Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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vendredi 23 avril 2021

Thirst for Love - Ai no kawaki, Koreyoshi Kurahara (1967)


 Une jeune veuve, Etsuko, s'est installée dans la maison où vit sa belle-famille, les Sugimoto, dans la campagne en banlieue d'Osaka. Elle devient l'amante passive de son beau-père Yakichi et tombe amoureuse de Sabouro, un domestique.

Thirst for love est une adaptation brillante du roman Une soif d'amour de Yukio Mishima. Paru en 1950, le roman se situe dans la première période de l’écrivain plutôt sous influence européenne. On il y trouve effectivement quelque chose de Sade ou de Georges Bataille (auteurs vénérés par Mishima) dans les rapports de domination confrontant les personnages et le film de Koreyoshi Kurahara par son personnage féminin névrosé semble un pendant du contemporain Mademoiselle de Tony Richardson (1966) écrit par Jean Genet et Marguerite Duras. Il y en effet quelque chose d’archétypal dans le contexte bourgeois et les conflits de classe au cœur du récit où un contexte européen s’entremêle à des éléments spécifiquement japonais (ou inversement). 

La demeure cossue de la famille Sugimoto semble comme hors du temps par son emplacement (ce plan d’hélicoptère au début qui la montre isolée au milieu d’une immensité de forêt et verdure) mais également les rapports qui s’y nouent. Etsuko (Ruriko Asaoka) jeune veuve a comme dans la tradition japonaise emménagée la demeure de sa belle-famille en compagnie de son beau-père Yakichi (Nobuo Nakamura) et de ses beaux-frères et sœurs. On est cependant loin des cohabitations feutrées et respectueuses à la Ozu puisque Etsuko entretien une liaison quasi explicite avec Yakichi, tandis que le fils de celui-ci est un quarantenaire oisif vivant au crochet de sa famille tout en admonestant régulièrement son père. Les rapports entre la belle-fille et son beau-père ne trouble cependant pas la maisonnée mais en équilibre les forces, Yakichi accaparée par sa jeune maîtresse atténuant ses manières brutales (essentiellement verbales) de tyran envers son entourage.

Koreyoshi Kurahara alterne dans sa mise en scène une forme de distance et hauteur d’entomologiste à la Shohei Imamura avec un côté plus fébrile et sensitif où il s’attache au point de vue d’Etsuko. Pour cette dimension distante formellement il se plait à longuement filmer en plongée ses personnages (la scène de repas en début de film), rendant dérisoire leur agitation et invectives comme s’ils étaient des insectes ou les pions d’un destin ironique et déjà joué. L’environnement se fait plus incertain en redescendant parmi les humains et plus particulière en suivant une Etsuko littéralement rongée par le désir pour le jeune domestique Saburo (Tetsuo Ishidate). Kurahara use de tous les artifices possibles pour traduire la subjectivité de ce désir et la manière dont le temps s’arrête lorsque la jeune femme dévore du regard ou laisse ses pensées inondées de la simple évocation du visage, du corps de Saburo. Zoom, effets de flous, panoramiques brutaux, tout y passe même si ce bouillonnement doit avant tout rester intérieur pour sauver les apparences. 

Chaque mèche de cheveux lâche, mordillement de lèvre, regard discrètement concupiscent de Ruriko Asaoka (incroyablement habitée), est l’objet d’une amplification stylisée du réalisateur qui ose toutes les métaphores les plus charnelles (ce robinet qui goutte en gros plan). Dès lors c’est dans un contraste de rudesse et de bienveillance qu’elle va tenter d’attirer l’attention de Saburo. Cependant nous sommes là dans une sorte d’anti Lady Chatterley puisque le fantasme d’être possédée avec rudesse par un homme de rang inférieur ne sera jamais assouvi pour Etsuko. Les situations lorgnent sur ce cliché mais se heurtent au clivage de classe et à la retenue japonaise. Saburo est un homme-enfant insouciant qui malgré son désir latent, ne conçoit pas être digne du moindre rapprochement, même amical (le cadeau des chaussettes) avec Etsuko. Il y a quelque chose d’enfantin dans les « taquineries » et subterfuge de cette dernière pour être aimée de Saburo et Kurahara estompe toute forme de romanesque pour adopter un érotisme feutré, mais aussi l’ironie à travers une voix-off omnisciente qui explicite les pensées et la frustration de l’héroïne. 

Ce jeu de séduction prendra un tour plus tragique lorsqu’il entraînera d’autres personnage comme la servante Miyo (Chitose Kurena) tombée enceinte de Saburo. Ce croisement de douceur et de cruauté qu’elle adresse à Saburo sans attirer son attention, Etsuko l’appliquera aussi à Miyo. Si elle ne peut l’attirer vers elle par amour, ce sera peut-être le cas par la haine en le faisant souffrir. Kurahara nous entraîne dans un dédale où le fantasme s’entremêle à la réalité, séparant explicitement les deux pour créer le dépit, ou alors en créant la confusion pour retarder et amplifier la déception (les griffures dans le dos que Etsuko pense avoir fait à Saburo). 

Lorsqu’au final tant les sentiments, les paroles et les gestes attendus ne correspondront pas à l’idée fébrilement espérée de ce rapprochement quand il se produira, seule la mort et la destruction seront possible. Malgré tout l’objet de la statue amène une forme de mélancolie et romantisme morbide sur un amour et désir qui était peut-être partagés, mais rendus par nature incompatible par ce clivage social. Etsuko et Saburo sont chacun à leurs manières enfermées dans des codes de classes et de sexe qui auront rendu impossible l’expression explicite de leur désir.Ce n'est pas un hasard si la couleur intervient lors de la dernière scène, le fantasme n'en est que plus ardent lorsque la tentation/possibilité de le réaliser n'existe plus. 

Sorti en dvd zone 1 chez Criterion et doté de sous-titres anglais

mercredi 21 avril 2021

Le Grand Chef - Chief Crazy Horse, George Sherman (1955)


 Le grand chef indien Red Cloud annonce en mourant à sa tribu qu'elle sera bientôt dirigée par un grand chef mais que ce dernier sera tué par l'un de ses guerriers. Le jeune Crazy Horse comprend à la suite de cette vision qu'il est le héros de cette prophétie. Les années ont passé. Crazy Horse épouse la jeune Black Shawl. Son propre cousin, Little Big Man, est jaloux de lui. Battu par Crazy Horse, il quitte la tribu et devient un soldat. Mais on apprend que les terres des Sioux possèdent de l'or. Les familles des Indiens sont massacrées. Les Sioux comprennent que Crazy Horse est le guerrier désigné et prennent le sentier de la guerre...

Le Grand Chef s’inscrit dans le courant pro-indien du western des années 50, et plus particulièrement pour le réalisateur George Sherman qui consacrera plusieurs films à ce thème : Sur le territoire des Comanches (1950), Tomahawk (1951) et Au mépris des lois (1952). Le Grand Chef nous dépeint donc le destin de Crazy Horse (Victor Mature), grand chef indien à l’œuvre dans l’union des tribus sioux et qui contribuera à la fameuse défaite du Général Custer à Little Big Horn. George Sherman l’inscrit dans une dimension mystique, mythologique mais également tragique avec sa destinée guerrière annoncée dès son enfance par une prophétie et des visions qui l’assaillent. Ce sont les moments les plus inspirés formellement et qui interviennent en début de film, porté par la présence de Victor Mature. 

C’est l’un des aspects intéressant tout au long du film, l’attitude va-t-en-guerre inflexible (mais déterminée par les traités non tenus des blancs) est-elle déterminée par ce destin ou alors par la croyance irrationnelle qu’en a Crazy Horse. Face à cela se dresse l’antagoniste Little Big Man (Ray Danton) traître au peuple sioux (et dans un traitement très différent du futur film d’Arthur Penn avec Dustin Hoffman) qui devance les évènements qui lui sont défavorable avec opportunisme, loin de ce mysticisme. Le peuple sioux est donc en sursis, l’ironie étant que ce seront les éléments naturels et la famine qui auront raison de lui en dépit des victoires guerrière de Crazy Horse. 

Ces éléments sont donc plutôt bien vus mais le film manque d’ampleur, de souffle et de vrais personnages charismatiques sortis d’un Victor Mature très juste entre l’homme qui doute et la figure de chef.  Le film ne décolle jamais réellement, les morceaux de bravoures sont timides et elliptiques (Little Big Horn simplement évoqué en dialogue) et le récit ne transcende pas le côté attendu de ce qu’il annonce en préambule. Cela se laisse regarder mais Sherman a fait bien mieux sur le sujet avec Tomawak justement.


 Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Sidonis

 

mardi 20 avril 2021

Aux sources de l’animation japonaise, le studio Tôei Dôga (1956-1972) - Marie Pruvost-Delaspre


Marie Pruvost-Delaspre consacre un ouvrage passionnant aux premières années de la Tôei Dôga (aujourd’hui rebaptisée Toei Animation), studio qui pose les jalons de l’animation japonaise moderne telle que nous la connaissons actuellement. C’est un travail riche de documentation, d’analyse et de propos rapportés qui permet d’avoir une perspective plus complète et nuancée sur l’histoire de la japanimation.

Le studio Toei est la dernière des Majors japonaise à émerger (après les historiques Nikkatsu, Shochiku, Toho, Daei) en 1951. Ce contexte d’après-guerre en fait une figure centrale des enjeux de continuité et d’innovations par rapport à ce qui a précédé, et notamment à travers la création de sa branche animation en 1956. Toei se situe alors au carrefour de l’influence des pionniers de l’animation japonaise d’avant-guerre, de celle du modèle Walt Disney et d’une volonté de façonner un modèle local propre. Marie Pruvost-Delaspre décrypte donc ces premiers pas sous l’angle technique, artistique mais aussi stratégique où la Toei privilégiera le long-métrage dans le contexte de bulle de la fréquentation exponentielle des salles japonaises et de la reconnaissance internationale du cinéma local récompensé dans les grands festivals. L’auteur développe la manière dont Toei organise l’acquisition et la transmission des savoirs dans une politique de recrutement et de formation massive pour tous les postes techniques. C’est l’occasion de scruter quelques spécificités locales et de relation maîtres-élèves qui combiné à cet objectif global axé sur le long-métrage abouti à une forme d’homogénéité. Les premiers films s’orientent vers le conte traditionnels japonais ou plus largement asiatique comme l’inaugural Le Serpent blanc (1956), partagé justement entre l’inspiration picturale asiatique et d’autres influence associée à un certain cinéma d’avant-garde occidental comme les œuvres de Norman McLaren.

Un des aspects passionnants du livre est de voir les courants de pensée artistique, politique et structurels contradictoires qui voient le jour au sein du studio. Les animateurs pionniers poursuivent une certaine ligne, un dogme formel dont les plus jeunes veulent s’émanciper. Cela préfigure les modèles créatifs de l’animation japonaise avec d’un côté des animateurs disposant d’une marge de liberté pour expérimenter et s’approprier certains moments-clés des films dans un fonctionnant collaboratif, et de l’autre une figure créative centrale qui décide de toutes les orientations formelles. C’est précisément l’écart à venir entre le studio Ghibli à venir où alors les animateurs starifiés par les otaku attirés par leurs morceaux de bravoures. C’est un schisme qui va d’ailleurs bouleverser la production des films avec la création du poste de directeur d’animation, en charge de trouver le juste équilibre entre homogénéité de production et espace de créativité artistique.

Marie Pruvost-Delaspre bouscule brillamment quelques certitudes, notamment sur l’impact de la télévision avec le succès de Astro Boy en 1963 adapté du manga d’Osamu Tezuka au sein de son studio Mushi Pro. On retrouve les propos d’époque selon lesquels la recherche formelle des long-métrages Toei fut mise à mal par l’animation limitée inhérente aux rythmes de production soutenus de la télévision et son épisode hebdomadaire. Cette animation limitée stimule l’inventivité de la mise en scène, la volonté d’un mode de narration feuilletonnant, inspiré du découpage et des codes du manga et cinéma traditionnel. Marie Pruvost-Delaspre dépeint très bien comparaison à l’appui cet approche dynamique qui s’oppose à la création de « moments » privilégiant la seule recherche picturale dans les films Toei. Les enjeux sont donc à la fois économiques et artistiques puisque tout au long des années 60 les conflits reposent sur les conditions de travail difficiles (salaires disparates entres salariés et contractuels) mais aussi la marge de manœuvre des artistes se sentant de plus en plus étouffés. Le film Horus, le prince du soleil d’Isao Takahata (1968) est au cœur de ces préoccupations en essayant de façonner au cœur du studio une œuvre représentative des velléités artistiques mais aussi des orientations politiques des équipes. Les dépassements de budget et l’échec commercial du film sonnera le glas de ces aspirations et cet idéal se réalisera ailleurs, et bien plus tard. La volonté d’expansion (notamment internationale) de la Toei à ses débuts via le long-métrage se heurte une la réalité où la télévision offre plus de perspectives commerciales qui prendront le pas avec l’adaptation d’un matériau connu (manga à formule plutôt que conte traditionnel, ouvrage jeunesse occidentaux pour l’exportation) et au potentiel merchandising alors balbutiant.

L’auteur montre ainsi le schisme qui aboutira à de longues batailles syndicales dont les techniciens sortiront perdant (c’est l’avènement de la sous-traitance à l’étranger) mais qui aboutira aussi à l’émancipation de certains qui iront créer leur propre structure. Madhouse, TMS ou bien plus tard Ghibli naissent de cette volonté et pour ce dernier (Isao Takahata et Hayao Miyazaki faisant partie des frondeurs Toei) l’avènement d’un espace créatif correspondant au projet originel de Toei – mais ironiquement tout aussi castrateurs pour les équipes soumises à l’orientation de Miyazaki et Takahata. Le long-métrage animé disparait un temps durant cette période charnière avant de renaître à la fin des années 70, à la fois comme une façon de valoriser le produit télévisé à l’économie (film d’après le montage de plusieurs épisodes de série) puis de façon plus ambitieuse avec les films Yamato, Galaxy Express 999, Le Château de Cagliostro. De façon plus générale toutes les mutations à venir viendront d’artistes formés ou biberonnés en tant que spectateur par les premières production Toei, pour en reprendre, détourner ou s’éloigner du modèle initial.

La dernière partie du livre est d’ailleurs très intéressante pour montrer comment la conscience et l’historiographie naissante de cette ère jouera un rôle dans les évolutions à venir (les prémices du studio Ghibli venant d’une interview souhaitant revenir sur la création de Horus, œuvre marquante malgré son échec.) Marie Pruvost-Delaspre signe donc un ouvrage foisonnant et indispensable à tout amateur d’animation japonaise, et qui donne envie de voir nombre des œuvres évoquées et pas forcément facile d’accès. 

Edité chez Pur-Edition

dimanche 18 avril 2021

Three Times - Zui hao de shi guang, Hou Hsiao Hsien (2005)


 Trois époques, trois histoires, 1911, 1966, 2005, incarnées par le même couple de comédiens. Ce conte sentimental évoque ainsi la triple réincarnation d'un amour infini...
1966, Kaohsiung : le temps des amours : Chen tombe amoureux de May, rencontrée dans une salle de billard. Mais il doit partir faire son service militaire.
1911, Dadaocheng : le temps de la liberté : Une courtisane est éprise d'un révolutionnaire qui la néglige, préférant se consacrer à ses activités politiques.
2005, Taipei : le temps de la jeunesse : Jing, jeune chanteuse épileptique, vit une aventure avec une femme, Micky. Employé dans une boutique de photos, Zheng trompe Blue, sa petite amie, avec Jing.


Three Times est une belle œuvre-somme entre la première et la seconde partie de la filmographie de Hou Hsiao Hsien, d'abord centré sur le passé intime (Les Garçons de Fengkuei (1983), Un été chez grand père (1984), Un temps pour vivre, un temps pour mourir (1985), Poussières dans le vent (1986) et La Fille du Nil (1987)) du réalisateur et celui de Taïwan dans les 80's, puis plus spécifiquement à sa grande Histoire dans 90's (La Cité des douleurs (1989), Le Maître de marionnettes (1993) et Good Men, Good Women (1995)). Hou Hsiao Hsien a le sentiment qu'il y a certains souvenirs fugaces dont la simple évocation forge la personne que nous sommes. Il souhaite explorer le sujet un film omnibus divisé en trois époques dont il partagerait la mise en scène avec deux réalisateurs taïwanais débutants. Le projet n'aboutit pas faute de financement et de disponibilité et Hou Hsiao Hsien va décider de réaliser et produire l'ensemble du film. Dès le départ l'idée est d'avoir Shu Qi dans les trois parties afin de prolonger la collaboration entamée sur Millenium Mambo (2001), et le charismatique Chang Chen sera choisi pour former le couple traversant les époques. Chacune des parties entremêle subtilement éléments romanesques, politiques et sociologiques intimement reliés au contexte historique. 

Le film s'ouvre en 1966 sur une histoire directement inspirée d'un souvenir de jeunesse de Hou Hsiao Hsien. Sur le point d'être mobilisé pour son service militaire, il tomba amoureux d'une "fille de billard", fonction en vogue pour les jeunes femmes alors que les salles de billard pullulaient à Taïwan, avec laquelle il entretiendra une relation épistolaire avant de brièvement la retrouver par la suite. C'est un segment au romantisme lumineux et positif dont le charme repose la manière d'exprimer l'amour par le non-dit. May tombe amoureuse de Chen à travers ses mots avant même de le voir, en lisant la déclaration qu'il a écrite à sa prédécesseuse et sa rencontre ne fera que confirmer cet émoi. Hou Hsiao Hsien filme avec grâce les regards à la dérobée, le jeu de billard hésitant car troublé par la proximité de l'autre, et capture par son seul sens de l'atmosphère la naissance du sentiment amoureux. L'arrière-plan socio-politique contrasté est sobre mais bien présent que ce soit par sa dimension oppressante (ce service militaire qui nous oblige à tout quitter) mais aussi euphorisant avec l'influence angle vue sous un angle positif avec la bande-son gorgée de tubes dont la répétitivité accentue magnifiquement l'emphase romantique - le premier frôlement de main qui conclut le segment. Hou Hsiao Hsien enveloppe ses acteurs d'une photogénie baignée de la grâce du souvenir, en particulier une Shu Qi solaire et si attachante, notamment la superbe scène de sa réaction surprise, gauche et émerveillée lors des retrouvailles avec Chen.

La seconde partie en 1911 rappelle les atmosphères de Les Fleurs de Shanghai (1998) situé dans ce même monde des courtisanes. Si l'urgence et le contexte de la première partie rendait le contact fugace mais ardent, le hiératisme et la solennité de ce segment ils signifient ici l'impossibilité de l'accomplissement de la romance entre la courtisane (Shu Qi) et le révolutionnaire. Hou Hsiao Hsien façonne cette distance dans son dispositif où les dialogues passent par des intertitres à la façon du cinéma muet (solution esthétique pour pallier au manque de temps des acteurs pour apprendre la langue chinoise très spécifique de l'époque). La proximité physique ténue du couple correspond aux mœurs de l'époque où elle n'était possible qu'à l'abri des maisons closes, mais signifie aussi l'inévitable séparation à laquelle les condamne leurs aspirations différentes. L'horizon de sa possible émancipation s'éloigne pour la courtisane tandis que le révolutionnaire n'aspire qu'à poursuivre son activisme politique sur le continent. La texture de tableau, d'enluminure figée dont on est prisonnier se ressent ainsi dans la composition de plan et les postures de statues de cires, le jeu contenu où la passion n'existe que par le seul regard ardent, vient entériner par l'image cet amour impossible. 

La troisième partie est contemporaine et si l'arrière-plan politique (une période d'élection mouvementée où Hou Hsiao Hsien s'engage d'ailleurs directement) n'est pas directement évoqué, il se reflète dans l'instabilité émotionnelle des personnages. Les scènes d'amour sensuelles et explicites montrent un contact physique désormais frontal mais auquel s'oppose contrairement aux précédents segments des sentiments incertains. Les couples se font et défont, se trompe et ne s'arrête pas à la seule hétérosexualité. Pourtant aucune des situations de couple ne façonne ce cocon aimant et hors du monde ressenti dans les autres parties, la relation amoureuse n'est qu'un prolongement de l'incertitude sociale ambiante et ne suffit plus à l'apaisement. Hou Hsiao Hsien anticipe un élément existant (et d'ailleurs inspiré d'une de ses connaissances) en 2005 mais amené à s'amplifier largement avec les réseaux sociaux, le contraste de libération et d'isolation de l'individu par internet.

Jing se perd dans un couple lesbien où elle se montre absente tout comme avec un amant hétéro qu'elle se partage avec sa vraie petite amie (jouée par la même actrice qui éconduit initialement Chen dans la première partie). Dès lors le seul lieu où être elle-même et exposer ses fêlures est internet et le personnage insaisissable qu'elle s'y construit. Les atmosphères urbaines ternes, fait de quartier banlieusard à la lisière de Taipei ou de réseau routier terne, exprime cette déshumanisation du monde extérieur à travers la photo grise de Mark Lee Ping-bin. L'ensemble forme un tout cohérent témoignant dans une approche plus fugace mais tout aussi passionnante de cette notion de souvenir, de réminiscence et de réincarnation s'inscrivant avec les éléments intimes et contextuels de leur temps.

Au passage il s'agit du 2500e texte du blog !

Sorti en dvd zone 2 français chez TF1 Vidéo