Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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vendredi 7 mai 2021

Jeux de mains - Hands Across the Table, Mitchell Leisen (1935)


 A New York, Regi Allen, employée comme manucure dans un grand hôtel, ne songe qu'à faire un riche mariage. Theodore Drew III, client du même établissement, lui paraît la cible idéale. Mais il est en réalité ruiné et a exactement les mêmes desseins que Regi...

Jeux de mains est une comédie romantique fondatrice dans la carrière de Mitchell Leisen et Carole Lombard dont l'entente sur ce film va déterminer leurs réussites futures à venir. Sous contrat à Paramount, Carole Lombard est un casse-tête pour le studio qui n'arrive pas à l'identifier dans un emploi précis pour le public. Elle avait montré de vraies aptitudes pour la comédie romantique loufoque sur certains rôles précédents comme Twentieth Century d'Howard Hawks (1934) et la réussite de Jeux de mains va la lancer sur les fabuleux rôles délurés Mon homme Godfrey de Gregory La Cava (1936), La Joyeuse suicidée de William A. Wellman (1937) ou bien sûr To be or not to be d'Ernst Lubitsch (1942). Il en va de même pour Mitchell Leisen définira sa direction d'acteur (et plus précisément d'actrice avec Jean Arthur, Claudette Colbert ou Olivia de Havilland ensuite) à l'aune de son entente avec Carole Lombard sur le film, ainsi que le ton entre comédie délirante et arrière-plan social marqué dans ses succès suivants comme La Vie facile (1937), La Baronne de Minuit (1939) ou encore Par la Porte d'or (1940).

Comme dans nombre de films de Leisen à venir on trouve des personnages déchirés entre réussites sociales et épanouissement de leurs sentiments, avec souvent en arrière-plan le contexte de la Grande Dépression. C'est le cas de Regi Allen (Carole Lombard) modeste manucure dans un grand hôtel qui écarte justement les sentiments pour viser un riche parti parmi la clientèle de l'établissement. Elle va jeter son dévolu sur Theodore Drew III (Fred MacMurray), fils de bonne famille malheureusement ruiné par la crise et qui s'apprête aussi à faire un mariage d'argent. Leisen dresse un habile mur invisible entre Regi et Ted tant que leurs objectifs pécuniaires prévalent sur leur sentiment. Ainsi ce qui aurait pu être une belle scène romantique décalée lorsque Regi ruine les doigts de Ted lors d'une séance de manucure est un bijou de cynisme, sa maladresse ne venant pas d'un trouble amoureux mais plutôt de la fébrilité d'être face à un potentiel bon parti. Ted est dans la même logique mais de façon inversée, toute la décontraction et insouciance dont il fait preuve envers Regi vient du fait qu'il sait avoir un matelas doré qui l'attends avec sa fiancée richissime. 

Le vernis se brise le temps d'une soirée arrosée à l'issue de laquelle ils pensent se montrer tels qu'ils sont, intéressés et mutuellement prêts à s'entraider pour accomplir leurs objectifs. C'est un prétexte à leur sentiment amoureux naissant et un dialogue récurrent les voit s'interroger mutuellement sur le fait qu'ils ne cherchent qu'un riche mariage, ce qu'ils confirment chacun avec désinvolture tout en espérant implicitement une réponse différente de l'autre. C'est donc ce cynisme de façade qui autorise la vraie complicité facétieuse et la cohabitation des deux protagonistes dans d'excellentes scènes comiques où ils éconduisent leurs prétendants mutuels. Fred MacMurray est génial lorsqu'il en fait des tonnes en faux mari jaloux et violent pour faire fuir un courtisan de Regi, et Carole Lombard se lance dans une improvisation hilarante pour interrompre une conversation téléphonique entre Ted et sa fiancée. Toutes les scènes de cohabitation forcée dans l'appartement tissent un écrin tendre où Leisen distille avec brio le trouble par son travail sur l'espace (les scènes sur la terrasse qui libèrent le couple de son cynisme et le rend plus tendre), dans l'intimité qui développe une absence de pudeur progressive (Carole Lombard et sa lampe à bronzer) et tension sexuelle.

Le réalisateur fait progressivement basculer la comédie en mélo romantique en altérant la camaraderie qui se mue en amour. Carole Lombard est parfaite pour faire passer cela, comme lors de la scène où Ted explique avoir l'habitude de dormir dans un lit double et être à l'étroit dans le canapé. Le mélange de crainte et d'espérance dans l'expression de l'actrice est une pure merveille avant que Ted pas si cavalier lui demande simplement de le border comme un enfant. On regrettera même que ces délicieux moments dans l'appartement ne durent pas plus longtemps tant l'alchimie entre les deux acteurs fonctionnent bien (même si initialement Carole Lombard souhaitait Cary Grant mais ce dernier était indisponible). Une petite touche d'émotion supplémentaire est ajoutée avec le personnage de Allen Macklyn (Ralph Bellamy), riche confident en fauteuil roulant de Regi qui, complexé, tergiversera trop à se déclarer et verra son aimée cruellement lui échapper sous les yeux. Quelques habiles dialogues à double sens sur sa déconvenue amènent une émotion différente qui fonctionne tout autant. Un très bon moment donc et en plus d'une concision exemplaire, tout ça tient en 1h15 à peine !

Sorti en dvd zone 2 français chez Blaq Out dans un coffret qui comprend aussi le génial "La Baronne de Minuit" !

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