Une jeune veuve, Etsuko, s'est installée dans la maison où vit sa belle-famille, les Sugimoto, dans la campagne en banlieue d'Osaka. Elle devient l'amante passive de son beau-père Yakichi et tombe amoureuse de Sabouro, un domestique.
Thirst for love est une adaptation brillante du roman Une soif d'amour de Yukio Mishima. Paru en 1950, le roman se situe dans la première période de l’écrivain plutôt sous influence européenne. On il y trouve effectivement quelque chose de Sade ou de Georges Bataille (auteurs vénérés par Mishima) dans les rapports de domination confrontant les personnages et le film de Koreyoshi Kurahara par son personnage féminin névrosé semble un pendant du contemporain Mademoiselle de Tony Richardson (1966) écrit par Jean Genet et Marguerite Duras. Il y en effet quelque chose d’archétypal dans le contexte bourgeois et les conflits de classe au cœur du récit où un contexte européen s’entremêle à des éléments spécifiquement japonais (ou inversement).
La demeure cossue de la famille Sugimoto semble comme hors du temps par son emplacement (ce plan d’hélicoptère au début qui la montre isolée au milieu d’une immensité de forêt et verdure) mais également les rapports qui s’y nouent. Etsuko (Ruriko Asaoka) jeune veuve a comme dans la tradition japonaise emménagée la demeure de sa belle-famille en compagnie de son beau-père Yakichi (Nobuo Nakamura) et de ses beaux-frères et sœurs. On est cependant loin des cohabitations feutrées et respectueuses à la Ozu puisque Etsuko entretien une liaison quasi explicite avec Yakichi, tandis que le fils de celui-ci est un quarantenaire oisif vivant au crochet de sa famille tout en admonestant régulièrement son père. Les rapports entre la belle-fille et son beau-père ne trouble cependant pas la maisonnée mais en équilibre les forces, Yakichi accaparée par sa jeune maîtresse atténuant ses manières brutales (essentiellement verbales) de tyran envers son entourage.Koreyoshi Kurahara alterne dans sa mise en scène une forme de distance et hauteur d’entomologiste à la Shohei Imamura avec un côté plus fébrile et sensitif où il s’attache au point de vue d’Etsuko. Pour cette dimension distante formellement il se plait à longuement filmer en plongée ses personnages (la scène de repas en début de film), rendant dérisoire leur agitation et invectives comme s’ils étaient des insectes ou les pions d’un destin ironique et déjà joué. L’environnement se fait plus incertain en redescendant parmi les humains et plus particulière en suivant une Etsuko littéralement rongée par le désir pour le jeune domestique Saburo (Tetsuo Ishidate). Kurahara use de tous les artifices possibles pour traduire la subjectivité de ce désir et la manière dont le temps s’arrête lorsque la jeune femme dévore du regard ou laisse ses pensées inondées de la simple évocation du visage, du corps de Saburo. Zoom, effets de flous, panoramiques brutaux, tout y passe même si ce bouillonnement doit avant tout rester intérieur pour sauver les apparences. Chaque mèche de cheveux lâche, mordillement de lèvre, regard discrètement concupiscent de Ruriko Asaoka (incroyablement habitée), est l’objet d’une amplification stylisée du réalisateur qui ose toutes les métaphores les plus charnelles (ce robinet qui goutte en gros plan). Dès lors c’est dans un contraste de rudesse et de bienveillance qu’elle va tenter d’attirer l’attention de Saburo. Cependant nous sommes là dans une sorte d’anti Lady Chatterley puisque le fantasme d’être possédée avec rudesse par un homme de rang inférieur ne sera jamais assouvi pour Etsuko. Les situations lorgnent sur ce cliché mais se heurtent au clivage de classe et à la retenue japonaise. Saburo est un homme-enfant insouciant qui malgré son désir latent, ne conçoit pas être digne du moindre rapprochement, même amical (le cadeau des chaussettes) avec Etsuko. Il y a quelque chose d’enfantin dans les « taquineries » et subterfuge de cette dernière pour être aimée de Saburo et Kurahara estompe toute forme de romanesque pour adopter un érotisme feutré, mais aussi l’ironie à travers une voix-off omnisciente qui explicite les pensées et la frustration de l’héroïne. Ce jeu de séduction prendra un tour plus tragique lorsqu’il entraînera d’autres personnage comme la servante Miyo (Chitose Kurena) tombée enceinte de Saburo. Ce croisement de douceur et de cruauté qu’elle adresse à Saburo sans attirer son attention, Etsuko l’appliquera aussi à Miyo. Si elle ne peut l’attirer vers elle par amour, ce sera peut-être le cas par la haine en le faisant souffrir. Kurahara nous entraîne dans un dédale où le fantasme s’entremêle à la réalité, séparant explicitement les deux pour créer le dépit, ou alors en créant la confusion pour retarder et amplifier la déception (les griffures dans le dos que Etsuko pense avoir fait à Saburo). Lorsqu’au final tant les sentiments, les paroles et les gestes attendus ne correspondront pas à l’idée fébrilement espérée de ce rapprochement quand il se produira, seule la mort et la destruction seront possible. Malgré tout l’objet de la statue amène une forme de mélancolie et romantisme morbide sur un amour et désir qui était peut-être partagés, mais rendus par nature incompatible par ce clivage social. Etsuko et Saburo sont chacun à leurs manières enfermées dans des codes de classes et de sexe qui auront rendu impossible l’expression explicite de leur désir.Ce n'est pas un hasard si la couleur intervient lors de la dernière scène, le fantasme n'en est que plus ardent lorsque la tentation/possibilité de le réaliser n'existe plus.Sorti en dvd zone 1 chez Criterion et doté de sous-titres anglais
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