait pas suffi à lui conférer une image plus légère tant son image était vampirisée par sa collaboration avec Michelangelo Antonioni mais par la suite on la retrouvera entre dans des comédies audacieuses comme Super Témoin (1971) et Les Ordres sont lesordres (1972) de Francesco Giraldi.  L'ensemble des sketches est de très bonne tenue malgré un petit coup de mou dans la dernière partie du film. Le début est par contre excellent et toutes les situations possibles sont passées au vitriol, la femme romantique, victime, nymphomane, libérée, chacun des sketches portant le prénom de l'héroïne. Parmi les plus mémorables

Zoé

Monica Vitti brisée par une rupture douloureuse se fait exploiter par le premier sale type faussement bienveillant qui passe. On devine la chute assez vite mais le pathétique de la situation est génialement mis en scène par Risi.



Annonziata

Une équipe télé vient filmer une famille nombreuse dans un quartier pauvre de Rome. Ca anticiperai presque Affreux, Sales et Méchant d’Ettore Scola (qui officie d’ailleurs au scénario) avec cette famille horrible de bêtise crasse, Monica Vitti campant une affreuse mégère mère de 22 (!) enfants et encore enceinte qui attend ses allocations et profite de la vie. Le trait est bien forcé et mais moins mal à l'aise qu'un Affreux, Sales et méchants car donnant plus dans la farce hilarante que le sordide latent de ce dernier sous l’humour.



Alberta

Là c'est les bourgeois aux mœurs libérés qui sont tournés en ridicules avec un couple se vantant auprès de leurs amis de leurs multiples expériences mais pourtant la jalousie bien réelle ne va pas tarder à resurgir.

Fulvia

Sans doute le plus drôle du film, une femme témoigne à la radio du viol qu'elle a subit par trois ignoble individus, mais pas pour les raisons que l’on croit. Monica Vitti est fabuleuse et nous mène bien en bateau jusqu'à la chute imprévisible mais géniale tellement elle est tordue.



Bref le haut du panier des films à sketch italien bénéficiant de la crème des auteurs comique de l'époque avec Age et Scarpelli, Scola ou encore Luciano Vincenzoni.

Sorti en dvd zone 2 français chez Studiocanal

vendredi 17 janvier 2020

Violet Evergarden : Eternité et la poupée de souvenirs automatiques - Violet Evergarden Gaiden : Eien to Jidou Shuki Ningyou, Haruka Fujita et Taichi Ishidate (2020)


L’histoire se déroule dans un monde d’après-guerre où des jeunes femmes appelées Poupée de souvenirs automatiques aident des personnes à mettre sur papier leurs sentiments. Nous suivons le quotidien de Violet Evergarden, ex-soldate sans émotion, Ainsi, elle explore différentes émotions issues des gens qu’elle rencontre. Mais son passé trouble la rattrape.

Violet Evergarden : Eternité et la poupée de souvenirs automatiques est la première production à sortir du studio Kyoto Animation depuis le tragique incendie criminel qui fit de nombreuses victimes et détruisit leur locaux. La production était presqu’arrivée à son terme ce qui permet de maintenir la sortie malgré une activité forcément ralentie et la haute tenue formelle de l’ensemble n’en est que plus admirable. Violet Evergarden est au départ une série de lights novels écrite Kana Akatsuki (et illustrée par Akiko Takase) publiée au Japon depuis 2015. Kyoto Animation sous son label KA Esuma Bunko a publié les deux romans avant de s’attaquer à l’adaptation pour une série de 14 épisodes.

Le récit se déroule dans un monde parallèle évoquant fortement l’Europe meurtrie de l’après Première Guerre Mondiale. On y suit le destin de Violet, ancien enfant soldat inapte à la vie civile, d’autant que son supérieur et mentor dont elle était amoureuse a tragiquement disparu lors de leur dernière mission. A l’image de ses deux bras amputés et remplacés par des prothèses métalliques, Violet n’est pas équipée au départ pour une existence normale du fait de ce passif douloureux. Toute la série s’attache donc à la voir reconquérir son humanité, ou du moins se montrer capable de l’exprimer à travers son nouveau métier de poupée de souvenir automatique. Il s’agit dans cet univers d’un service permettant aux quidams de pouvoir se faire écrire une lettre pour un proche auxquels l’on n’arrive pas (ou l’on ne peut plus) à exprimer) son sentiment de vive voix. Chaque épisode voyait donc Violet mettre en confiance et accompagner le nouveau client pour l’amener à mettre sur papier ce ressenti, explorant des thématiques variées et poignantes dans cette société en reconstruction. Plus elle parvenait à traduire sous cette forme épistolaire la volonté de ses clients, plus Violet apprenait également à se connaître elle-même et à surmonter ses épreuves passées.

Malheureusement ce bref résumé en dit bien plus sur les thèmes et le background de la série que le film lui-même. On pourrait alors argumenter qu’il se destine avant tout aux aficionados de la série. Cependant l’approche du film laisse clairement supposer une volonté d’ouverture à un public plus large. L’histoire abandonne initialement le principe épistolaire pour une mission peu originale (Violet doit accompagner une jeune fille noble dans l’apprentissage des bonnes manières) avant de vriller sur un touchant récit de quête et retrouvailles fraternelles. Le postulat de la série est donc simplifié pour le néophyte, mais paradoxalement tout le contexte et la caractérisation des personnages ne sont pas réintroduits pour lui. Le passé guerrier de Violet, le principe des poupées de souvenirs automatiques, tout cela et bien d’autres élément essentiels restent évasifs (un dialogue succinct sur la personne que Violet aimerait revoir) ou sans réelle explications. 

Du coup l’on se demande un peu à quel public s’adresse vraiment le film. L’amateur de la série trouvera l’histoire certes attachante, mais bien loin de la mélancolie et la noirceur dont les meilleurs épisodes faisaient preuve. De plus l’apprivoisement entre Violet et ses employeurs amenait une construction narrative très originale amenant à la rédaction de la lettre que l’on ne retrouve pas ou peu ici. Quant au grand public, trop d’éléments cruciaux s’avèrent parcellaires pour qu’il savoure pleinement l’émotion recherchée. Il faut combler les trous cela à travers quelques éléments intéressants, comme le mimétisme entre Violet et cette fillette orpheline et illettrée qui vont s’accomplir en « donnant du bonheur au gens » par la rédaction et la transmission de ces précieuses lettres.

L’aspect le plus satisfaisant est la forme, déjà excellente dans la série et transcendée pour le cinéma. Les lumières éthérées, la direction artistique des décors et costumes (oscillant en influence germanique, anglo-saxonne et française avec cette inspiration Belle Epoque, on entraperçoit même une simili Tour Eiffel en construction), le subtil dosage entre réalisme et onirisme, tout cela est d’une splendeur de tous les instants dans un cinémascope superbe. Donc les fans à défaut d’être totalement captivé sauront savourer une esthétique encore plus élaborée, et les nouveaux venus seront très certainement curieux d’en savoir plus sur cet univers en allant découvrir la série. 

En salle provisoirement et ensuite sur Netflix