Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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lundi 25 janvier 2021

The Catch - Gyoei no mure, Shinji Somai (1983)

Un jeune homme veut gagner l’estime du père de sa copine, un pêcheur solitaire. Celui-ci l’initie aux secrets de la pêche au thon, affrontant l’âpreté de la mer et les risques du métier.

Après trois premiers films placés sous le signe de l'adolescence (Tonda Couple (1980), Sailor Suit and Machine Gun (1981) et P.P. Rider (1983)), Shinji Somai effectue un virage surprenant avec The Catch (adapté d'un roman de Akira Yoshimura dont Shohei Imamura transposera plus tard L'Anguille (1997), fascinant objet entre documentaire et chronique familiale. On y plonge dans le milieu des pêcheurs de thon où le jeune Shunichi (Kōichi Satō) souhaite apprendre le métier auprès de Kohama (Ken Ogata), le père de sa fiancée Tokiko (Masako Natsume). Seulement Kohama est un vieil ours solitaire dont toute l'attention est obnubilée par la pêche, ce qui lui a valu d'être quitté par sa femme et d'être un père absent malgré qu'il vive avec sa fille. Le rapprochement entre Shunichi et Kohama est laborieux et la première sortie en mer se fait après moult supplication sans que le père ne se montre un mentor très coopératif. Shinji Somai fait de la mer un espace semé d'embûches et qui lorsqu'on décide de l'investir par le seul égoïsme et la fuite des autres, sera un lieu de séparation.

Le drame ne s'invite que progressivement dans la description méticuleuse de la pêche au thon. Somai procède à son art du long plan-séquence pour dépeindre chaque étape du processus et c'est précisément cette longue continuité filmique qui confère cette dimension documentaire au film. Rien que le départ du bateau de Kohama du port impressionne en capturant à la fois l'ensemble du mouvement de l'appareil mais aussi toutes les manœuvres du pêcheur à son bord, le tout en longue focale qui appuie ce côté sur le vif. Il en va de même en mer mais la mise en scène inscrit ce réalisme dans la caractérisation des personnages, le découpage isolant Shunichi, les compositions le plaçant en arrière ou avant-plan et l'exploration de la topographie du bateau en fait toujours un étranger, un encombrant sur le chemin de Kohama. Ce dernier n'accepte pas réellement Shunichi sur son bateau et par extension dans sa famille. Ce ne sera pas par méfiance ou peur pour sa fille, Shunichi est simplement un importun qui le dévie de sa seule et unique obsession, le prochain thon qu'il pêchera et pourra revendre à terre. C'est une forme de déshumanisation qui le mènera au point de non-retour quand il tardera à sauver Shunichi grièvement blessé pour finir d'extraire l'énorme thon accroché à sa ligne.

La mer donne ou retire pour ceux qui ne savent pas la partager. Le passé de mari indigne de Kohama ressurgit quand il recroisera sa femme Aya (Yukiyo Toake) et que parallèlement le thon se refusera désormais à lui en se libérant systématiquement de sa ligne. Les retrouvailles des époux sont amorcées par une séquence impressionnante scène pluvieuse, travers un mouvement de grue où l'on passe des hauteurs du village à ses ruelles, accompagnant le regard d'Aya et Kohama qui se reconnaissent et vont longuement se poursuivre. Aya aura préféré une vie frivole plutôt que cet époux taciturne et éteint hors de son bateau, et le rapprochement furtif leur rappellera aussi pourquoi ils se sont quittés autrefois. C'est dans l'étirement de séquence que Somai laisse deviner l'issue de cette rencontre, les plans rapprochés exprimant l'éphémère rapprochant possible durant la scène d'amour tandis que les plongées, le filmage à distance en longue focale en fait des pantins qui rejouent leur séparation passée. L'art du plan fixe et de la composition de plan de Somai peut cependant conférer une vraie poésie et révéler des sentiments profonds quand il filmera les quais (sous le même angle où l'on a vu précédemment une bagarre) où revient Aya, puis théâtre de feux d'artifices. Les lieux sont ce que l'on en fait, ce qui se rapproche du rôle de la mer au sein du film et que traduit la photo de Mutsuo Naganuma entre contemplatif et rugosité.

Au début de l'histoire, Tokiko reproche à Shunichi de toujours lui dire qu'il l'aime, "elle et la mer" sans jamais pouvoir les détacher dans l'expression de son amour. Alors qu'il n'est pas encore un pêcheur accompli, Shunichi partage finalement déjà la même obsession que son beau-père Kohama. Il finit par reproduire les comportements passés méprisables de celui-ci à force de revenir bredouille au port, et se met à se montrer violent envers Tokiko. Dompter la mer, y affirmer sa virilité en revenant avec une pêche conséquente ravive donc cette notion séparation, d'espace égoïste de la mer et précisément la facette amenant le malheur. Shinji Somai montre cet envers néfaste mais de nouveau la facette lumineuse avec la réconciliation père/fille quand Tokiko demandera à Kohama d'aller chercher Shunichi pas revenu de sa dernière pêche. 
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La magnifique conclusion laisse ainsi dans un sentiment contrasté où la mer a donné l'instant de complicité tant espéré entre Shunichi et Kohama lors d'une périlleuse pêche d'un ton aux proportions énormes, mais cette communion sera fatalement la seule pour eux. L'interprétation est pour beaucoup dans la force du film, Ken Ogata est plus vrai que nature en pêcheur expérimenté (la mise en scène épurée de Somai révèle bien qu'il effectue lui-même toutes les tâches) et passe de manière impressionnante de l'adolescente délurée à l'épouse meurtrie, notamment la très belle scène finale. Hormis de petites longueurs par moment (les scènes sur terre surtout, celles en mer ayant un pouvoir de fascination constant), une œuvre captivante et singulière. 


 Sorti en dvd japonais

dimanche 24 janvier 2021

Dangereusement vôtre - A view to a kill, John Glen (1985)

James Bond enquête sur le vol de puces électroniques commis par un mystérieux criminel. Apparait rapidement un lien entre cette affaire et le riche industriel Max Zorin, passionné de chevaux. De Paris à San Francisco, il faudra à 007 toute son énergie pour éviter une catastrophe écologique doublée d’un renversement des valeurs économiques à échelle mondiale...

Avec le bariolé et virevoltant Octopussy (1983), Roger Moore avait remporté (sur le plan commercial et qualitatif) la « guerre des Bond » face à Jamais plus jamais sorti simultanément et qui voyait le bref retour de Sean Connery dans cet épisode non officiel. Roger Moore s’affirmait donc là pour le grand public contemporain comme LE James Bond. Malgré les fautes de goût de certains films, l’acteur s’était brillamment approprié le rôle, y apportant la fougue, le panache et l’humour distancié qui le différenciait d’un Sean Connery démotivé sur Les Diamants sont éternels (1971). Cependant Roger Moore vieillit et incarne donc un Bond un peu plus marqué dans Rien que pour vos yeux (1981) et Octopussy sans que cela entache l’allant des films. Ce sera malheureusement le cas sur Dangereusement votre, l’épisode de trop pour Roger Moore approchant la soixantaine et désormais dépassé par la jeunesse du cinéma d’action émergeant du côté des Etats-Unis avec Sylvester Stallone, Arnold Schwarzenegger, Harrison Ford et les Indiana Jones. Cela est visible dans les scènes d’action où la plus infime bagarre réclame désormais une doublure, le film devant à Moore l’infâme surnom de « l’homme qui se faisait doubler même pour s’asseoir ». 

C’est assez injuste pour Moore qui sur l’ensemble de ses Bond a plus donné de sa personne niveau cascade que Sean Connery (il a par exemple passé un permis bus pour conduire l’engin de Vivre et laisser mourir (1973), et effectué en grande partie l'haletante scène d'escalade de Rien que pour vos yeux). Cela se remarque aussi dans les tenues vestimentaires, Moore autrefois si félin à des allures de vieil oncle quand il s’infiltre en survêtement informe dans la base du méchant, et paraît terriblement ringard dans une tentative de faire jeune lorsqu’il arbore un blouson en cuir. L’acteur en se rendant compte sur le tournage qu’il est plus âgé que la mère de la James Bond girl Tanya Roberts comprendra son désormais anachronisme et décidera de tirer sa révérence. 

Passé ces écueils Dangereusement votre même si loin d’atteindre les sommets de la saga (ni même de la période Roger Moore) se regarde sans ennui. Le scénario est une sorte de remake modernisé de Goldfinger (1964) où un riche mégalomane veut annihiler la concurrence de la Silicon Valley pour s’assurer le monopole sur les puces électroniques. Christopher Walken en psychopathe peroxydé apporte une étrangeté menaçante et imprévisible (cet incroyable scène où il abat ses ouvriers à la mitraillette dans un grand éclat de rire) à ce Max Zorin, renforcé par le background du personnage supposé être le fruit d’expériences génétiquess russe pour concevoir un être de génie. Grace Jones en « femme de main » constitue une redoutable adversaire également, avec une vraie présence de panthère menaçante et aux tenues extravagantes. Ce duo apporte un vrai souffle de modernité face à la vieille garde bondienne puisque Patrick « John Steed »Macnee est au casting (renforçant les liens entre Chapeau Melon et bottes de cuirs et James Bond après Honor Blackman dans Goldfinger, Diana Rigg et Joana Lumley dans Au service secret de sa majesté (1969)), et que certains habitués font leur dernière apparition comme Lois Maxwell en Miss Moneypenny. 

La première partie du film en France est assez remarquable. Le cadre touristique est très bien utilisé avec un affrontement sur la Tour Eiffel (même si Moore a le souffle court pour dévaler les marches) puis une course poursuite dans les rues de Paris (parfaitement réglée par le regretté Rémy Julienne) qui se termine sur une péniche. La menace et le mystère fonctionnent vraiment dans ce milieu hippique et on savoure un Roger Moore à l’aise qui enchaîne les mots d’esprit. La seconde partie à San Francisco est nettement moins convaincante. On y repère une tentative d’américanisation de Bond pour le rajeunir, que ce soit par les tenues vestimentaires évoquées plus haut, ou par des scènes d’actions à la « Blues Brothers » mécaniquement intégrées au récit avec des sursauts d’humour façon Police Academy qui rappelle les errances comiques de Vivre et laisser mourir et L’Homme au pistolet d’or (1974) et son insupportable shérif Pepper. Le rythme est mou et laborieux, les morceaux de bravoures poussifs (l’incendie dans la mairie) et très clairement la doublure de Roger Moore a plus de présence à l’écran que l’intéressé. 

On aura un petit sursaut d’intérêt lors de la conclusion avec l’originalité du plan de destruction de Zorin, le revirement de Mayday (Grace Jones) sans céder au cliché de la saga en l’attribuant à un amour pour Bond, et le climax du haut du pont du Golden Gate bien que mollement exécuté n’est pas dépourvu de suspense. Le seul point ou la tentative de lifting est vraiment réussie concerne la bande-originale de John Barry. Le compositeur restait dans un certain classicisme bondien depuis L’Homme au pistolet d’or (malgré les quelques écarts disco de Moonraker (1979)) mais là embrasse pour le meilleur les sonorités des années 80. Le morceau A View to A Kill composé avec les « Nouveaux Romantiques » de Duran Duran est percutant en diable et sa mélodie imparable imprègne tout le score, que ce soit pour de somptueuses pièce romantiques symphoniques (l’instrumental Bond meet Stacy sur la bande originale est une merveille romantique) ou les élans héroïques où s’invite la boite à rythme et le synthétiseur. La musique dynamise à elle seule la tenue mollassonne du film et Barry poursuivra brillamment dans cette voie sur le suivant Tuer n’est pas jouer (1987). Des adieux honorables de Roger Moore donc, avant que Timothy Dalton vienne apporter un sacré sang neuf. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Sony

samedi 23 janvier 2021

Ne dites jamais adieu - Never Say Goodbye, Jerry Hopper (1956)


 Le docteur Michael Parker vit seul avec sa fille. Séparé de sa femme, il la croit décédée. En se rendant à New-York, il tombe par hasard sur elle, en couple avec un artiste. En voulant s'enfuir, elle est renversée par une voiture. Par miracle, Michael parvient à sauver la vie de son ex-femme. Le feu de l'amour brûle à nouveau. Mais la jeune fille du couple a du mal à se réajuster à cette nouvelle vie...

Ne dites jamais adieu est un mélodrame Universal typique de ceux produits avec succès par le studio durant les années 50, et plus particulièrement ceux réalisés par Douglas Sirk. On attribue d’ailleurs officieusement à ce dernier la réalisation au détriment de Jerry Hopper mais la réalité est plus complexe. Dans le livre d’entretien Conversations avec Douglas Sirk de Jon Halliday, Sirk déclare avoir effectué la préparation du film et être à l’origine du casting de Cornell Borchers, sa compatriote allemande dans le premier rôle féminin. Il partit ensuite réaliser Ecrit sur le vent (1956) avant de revenir retourner quelques scènes. Le film est effectivement sirkien en diable, que ce soit par sa conception, son sujet et son esthétique. Comme pas mal des classiques du réalisateur, il s’agit du remake d’un mélo plus ancien de Universal, This Love of Ours de William Dieterle (1945) qui était lui-même adapté de la pièce Comme avant, mieux qu'avant de Luigi Pirandello. Le flashback viennois et le contexte post-Seconde Guerre Mondiale annonce Le Temps d’aimer et le temps de mourir (1959) tandis que le postulat (une mère retrouvant après de longues années le foyer qu’elle a perdu) est voisin de All I Desire (1953), un des belles réussites méconnues de Sirk. 

Ne dites jamais adieu offre donc un mélodrame assez touchant mais plutôt convenu, auquel il manque l’emphase, la dimension spirituelle et l’emphase formelle de Douglas Sirk. Ce dernier point peut éventuellement ce discuter sur quelques belles fulgurances qu’on attribuera malgré tout à Jerry Hopper puisque les reshoots de Sirk concernant uniquement les scènes de son ami George Sanders qui avait réclamé sa présence. Les flashbacks viennois opposent donc une Europe aussi féérique que tortueuse à la ligne claire de de l’’Amérique pavillonnaire wasp où vit Michael Parker avec sa fille. 

La rencontre inopinée avec son épouse Lisa (Cornell Borchers) qu’il croyait morte amorce donc le souvenir de leur rencontre. Une superbe maquette nous introduit dans cette Vienne, la photo stylisée de Maury Gertsman laissant tout autant deviner l’aura romantique que tourmentée de la ville. Cela concerne bien sûr le schisme politique qui conduira à la séparation avec la frontière russe (et qui aura son importance dramatique dans le récit) mais surtout le voile qui va s’immiscer dans le couple Michael/Lisa. Sans repères dans un pays étranger, Michael est suspicieux envers tout ce qui rattache Lisa à son passé et ses racines « saltimbanques », en particulier ses rapports affectueux avec Victor (George Sanders).

Jerry Hopper un peu trop souvent par le dialogue ou le jeu renfrogné de Rock Hudson pour faire passer l’idée, mais fait parfois preuve aussi de plus d’inspiration. On pense à la scène où Michael retrouve Lisa dans le bar où elle joue, alors qu’elle embrasse un vieil ami, la photo plonge soudain Hudson dans l’ombre comme pour faire passer par la seule image les idées noires de jalousie qui traverse son esprit. Le jeu à fleur de peau et très expressif de Cornell Borchers est également d’une grand force pour faire passer l’émotion, dans le drame comme les séquences romantique. Ce regard bleu tour à tour chargé d’affection ou d’affliction marque durablement à chaque gros plan et l’on peut regretter que l’actrice n’ait pas eu une carrière hollywoodienne plus riche (même si elle retrouvera Rock Hudson l’année suivante dans Istanbul de Joseph Pevney (1957)).

Le retour au présent est beaucoup plus convenu, sur le fond et la forme. La reconstitution de la cellule familiale obéit certes aux conventions d’alors (et est peut-être conforme à la pièce), mais aurait pu être amené moins grossièrement. Lisa oscillera donc entre renoncer à revoir sa fille puis y consentir mais vivant à nouveau sous le même toit que Michael alors qu’elle a toutes les raisons de lui en vouloir. De même le long déni de la fillette que Lisa est sa vraie mère pourrait être résolu en lui montrant une simple photo. On pourrait y voir une considération trop terre à terre dans la logique du mélodrame, mais les flashbacks s’attardent longuement sur les albums photos de la famille ce qui oblige le spectateur à y penser en fin de compte. 

Il est difficile en plus de croire au vu de l’idolâtrie qu’entretient Parker auprès de sa fille sur sa mère disparue, il ne lui ait jamais montré de photo d’elle. Tous ces raccourcis sont là pour servir un rebondissement final où la fillette admettra la vérité en voyant un portrait dessiné, c’est touchant mais poussivement mis en place malheureusement. Toute la partie retrouvailles est donc assez convenue malgré la jolie patine formelle typique d’Universal et ne fonctionne que sur la conviction du casting. Un joli moment donc, mais très clairement dénué de la poésie, l’audace et la vision sociale d’un Douglas Sirk ou Delmer Daves dans leurs mélodrames Universal. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Elephant Films