Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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jeudi 25 août 2011

Huit Heures de sursis - Odd Man Out, Carol Reed (1947)

Johnny McQueen est le dirigeant d'une organisation clandestine irlandaise. Kathleen et sa mère le cachent chez elles. Là, Johnny échafaude un hold-up qui permettra de financer les activités futures de son groupement. Malheureusement, pendant le hold-up, les choses tournent mal : Johnny est blessé et ne peut plus regagner sa cachette. Il disparaît dans les ruelles de Belfast. Immédiatement, une chasse à l'homme de grande envergure est mise en place, et la ville se retrouve quadrillée par la police. Le chef de celle-ci est bien décidé à capturer Johnny et les autres membres du gang. Quant à Kathleen, elle se décide à partir à la recherche de Johnny.
 
Classique absolu du cinéma anglais, Odd Man Out est pour Carol Reed et James Mason le film de la reconnaissance internationale et une œuvre qui constituera une évolution majeure pour chacun d’eux. Carol Reed est encore à l’époque un metteur en scène au talent certain mais difficile à cerner dans ses thématiques et motifs stylistiques. Tout comme Michael Powell, il débute au milieu des années 30 en mettant en scène des "quota quickies", ces courts films en forme de complément de programme salle pour les productions américaines. Dans cette veine, sa plus belle réussite sera Bank Holiday (1938), tranche de vie d’un groupe de personnages ordinaires profitant du weekend de congé donnant son titre au film. On est là assez éloigné des thrillers haletant qui feront la renommée de Reed, tout comme dans son autre succès avec Margaret Lockwood, The Stars look Down (1940), qui fait montre des mêmes préoccupations sociales avec la description d’une communauté minière du nord de l’Angleterre. Lorsqu’il donnera enfin dans le suspense, dur de distinguer complètement sa patte sur Train de nuit pour Munich, excellent film d’espionnage et variante référencée (car signée des mêmes scénaristes Sidney Gilliat et Frank Launder) de Une Femme disparaît (1938) d’Alfred Hitchcock. La fresque historique The Young Mr Pitt (1942) souffrira des mêmes maux avec un contexte et un message sous-jacents rappelant Lady Hamilton d’Alexander Korda. Invisible ou sous influence, le style de Carol Reed ne se révèlera donc qu’avec Odd Man Out, le sujet lui donnant enfin manière à s’exprimer de façon personnelle.

Pour James Mason, la problématique est différente. L’acteur est à ce moment-là la plus grande star masculine anglaise grâce au succès commercial des mélodrames tournés pour la Gainsborough. Il se spécialise alors dans les rôles de méchants flamboyants et outranciers, dans les mélodrames en costumes survoltés que sont The Man in Grey (1943) ou The Wicked Lady (1945). Des films aux excès jubilatoires mais qui l’enferment dans une sorte de caricature dont il cherchera à se sortir après They Were Sisters (1945), dernier rôle de ce type comme chef de famille tyrannique. Le succès de Huit heures de sursis lui ouvrira les portes d’Hollywood et la possibilité de dévoiler un registre bien plus riche que ce qui lui valu d’être surnommé par la critique anglais « the man they loved to hate ». L’équilibre du film tiendra donc aux preuves paradoxales qu’ont à faire le réalisateur et sa star. Carol Reed devra enfin afficher un style visible et personnel pour imposer l’atmosphère que réclame le script de  R.C. Sherriff (adapté du roman éponyme de  F.L. Green) et James Mason à l’inverse se rendre invisible avec une prestation aussi intense que sobre, loin de l’extravagance qui a fait sa gloire. L’acteur si célébré pour son charisme, sa prestance et sa diction suave trouve ainsi l'un de ses rôles majeurs (c'était d'ailleurs de son propre aveu sa meilleure performance) avec un personnage totalement effacé.
Dès l'ouverture, Carol Reed escamote toutes les occasions qui lui sont donnée de mettre en valeur sa star. Le film ne débute pas avec lui mais un de ses acolytes rejoignant la réunion secrète de l'organisation et on arrive à la fin du discours où il échafaudait les dernières lignes de leur prochaine action, un hold up servant à financer leur mouvement. Privé d'affirmer sa position de chef à l'écran, Johnny McQueen (James Mason) se voit même remis en cause en privé au détour d'un dialogue nous révélant qu'en cavale après une évasion, il n'est pas dans les meilleures disposition physique pour mener l'opération. D'emblée se ressent une lassitude mentale chez le personnage qui nous fait douter de lui, ce que confirmera sa faiblesse qui fera du hold up un fiasco.

Huit Heures en Sursis fut à l'époque un film précurseur et risqué au sein du cinéma anglais en adoptant le point de vue d'un rebelle irlandais. Le scénario n'en est pas moins critique envers le choix d'une action armée symbolisée par la lente dérive de James Mason. Celui-ci a en effet franchi la ligne qui sépare l'opposant politique du meurtrier en abattant un homme qu'il n'a su maîtriser lors du vol. La faiblesse mentale cède à une plus physique qui va le ronger pour le reste du film où blessé et mourant il va entamer un véritable chemin de croix à travers un Belfast nocturne et oppressant où il est traqué de toute part.

James Mason offre une prestation stupéfiante avec un personnage pourtant totalement inactif, à la présence de plus en plus spectrale qui ne laisse aucun doute sur sa destinée. Tantôt totalement absent, tantôt délirant le temps de surprenantes séquences oniriques orchestrées par Carol Reed, c'est une longue et douloureuse odyssée qu'effectue là Johnny McQueen. Reed, grandement inspiré par le réalisme poétique français (l'atmosphère nocturne pesante, la photographie sombre et l'illustration de l'architecture de la ville n'est pas sans rappeler Les Portes de la Nuit ou Le Jour se lève entre autres) confère une aura hallucinée à cette ville par le regard fiévreux de James Mason.

Quant à la mise en scène s'abstient de ses effets, c'est la multitude de rencontres du héros qui prolonge le cauchemar partagée entre les quidams prêts à le livrer pour une récompense, d'autres l'abandonnant à son sort par crainte de la police et ceux l'aidant subrepticement afin de ne pas subir les représailles de ses complices.

La rédemption tant attendue (Reed multiplie les symbole religieux dans les derniers instants) ne pourra être accordée à Johnny McQueen (si ce n'est via le personnage de Lukey et sa prise de conscience) lors d'une dernière demi-heure où le drame atteint des sommets de noirceur tragique, seulement la présence de celle qu'il aime (excellente Kathleen Ryan) dans un intense final sacrificiel. Très beau film.

Sorti en dvd zone 2 français chez Opening dans la collection "Les Films de ma vie"

Extrait

mercredi 24 août 2011

Le Bûcher des vanités - The Bonfire of the Vanities, Brian De Palma (1990)


Sherman McCoy, crème de la haute finance new-yorkaise, voit sa vie prendre un monumental tournant lorsque sa maîtresse renverse avec sa voiture un jeune homme de couleur. Il devient alors la proie des journalistes qui enflamment l'opinion publique, en particulier d'un journaliste sur le déclin qui a bien besoin de briller à nouveau.
Si la plupart des films de Brian De Palma, même les meilleurs ont connus des réceptions critiques comme publiques compliquées, Le Bûcher des Vanités demeure son plus gros fiasco à ce jour tant tout était réunis pour constituer un classique et un grand succès populaire. A l’origine il y a le premier roman culte de Tom Wolfe, satire féroce (et visionnaire par rapport à une actualité récente) et subtile dont l’intrigue entremêlait quelques grands maux de la société américaine : arrivisme, le communautarisme, pouvoir des médias...


On y découvrait les mésaventures de Sherman McCoy, ponte de la finance plongé dans la tourmente après que sa voiture (conduite par sa maîtresse) ait accidentellement renversé un jeune noir. Il allait alors se trouver au centre d’une foire médiatique où le fait divers allait permettre aux médias en quête de récit à sensation et membres de la communauté noire radicaux en quête d’exposition de se mettre en avant tandis que son univers s’écroulait. Féroce, cruel et terriblement cynique, Tom Wolfe dressait un portrait peu reluisant de ses concitoyens, quelques soit leur milieu, tous entièrement asservi au profit et à la notoriété quelles qu’en soient les conséquences.

De Palma dans son adaptation ne pêche pas par une infidélité à l’intrigue du livre, mais par une tonalité totalement inappropriée. La satire du livre laisse donc place à une farce grotesque qui surligne à gros trait et passe à côté de tous les grands thèmes du livre. De Palma en tirant l’ensemble vers l’immense pantalonnade rigolarde passe complètement à côté du propos de Tom Wolfe. Le casting et l’interprétation catastrophique illustre ainsi le désastre. Tom Hanks (qui plus tard saura camper des personnages plus trouble) encore tendre et à l’allure trop sympathique ne convainc pas pour camper l'arrogant Sherman Mcoy dont l’empathie naît de la déchéance progressive et injuste qu’il subit.


Là le personnage fait preuve d’une bonhomie incitant à la bienveillance d’emblée. Bruce Willis s'en sort un peu près mais est trop propre sur lui pour être l'épave alcoolique Peter Fallow (journaliste au bout du rouleau qui saura démêler le vrai du faux) et les autres personnages du livre comme le révérend Bacon, subissent un traitement honteux car De Palma tire volontairement leur performance vers le cabotinage outrancier. Un immense miscast dont n’émerge que Mélanie Griffith (qui en fait pourtant des tonnes dans l'accent sudiste mais dans le ton de l'obsession des tics de langage de Tom Wolfe) avec le personnage pourtant le plus cliché en apparence, bombe sexuelle écervelée.
 

De plus De Palma détourne l'ambiguïté qui entoure le fait divers qui entraine le drame en en faisant une vraie agression (alors que c’est la manière dont chacun s’engouffre et interprète des actions entourés d’incertitudes qui fait le sel du récit) et la fin apocalyptique du livre est remplacée par un happy end où Morgan Freeman vient faire la leçon. Une des rares bonnes idées est d'avoir fait de Bruce Willis un narrateur ironique à la Georges Sanders dans All About Eve, pour le reste la virtuosité du réalisateur tourne à vide avec multitude de split screen inutile et de plans séquences n’apportant rien à la narration. L’esthétique très marquée début 90's assez hideuse n’aide pas non plus.


Il semble en fait que Brian De Palma soit très mal à l’aise avec un matériau littéraire imposant et qu’il peine à trouver le ton adéquat entre fidélité et apport personnel. Récemment son adaptation ratée du Dahlia Noir se fourvoyait dans les même travers : casting raté (le lecteur de James Ellroy en pleura à l’annonce de Josh Hartnett en héros et la ressemblance entre les deux femmes du récit pivot du livre tombe à l’eau avec le choix d’Hilary Swank et Mia Kirshner), orientation malvenue vers la farce… Le film sera logiquement un échec cuisant dont De Palma aura bien du mal à se remettre mais artistiquement (le somptueux L’Impasse) comme commercialement (Mission impossible) il effectuerait plus tard un retour remarqué.

Sorti en dvd zone 2 chez Warner

mardi 23 août 2011

El Chuncho - Damiano Damiani (1966)


El Chuncho, chef d’un groupe de bandits mexicains, attaque un train dans le but d’y prendre des armes et des munitions pour les revendre aux révolutionnaires dirigés par le général Elias. Grâce à l’intervention d’un passager américain, l’attaque réussit et le jeune homme est intégré à la bande d’El Chuncho…

En 1966, année de sortie d'El Chuncho (tout d’abord sorti sous le titre espagnol de Quien Sabe ?), le cinéma politique est déjà particulièrement actif avec des oeuvres comme La Bataille d’Alger ou encore Queimada. Ces deux derniers films sont scénarisés par Franco Solinas, auteur engagé (responsable bien plus tard du script de Monsieur Klein de Losey) et éclectique, distillant ses opinions autant dans le cinéma politisé en marge que dans un registre plus grand public. Un constat s’impose, les films militants sortant alors sont très intellectuels et avant-gardiste dans la forme, en plus d’adopter un ton austère et didactique qui limitait forcément leur portée.

Alors que parallèlement la comédie italienne remporte un succès massif tout en abordant sans détour les sujets sociaux les plus grinçants, une remise en question va se faire chez les artistes les plus activistes, pour tendre vers des œuvres plus populaires et susceptibles de toucher l’opinion. C’est sans doute la réflexion que s'est faite Solinas lorsqu’il s'est vu chargé de reprendre le scénario d'El Chuncho originellement écrit par Salvatore Laurani.

Le genre en pleine explosion en Italie alors est le western spaghetti, mis sur les rails par le triomphe de la trilogie des dollars de Sergio Leone ou encore le Django de Sergio Corbucci. Solinas déplace l’histoire de Laurani vers un terrain nettement plus politique, l’arrivée du réalisateur Damiano Damiani accentuant cet aspect. On lui doit en effet deux des films les plus marquants des années de plomb avec Confession d’un commissaire de police au procureur de la République en 1971 et Nous sommes tous en liberté provisoire.

El Chuncho est son premier western (on lui doit plus tard l’oubliable Un Génie, deux associés, une cloche produit par Leone) et également une première manifestation du contenu de ses œuvres à venir. L’agencement de tous ces éléments va créer un sous-genre majeur du western spaghetti, appelé le western Zapata. El Chuncho en définit la formule immuable avec le cadre de la Révolution mexicaine, l’association entre un « péon » inculte et une jeune américain idéaliste, ainsi que la tonalité du film d’aventure trépidant.

L’opposition entre les paysans mexicains et les armées du Général Diaz offrait une parabole idéale aux idéaux de gauche, le western américain n’ayant que superficiellement abordé ce contexte dans Vera Cruz ou Les Sept Mercenaires. Le succès d'El Chuncho entraînera avec lui une foule de suiveurs. Corbucci réalisera des œuvres truculentes sur ce thème avec El Mercenario, Companeros et le bien nommé Mais qu’est-ce que je viens foutre dans cette révolution ?.

Sergio Sollima fera du mexicain illettré un héros à part entière avec le personnage de Cuchillo (joué par Tomas Milan) dans son diptyque Saludos Hombre et Colorado et Sergio Leone mettra un point final au western Zapata avec son apolitique et désenchanté Il était une fois la Révolution. Le précurseur El Chuncho demeure néanmoins par son mélange d’idéalisme naïf et de lucidité amère le représentant le plus marquant du genre.

Une des grandes réussites d'El Chuncho est d'avoir su doser idéalement ce qui deviendra un cliché romancé dans les autres westerns Zapata. L’image du péon révolutionnaire ignorant au grand cœur est fortement malmenée avec le personnage d'El Chuncho. Ses actes sont teintés d’une ambiguïté certaine, pillages et massacres en tous genres sous couvert de révolution servant avant tout à s’enrichir avec la revente d’armes. Ironiquement, lorsque l’occasion se présentera d’agir en vrais guérilleros pour défendre un village menacé par l’armée, toute sa bande battra en retraite par peur de perdre le bénéfice des armes en les donnant aux villageois.

Solinas connaissant bien les travers des gauchistes les plus radicaux, les retranscrit ici à travers quelques révoltants actes de barbarie. Ainsi un riche propriétaire n’ayant pour seul tort que sa réussite en opposition à la misère des paysans sera impitoyablement tué « pour l’exemple », tandis que sa femme échappera de peu au viol collectif. Le radicalisme politique poussé jusqu’à l’inhumanité pure ou encore l’engagement masquant des visées plus pécuniaires, les maux qui provoquèrent l’échec d’autres grandes causes sont ainsi abordés avec lucidité. Damiani évite pourtant toute lourdeur dans son propos et c’est au détour de la grande fête de libération du village que le cadavre du propriétaire sera aperçu, gisant dans un coin, vague dommage collatéral.

Ces révolutionnaires ne seraient donc pas loin d’être antipathiques sans une interprétation haute en couleur. Le casting découle également de la volonté du film d’allier message et divertissement. Gian Maria Volonté, acteur à forte conscience politique aura autant donné de sa personne dans le western spaghetti (deux méchants mémorables chez Leone et surtout le Professeur dans Le Dernier face à face de Sollima) que dans les films politisés des années 70 comme Un Juge en danger où il retrouve Damiano Damiani. Il offre une prestation mémorable en El Chuncho, cabotin, violent, coureur mais aussi terriblement attachant dans ses défauts à la manière du Tuco du Bon, la Brute et le Truand. Dans le rôle de l’Américain glacial aux objectifs mystérieux, on trouve un tout jeune Lou Castel.

Une vraie surprise de le trouver là tant ses choix de l’époque (Les Poings dans les poches de Marco Bellochio, François d’Assise de Liliana Cavani) se font sous le signe du militantisme et des personnages en rebellion. Dans un registre plus "B", on notera les présences de Klaus Kinski (acteur incontournable du genre) en prêtre illuminé et Martine Beswick, anglaise d’origine jamaïcaine, qu’on retrouve dans quelque Bond et productions Hammer. Les exploits et les actes discutables de cette joyeuse troupe se noient dans un tourbillon de péripéties ébouriffantes.

Tout au long de l’histoire, Damiani et Solinas ont largement jeté le doute quant aux réelles motivations et à l’engagement de leur héros révolutionnaire. L’équilibre entier du film réside dans la relation étrange entre El Chuncho et Nino (Lou Castel) l’Américain venu rejoindre les rangs mexicains. Chuncho s’avère proprement fasciné par la détermination froide vouée au profit du jeune américain, une attitude vers laquelle il tend sans pouvoir totalement s’y résoudre.

Lors de l’épisode du village de rebelles, il faudra toute la faculté de manipulation du Nino pour faire partir la bande alors que Chuncho semblait animé d’une vraie volonté d’aider les plus faibles. Mine renfrognée tout en calcul, Nino est une machine froide et déterminée à un seul objectif que révèlera la conclusion : tuer le général à la tête des révolutionnaires mexicains. C’est dans son personnage et ses motivations qu’apparaissent les intentions des auteurs, faisant écho à l’interventionnisme américain ayant alors cours en Amérique du sud. Ayant judicieusement misé sur la cupidité de ses acolytes, Nino aura suffisamment bien manœuvré pour arriver à ses fins. Pourtant, sa noirceur se voit atténuée par la réelle amitié qu’il semble avoir pour Chuncho.

La conclusion aurait pu être idéale de cynisme lorsque Nino accueille Chuncho après les événements et lui propose de mener la grande vie en partageant la récompense avec lui. Pourtant ces dernières minutes condensent tout ce que le reste du film aura exprimé de manière dilatée : la différence fondamentale entre ces deux-là. La cupidité de Chuncho découle de ses origines misérables mais tendent malgré tout vers des plaisirs conviviaux tels l’amitié, les femmes et la bonne chair. Tout cela, Nino n’en a eu cure tout au long de l’intrigue, car ces agréments ne sont que la récompense de son but suprême : l’argent.

(attention spoiler ne pas lire ce dernier paragraphe si vous souhaitez gader la surprise intacte) Le scénario aura en fait été l’illustration du vrai éveil idéologique de Chuncho, ne pouvant se conformer à l’attitude indifférente de son partenaire. Les signes affleurent lors de l’ultime séquence où Chuncho et Nino s’apprêtent à prendre un train pour les USA.

- Nino : "As-tu payé la fille de cette nuit ?"
- Chuncho : "Pour qui me prends-tu ? Je n’ai jamais payé pour ça !"
- Nino : "Payer, ça évite toujours les complications."


Tout le fossé séparant les deux héros s’exprime dans ce dialogue trivial et le mépris dont fait preuve Nino à la gare en doublant une file de pauvres au guichet achève de faire vaciller Chuncho. L’assurance détachée du Nino se transforme en incrédulité lorsque Volonté l’abat. Dans un éclat de rire salvateur, Chuncho distribue sa récompense aux pauvres non sans leur avoir recommandé d’acheter de la dynamite avec. La révolution peut continuer…

Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side

lundi 22 août 2011

On s'fait la valise docteur? - What's Up, Doc?, Peter Bogdanovich (1972)

Un chercheur (Ryan O'Neal) vient à San Francisco concourir pour une bourse en musicologie. Sur place, il rencontre une jeune femme (Barbra Streisand) qui sème le désordre partout où elle passe.
 
Parmi toutes les tentatives modernes de revival de la screwball comedy, le film de Bogdanovich est sûrement une des plus convaincantes avec le plus récent Intolérable Cruauté des frères Coen. Bogdanovich ne parvient certes pas à dépasser l’exercice de style et le pastiche (on est loin de l’empathie que savait conférer un Hawks, un Wilder ou un Sturges pour leur personnages) mais à quelques broutilles de rythme et d'interprétation près le film parvient néanmoins à être quasiment aussi jubilatoire que les grands films de l'âge d'or hollywoodien.

En cinéphile averti, Bogdanovich mélange gaiement l'hystérie de La Dame du vendredi et L'impossible monsieur bébé, le non-sens délirant de Hellzapopin, la rigueur millimétrée des gags de Buster Keaton et le sens de l'absurde délirant des Marx Brothers. Le titre original What's up Doc ? annonce la couleur, Barbra Streisand faisant office de Bugs Bunny et Ryan O'Neal d’Elmer

Comme d'habitude il est question d'une rencontre amoureuse improbable entre le timide et effacé O'Neal et la miss catastrophe en rond Streisand. Autour d'eux gravite tout un groupes de personnages (un agent fédéral, un révolutionnaire, des mafieux, des voleurs...) pourchassant pour des objectifs divers des valises du même modèle mais au contenus différents, le tout provoquant quiproquos en pagailles.

Dès les premières minutes le rythme se fait étourdissant entre dialogues au débit mitraillette, personnages hystériques, et gags en rafales qui réclament la plus grande attention sur ce qui se déroule en arrière-plan. Les échanges malheureux de valises en tout genre sont savoureux, tout comme certains dialogues absurdes mais c'est lorsque Bogdanovich provoque le chaos et l’anarchie que la jubilation est de mise

Parmi les grands moments, une chambre d'hôtel joyeusement saccagée, un dîner mondain qui part totalement en vrille et surtout une course poursuite finale extraordinaire où San Francisco devient un immense terrain de jeu voué à la destruction. Ryan O'Neal n'est pas Cary Grant c'est certain (et à un peu trop tendance à le singer) mais s'en sort honorablement et c’est Barbra Streisand (qui ne chante que le temps d’une brève scénette merci à elle), débordant de charme et d’espièglerie qui porte réellement le film sur ses épaules. Un très bon moment qui donne envie de revenir aux fondamentaux qui l’ont inspiré.

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner

dimanche 21 août 2011

Le Château dans le Ciel - Tenkū no Shiro Rapyuta, Hayao Miyazaki (1986)

Dans le ciel flotte un château, vestige d'un royaume légendaire: Laputa. La jeune Sheeta possède la pierre qui pourrait y conduire mais elle fait l'objet de bien des convoitises. En l'aidant à échapper aux pirates de l'air et à l'armée, Pazu, jeune garçon d'une cité minière, est entraîné dans une fabuleuse aventure.
 
L'immense succès de Nausicaä (1984) avait signé l'indépendance d'un Miyazaki qui débarrassé des contraintes des grands studios avait enfin pu imposer un univers personnel et son perfectionnisme maladif à travers la splendeur visuelle du film. La production du film fut de longue haleine notamment l'obtention du financement puisque la mode étant à l'adaptation de manga plutôt qu'aux scripts originaux Miyazaki fut contraint suite à de multiples refus de coucher une version papier dont le succès permis de lancer le film dont le succès pose les fondations du futurs Studio Ghibli lancé dans la foulée.

Le Château dans le Ciel a donc la lourde tâche d'être le premier film produit au sein du Studio Ghibli et c'est en grande partie pour cette valeur historique qu'on le retient. C'est également un des chefs d'œuvres de Miyazaki faisant le lien entre ses travaux précédents et l'évolution à venir dès Kiki la petite sorcière qui suivra. Le Château dans le Ciel est pour Miyazaki l'aboutissement d'une longue quête, celle du film d'aventures ultime. Le réalisateur y regroupe ainsi plusieurs éléments d'œuvres antérieures. L'argument du récit lorgne ainsi largement vers la série Conan, le fils du futur, sorte de répétition générale de Laputa où on trouve déjà la quête d'un garçon intrépide et dur à cuire cherchant à protéger une jeune fille dont le pouvoir secret en fait la proie d'ennemis malfaisants.

L'influence occidentale, allant de la littérature enfantine anglo-saxonne qu'il a étudiée de près (le titre original Laputa vient notamment du nom de l'île volante du troisième récit des Voyages de Gulliver de Jonathan Swift) à l'esthétique très steam punk et inspirée de l'épure d'un Moebius ou du Roi et L'Oiseau de Paul Grimault atteint également des sommets ici. Enfin, Miyazaki s'en donne à cœur joie dans son amour des machines volantes tandis que les multiples courses poursuites et gags annexes (dont une mémorable bagarre) rappellent grandement la cultissime version canine de Sherlock Holmes dont il réalisa 6 épisodes.

Désormais son propre maître, Miyazaki peut donner le film somme de ce qu'il ne parvint à disséminer que par intermittences dans ces diverses commandes pour délivrer le récit d'évasion absolu après lequel il court, enrichi de ses thématiques. Depuis Le Voyage de Chihiro Miyazaki donne volontairement dans des récits plus décousus à la progression moins ouvertement élaborée laissant voguer son imaginaire. La construction magistrale de Laputa donne donc à voir le soin qu'il apporte dans une narration classique. La première partie dépeint avec une limpidité parfaite le lien tendre unissant Shiita et Pazu ainsi que leur passé les liant à Laputa.

Les méchants et leur fourberies se révèlent dans l'action, l'aspect comique des pirates (dont la matrone dur au cœur tendre est inspirée de la propre mère de Miyazaki !) préparant leur rôles plus positif en opposition à l'implacable détermination des militaires menés par Muska alors que les moments d'accalmies dévoilent une poésie envoutante comme l'arrivée flottante de Shiita ou la séquence des pierres phosphorescente dans la caverne.

Enfant de la bombe atomique, Miyazaki exprime une vraie dualité quant à technologies utilisées dans le film, avec une ampleur de plus en plus grande. Ainsi la carcasse du robot tombé de Laputa une fois ranimée sème une infernale destruction tandis que bien plus tard nos héros découvriront une autre machine du même modèle qui dernier survivant de la cité soigne la faune locale. De même l'émerveillement ressenti lors de l'arrivée à Laputa (porté par un score magique de Hisaishi pour sa deuxième collaboration avec Miyazaki) est contrebalancé par l'apocalypse finale lorsque la forteresse volante déploie son arsenal de guerre.

Le message écologique de Miyazaki se fait même philosophique à travers la description des merveilles abandonnées de l'ancienne civilisation de Laputa, disparue par sa volonté de se substituer aux Dieux alors que l'Homme est fait pour évoluer sur terre. C'est d'ailleurs vers cette terre que s'en vont au bout de leurs aventures Pazu et Shiita, nouveaux Adam et Eve d'un monde dont ils n'apprécieront que mieux les splendeurs.

D'une perfection technique ébouriffante qui n'a pas pris une ride (décors saisissant de détails, séquence aérienne et d'actions d'une fluidité stupéfiante...) Le Château dans le Ciel est donc bien l'évasion ultime promise par Miyazaki qui signe là tout simplement le plus beau film d'aventure des 80's. Ayant atteint son objectif, il pouvait logiquement passer à autre chose et si la touche occidentale demeure dans Kiki et Porco Rosso (et ne réapparaîtra que dans le mitigé Le Château Ambulant) à suivre, le Maître y explorera désormais de nouveaux territoires.

Sorti en dvd chez Disney

vendredi 19 août 2011

Flammes sur l'Asie - The Hunters, Dick Powell (1958)


Le major Saville est affecté en Corée, où il rencontre un lieutenant et sa charmante épouse, Kristina, dont il tombe amoureux. Cela va compliquer les relations professionnelles des deux hommes

Dernier film de la mince mais efficace carrière de réalisateur de Dick Powell, The Hunters constitue un solide et prenant film de guerre aérien. Le film est adapté du premier roman éponyme de James Salter qui y relatait son expérience de pilote au sein d'une unité renommée durant la Guerre de Corée. Sans forcément trahir sur le fond le propos de Salter, le film est bien plus romanesque et nettement moins sombre. L'intrigue du livre est largement remaniée et prend un tour plus positif dans les changements effectués. Le Major Saville (ici joué par Robert Mitchum parfait de droiture) est plus proche du très torturé Lieutenant Abbott (Lee Philips) du film, Pell (Robert Wagner) est antipathique jusqu'au bout, pas de trace des épouses des pilotes et le livre semblait plutôt dénoncer la vacuité de la recherche de la gloire et de l'héroïsme au combat.

Malgré tout sur fond donc le film saisit bien le coeur des thèmes Salter. Robert Mitchum, pilote chevronné fraîchement affecté en Corée doit d'emblée gérer deux problème dans son escadron. D'un côté le Lieutenant Abbott pilote torturé et peu sûr de lui cachant sa peur dans l'alcool et à l'inverse le trop satisfait Pell, vrai chien fou ne pensant qu'à améliorer son tableau de chasse. A cela s'ajoute un début de romance entre Mitchum et l'épouse délaissée d'Abott (May Britt) qui dans sa culpabilité lui demande de veiller sur son époux dans les airs. Ces différents éléments alimentent grandement la tension et le suspense des séquences aérienne qui sont à couper le souffle.

La logistique du film est largement soutenue par l'US Air Force même si certains modèle contemporain son maquillés pour ressembler à ceux en usage durant le conflit, tel les Republic F84 Thunderstreak retouchés pour faire figure de Mig15 coréens. Powell qui avait déjà démontré un sacré brio technique dans un récit guerrier en mer avec Torpilles sous l'atlantique récidive dans les airs avec ces combats aérien virtuose et un gestion parfaite du montage entre transparences (toutes les vues du cockpit impressionnante) vraies scènes de vol et stock shot pour un crash spectaculaire.

Dénué de patriotisme prononcé, le film étonne par on côté désabusé sur le conflit et ses acteurs. Les jeunes pilotes semblent vouloir prendre une revanche sur la Seconde Guerre Mondiale où ils n'ont pu briller, les plus anciens comme Mitchum retrouver l'exaltation de ces instants mais les enjeux nébuleux de cette guerre semble retirer tout panache à leurs actes. Ce n'est que lors de l'étonnante dernière partie en forme de survival en territoire ennemi où ils se battent pour leur survie et non plus la gloire et les sensations fortes que les sentiments, l'héroïsme et l'entraide peuvent se manifester.

Robert Mitchum est aussi convaincant et charismatique sous un jour héroïque ou sentimentalement résigné (très jolies et sobres scène avec May Britt) et Robert Wagner moins subtil apporte une belle énergie à son fougueux personnage. Lee Philips qui incarne la figure la plus intéressante ne convainc pas totalement néanmoins, en faisant peut être un peu trop dans le mal être. Un jolie réussite donc...

Sorti en dvd zone 2 français chez Fox