Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

lundi 10 mai 2021

Les Fleurs de Shanghai - Hai shang hua, Hou Hsiao Hsien (1998)

Dans le Shanghaï du XIXe siècle, entre l'opium et le mahjong, les hommes se disputaient les faveurs des courtisanes qu'on appelait les fleurs de Shanghaï. Wang, un haut fonctionnaire qui travaille aux affaires étrangères, partage ses aventures amoureuses entre Rubis et Jasmin...

Les Fleurs de Shanghai est un film charnière dans l’œuvre de Hou Hsiao Hsien. C’est une œuvre où il s’éloigne à la fois de la veine intime de ses films des années 80 (Les Garçons de Fengkuei (1983), Un été chez grand père (1984), Un temps pour vivre, un temps pour mourir (1985), Poussière dans le vent (1986)) mais aussi de l’ancrage historique de son cycle suivant sur le passé de Taïwan (La Cité des douleurs (1989), Le Maître de marionnettes (1993) et Good Men, Good Women (1995)). Les Fleurs de Shanghai se situe dans un passé plus lointain avec cette Chine continentale de la fin du XIXe siècle, mais si la reconstitution sera certes raffinée et méticuleuse, on s’éloigne de toute préoccupation politico-historique trop marquée (et par conséquent de lien à Taïwan) pour nous plonger dans les méandres d’un monde clos et de ses codes dans une approche stylisée et organique qui annonce les films suivants du réalisateur dont le fameux Millenium Mambo (2001). 

Ce dépaysement se ressent même sur des éléments pas forcément perceptibles par le spectateur occidental. Les aléas de financement et coproduction amènent le casting à être composé à la fois de stars hongkongaises (Tony Leung Chiu-wai, Michelle Reis, Carina Lau), d’acteurs taïwanais et habitués de Hou Hsiao Hsien comme Jack Kao et de la japonaise Michiko Hada. Nous ne sommes cependant pas dans les facilités d’un cinéma hollywoodien qui s’essaie à un récit à l’environnement asiatique (Memoir of Geisha qui caste les Chinoises et malaisiennes et Zhang Ziyi, Michelle Yeoh et Gong Li pour jouer des Japonaises, en anglais…). Pour Hou Hsiao Hsien c’est une manière d’accentuer le dépaysement y compris pour les spectateurs locaux puisque les dialogues du film sont dans la langue shanghaienne du XIXe, plus pratiquée désormais et que les acteurs durent apprendre pour certains phonétiquement ou alors être doublés (Hou Hsiao Hsien préfèrera d’ailleurs rendre muet et sous-titrer le segment de Three Times (2005) se situant à la même période historique car n’ayant pas le temps de faire apprendre la langue aux acteur comme ici). C’est donc à une plongée dans l’ailleurs en termes d’atmosphères, de rythme et de rapport humains que nous préparent tous ces artifices et ce dès la scène d’ouverture.

Un groupe d’homme festoient dans une maison close, leurs courtisanes juchées debout derrière eux comme des trophées ornementaux et participant à leurs jeux à boire. Cependant deux d’entre eux dont Wang (Tony Leung Chiu-wai) quitte bientôt l’assemblée pour rejoindre leur courtisane attitrée qui les attends dans ses quartiers. Après leur départ, les restants déplorent alors ou se moquent des rapports conflictuels et passionnés que les absents entretiennent avec leur maitresse. En effet si les circuits qui amènent les femmes à être courtisanes (généralement orpheline vendues à des maisons closes et éduquées en vu de leur future vocation) obéissent à des codes de soumissions patriarcaux, la question se fait plus complexe parmi les plus populaires d’entre elles dans le lien au client. Même si des sentiments sincères peuvent naître et aboutir au mariage, les prémices commerciaux de la relation ne s’estompent jamais réellement. La jalousie supposée masque plutôt la concurrence commerciale quand Rubis (Michiko Hada) reproche à Wang de fréquenter Jasmin (Vicky Wei), nouvelle venue. 

Elle invoque le manque à gagner qu’implique son exclusivité à Wang alors qu’il va voir ailleurs, et ses dettes non remboursées par ce dernier.  Cette dépendance est pourtant plus contrastée quand on comprendra que ce lien essentiellement « pécuniaire » est entretenu et voulut par Rubis alors que Wang souhaitait épouser. A l’opposé on trouve une farouche volonté d’indépendance chez d’autres comme la déterminée Emeraude (Michelle Reis) qui évite toute proximité amoureuse avec le client pour tenter de racheter sa liberté. On oscille ainsi dans des interactions intimes au carrefour entre soumission et/ou prolongation du modèle (la vieille patronne qui continue d’avoir des aventures avec de jeunes amants, Jade jeune courtisane prête au suicide passionnel) et volonté de s’en émanciper, le choix se faisant selon l'option la plus lucrative. On sera d’ailleurs frappé par la quasi-absence de sensualité, de tendresse et de proximité physique, l’oubli se fait dans les volutes d’opium plutôt que les bras de l’autre dans cette atmosphère flottante où l'intimité est alcôve et prison dorée.

Le film est adapté (sur un scénario de la fidèle Chu Tien-wen) d’un roman de Han Bangqing, auteur qui vécu à cette période et retranscrivit dans son ouvrage des situations dont il fut témoin puisqu’il était lui-même un visiteur assidu des maisons de plaisirs. Hou Hsiao Hsien reprend la narration du livre, dépourvu de fil rouge narratif et passant d’une situation à l’autre par les fondus au noir. Visuellement cela s’illustre comme une suite de tableaux dont les soubresauts sentimentaux passent par les nuances de la photo de Mark Lee Ping Bin, les compositions de plan où la disposition des personnages, le travail de texture entre le décor (qui renforce le côté vase-clos en ne faisant jamais distinguer si l’on est de nuit ou le jour) et les costumes, expriment par l’image toute la complexité des rapports entre les personnages. 

Les trous sur l’évolution de certaines relations sont comblés furtivement par un dialogue, mais c’est bien l’écrin formel qui est le moteur émotionnel de Hou Hsiao Hsien.  Comme dans Millenium Mambo à venir, les notions de dominant/dominé sont plus complexes, à la fois pour les femmes entre elles (leur surnom désignant presque pour toutes un bijou, donc la brillance narcissique autant que la possession) et face à des hommes bourreaux comme victimes (la mélancolie finale de Wang) du monde qu’ils ont conçu. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Carlotta

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire