Trois époques, trois histoires, 1911, 1966, 2005, incarnées par le même couple de comédiens. Ce conte sentimental évoque ainsi la triple réincarnation d'un amour infini...
1966, Kaohsiung : le temps des amours : Chen tombe amoureux de May, rencontrée dans une salle de billard. Mais il doit partir faire son service militaire.
1911, Dadaocheng : le temps de la liberté : Une courtisane est éprise d'un révolutionnaire qui la néglige, préférant se consacrer à ses activités politiques.
2005, Taipei : le temps de la jeunesse : Jing, jeune chanteuse épileptique, vit une aventure avec une femme, Micky. Employé dans une boutique de photos, Zheng trompe Blue, sa petite amie, avec Jing.
Three Times est une belle œuvre-somme entre la première et la seconde partie de la filmographie de Hou Hsiao Hsien, d'abord centré sur le passé intime (Les Garçons de Fengkuei (1983), Un été chez grand père (1984), Un temps pour vivre, un temps pour mourir (1985), Poussières dans le vent (1986) et La Fille du Nil (1987)) du réalisateur et celui de Taïwan dans les 80's, puis plus spécifiquement à sa grande Histoire dans 90's (La Cité des douleurs (1989), Le Maître de marionnettes (1993) et Good Men, Good Women (1995)). Hou Hsiao Hsien a le sentiment qu'il y a certains souvenirs fugaces dont la simple évocation forge la personne que nous sommes. Il souhaite explorer le sujet un film omnibus divisé en trois époques dont il partagerait la mise en scène avec deux réalisateurs taïwanais débutants. Le projet n'aboutit pas faute de financement et de disponibilité et Hou Hsiao Hsien va décider de réaliser et produire l'ensemble du film. Dès le départ l'idée est d'avoir Shu Qi dans les trois parties afin de prolonger la collaboration entamée sur Millenium Mambo (2001), et le charismatique Chang Chen sera choisi pour former le couple traversant les époques. Chacune des parties entremêle subtilement éléments romanesques, politiques et sociologiques intimement reliés au contexte historique. Le film s'ouvre en 1966 sur une histoire directement inspirée d'un souvenir de jeunesse de Hou Hsiao Hsien. Sur le point d'être mobilisé pour son service militaire, il tomba amoureux d'une "fille de billard", fonction en vogue pour les jeunes femmes alors que les salles de billard pullulaient à Taïwan, avec laquelle il entretiendra une relation épistolaire avant de brièvement la retrouver par la suite. C'est un segment au romantisme lumineux et positif dont le charme repose la manière d'exprimer l'amour par le non-dit. May tombe amoureuse de Chen à travers ses mots avant même de le voir, en lisant la déclaration qu'il a écrite à sa prédécesseuse et sa rencontre ne fera que confirmer cet émoi. Hou Hsiao Hsien filme avec grâce les regards à la dérobée, le jeu de billard hésitant car troublé par la proximité de l'autre, et capture par son seul sens de l'atmosphère la naissance du sentiment amoureux. L'arrière-plan socio-politique contrasté est sobre mais bien présent que ce soit par sa dimension oppressante (ce service militaire qui nous oblige à tout quitter) mais aussi euphorisant avec l'influence angle vue sous un angle positif avec la bande-son gorgée de tubes dont la répétitivité accentue magnifiquement l'emphase romantique - le premier frôlement de main qui conclut le segment. Hou Hsiao Hsien enveloppe ses acteurs d'une photogénie baignée de la grâce du souvenir, en particulier une Shu Qi solaire et si attachante, notamment la superbe scène de sa réaction surprise, gauche et émerveillée lors des retrouvailles avec Chen.La seconde partie en 1911 rappelle les atmosphères de Les Fleurs de Shanghai (1998) situé dans ce même monde des courtisanes. Si l'urgence et le contexte de la première partie rendait le contact fugace mais ardent, le hiératisme et la solennité de ce segment ils signifient ici l'impossibilité de l'accomplissement de la romance entre la courtisane (Shu Qi) et le révolutionnaire. Hou Hsiao Hsien façonne cette distance dans son dispositif où les dialogues passent par des intertitres à la façon du cinéma muet (solution esthétique pour pallier au manque de temps des acteurs pour apprendre la langue chinoise très spécifique de l'époque). La proximité physique ténue du couple correspond aux mœurs de l'époque où elle n'était possible qu'à l'abri des maisons closes, mais signifie aussi l'inévitable séparation à laquelle les condamne leurs aspirations différentes. L'horizon de sa possible émancipation s'éloigne pour la courtisane tandis que le révolutionnaire n'aspire qu'à poursuivre son activisme politique sur le continent. La texture de tableau, d'enluminure figée dont on est prisonnier se ressent ainsi dans la composition de plan et les postures de statues de cires, le jeu contenu où la passion n'existe que par le seul regard ardent, vient entériner par l'image cet amour impossible. La troisième partie est contemporaine et si l'arrière-plan politique (une période d'élection mouvementée où Hou Hsiao Hsien s'engage d'ailleurs directement) n'est pas directement évoqué, il se reflète dans l'instabilité émotionnelle des personnages. Les scènes d'amour sensuelles et explicites montrent un contact physique désormais frontal mais auquel s'oppose contrairement aux précédents segments des sentiments incertains. Les couples se font et défont, se trompe et ne s'arrête pas à la seule hétérosexualité. Pourtant aucune des situations de couple ne façonne ce cocon aimant et hors du monde ressenti dans les autres parties, la relation amoureuse n'est qu'un prolongement de l'incertitude sociale ambiante et ne suffit plus à l'apaisement. Hou Hsiao Hsien anticipe un élément existant (et d'ailleurs inspiré d'une de ses connaissances) en 2005 mais amené à s'amplifier largement avec les réseaux sociaux, le contraste de libération et d'isolation de l'individu par internet.
Jing se perd dans un couple lesbien où elle se montre absente tout comme avec un amant hétéro qu'elle se partage avec sa vraie petite amie (jouée par la même actrice qui éconduit initialement Chen dans la première partie). Dès lors le seul lieu où être elle-même et exposer ses fêlures est internet et le personnage insaisissable qu'elle s'y construit. Les atmosphères urbaines ternes, fait de quartier banlieusard à la lisière de Taipei ou de réseau routier terne, exprime cette déshumanisation du monde extérieur à travers la photo grise de Mark Lee Ping-bin. L'ensemble forme un tout cohérent témoignant dans une approche plus fugace mais tout aussi passionnante de cette notion de souvenir, de réminiscence et de réincarnation s'inscrivant avec les éléments intimes et contextuels de leur temps.
Au passage il s'agit du 2500e texte du blog !
Sorti en dvd zone 2 français chez TF1 Vidéo
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