Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mercredi 23 janvier 2019

La Pagode en flammes - China Girl, Henry Hathaway (1958)

Johnny Williams, photographe américain, arrive à s'évader d'une geôle japonaise avec le Major Bull Weed, grâce à l'aide de l'amie de ce dernier, surnommée Fifi. Ils arrivent à Mandalay, où se trouve une base d'aviateurs américains, les "Tigres volants", opérant pour le compte des Chinois. Il tombe amoureux d'une femme - Haoli - qui se révèle être une chinoise luttant pour son pays.

China Girl est un film de propagande de curieuse facture par son étonnant mélange des genres. Tourné alors que les Etats-Unis sont déjà engagé dans la Deuxième Guerre Mondiale, la construction et la thématique du film s'inscrit plutôt dans celles des films qui poussaient plutôt à l'entrée en guerre du pays. Le récit dépeint ainsi la prise de conscience de l'individualiste Johnny Williams (George Montgomery), photographe américain coincé dans une Chine occupée par les japonais.

Toute la gouaille et le panache du personnage s'inscrit dans cet individualisme, plus important qu'une quelconque conscience politique même quand il refuse les avances des autorités japonaises qui souhaitent acheter ses services. Cela donne une dimension héroïque au personnage dans l'haletante scène d'évasion d'ouverture puis un aspect plus antipathique dans ses interactions avec les tigres volants (aviateurs américains opérant pour les chinois). Cette dualité s'exprime plus particulièrement dans le rapport avec la chinoise Miss Young (Gene Tierney) où sa séduction désinvolte n'opère pas sur la noblesse d'âme de la jeune femme. C'est précisément cette romance qui amorce l'éveil de Williams.

Le cadre du récit à la frontière sino-birmane déploie donc une intrigue d'espionnage apparentant le film à Casablanca (1942). Mais la fêlure qui rendait le personnage de Humphrey Bogart si attachant et vulnérable est absente chez Williams, et naîtra plutôt à l'issue de l'histoire. Néanmoins Hathaway différencie bien cet égoïsme simple de la fourberie de l'agent double incarné par Victor McLaglen. La photo de Lee Garmes tisse de brillantes nuances pour accompagner les jeux d'espions alors que la dévotion de miss Young s'accompagne d'une imagerie immaculée, notamment lors du final dans l'école. La très spectaculaire conclusion s'inscrit ainsi dans le pur film de guerre et le drame qui va s'y jouer achèvera d'humaniser notre héros.

Les bonnes intentions n'empêchent cependant pas un grand nombre de clichés faisant la part belle aux américains sauveurs. Les japonais sont fourbes et barbares (l'exécution massive en ouverture) et les chinois offre une résistance plus philosophique (le père de Miss Young lisant un poème aux enfants lors du bombardement) tandis qu'il faudra attendre l'éveil de Williams (et symboliquement des américains désormais engagés) pour un affrontement armé, victorieux et héroïque face aux japonais. L'émotion fonctionne néanmoins dans le rebondissement final tragique et China Girl demeure une œuvre intéressante et typique de son contexte.

Sorti en dvd zone 2 français chez Fox 

lundi 21 janvier 2019

Une femme qui s'affiche - it should happen to you, George Cukor (1953)

Gladys Clover, mannequin sans emploi, dépense ses dernières économies pour louer un panneau publicitaire à Columbus Circle, où elle fait écrire son nom en lettres gigantesques. Elle se heurte à Evan Adams III, roi du savon, qui convoite cet emplacement. Gladys devient rapidement une célébrité grâce à cette publicité et est courtisée par Adams.

George Cukor avec Une femme s'affiche un vrai film précurseur sur la quête de célébrité. Non pas que ces sujets ne soient pas en vogue durant les années 50 , mais à l'aune des quinze minutes de célébrités chères à Andy Warhol et de l'avènement des réseaux sociaux, ils trouvent aujourd'hui un force supplémentaire. Glady Clover (Judy Holliday) et sa quête maladive de reconnaissance ferait ainsi aujourd'hui de la téléréalité et/ou poursuivrai son but avec la même folie que le Robert de Niro de La Valse des pantins (1983). Le scénario de Garson Kanin évite ces détours trop sombres tout en se montrant tout à fait cinglant.

L'atout est de faire reposer l'empathie sur la prestation de Judy Holliday qui campe une fille du peuple candide pensant surmonter sa condition (entre la médiocrité de sa province d'origine et l'anonymat social de sa vie urbaine précaire) par la célébrité. Tout comme elle avait su magnifiquement humaniser un rôle caricatural d'idiote dans Comment l'esprit vient aux femmes de George Cukor (1950), Judy Holliday humanise l'héroïne qui ne sombrera jamais dans la monstruosité du protagoniste de Un homme dans la foule de Elia Kazan (1957). Parallèlement l'amoureux joué avec une belle sensibilité par Jack Lemmon (dans son premier rôle au cinéma) offre un regard critique bienveillant et une voie de salut à cette célébrité vaine.

La vraie critique de Cukor porte finalement sur le peuple suiveur, sorte d'entité uniforme attiré par la lumière avec cette scène où s'agglutinent tous autour de Glady en reconnaissant dans son nom celui qui s'affiche dans toute la ville (ce côté groupe à pensée unique annonce la scène d'hippodrome de My Fair Lady (1964). L'autre critique même si plus classique portera sur les vautours cherchant à s'approprier la quête de regard finalement assez innocente de Gladys et, même si cet aspect est rebattu, Cukor y associe une dimension féministe qui lui est propre avec cette femme rabaissée/manipulée comme dans Hantise (1944) ou Comment l'esprit vient aux femmes (et en quête d'identité comme La Croisée des destins (1955) ou Femmes (1939)).

Le réalisateur anticipe le narcissisme des réseaux sociaux en une scène magistrale où Gladys fait en boucle le tour en voiture de la place où elle peut regarder l'immense affiche qui porte son nom (et plus tard le tour de la ville quand elle se démultiplieront) comme on reviendrait aujourd'hui admirer ses photos sur instagram. La folie des selfies s'annonce également dans l'émeute pour un autographe où les demandeurs sont simplement attiré par la célébrité sans connaître son nom ni ce qu'elle fait. Le renommée sans socle ou talent sur lequel reposer suffit un temps à Gladys (là aussi la vedette de téléréalité n'est pas loin) mais Cukor n'ose pas une vision trop désabusée et cynique ans un final bienveillant. Une belle réussite semble-t-il assez méconnue du réalisateur.

Sorti en dvd zone 2 français chez Sony 

mercredi 16 janvier 2019

Ma nuit chez Maud - Éric Rohmer (1969)


Clermont-Ferrand, quelques jours avant Noël. Un jeune ingénieur, récemment revenu de l'étranger, remarque à la messe une jeune femme blonde et décide qu'elle sera sa femme. Il retrouve par hasard Vidal, un ancien ami, communiste, qui l'invite à un dîner le soir de Noël chez une amie divorcée, Maud. La soirée se passe en longues discussions à trois, puis à deux, mariant également sincérité et séduction…

Ma nuit chez Maud est le quatrième volet des Contes Moraux d’Éric Rohmer (mais le troisième si l’on considère leur ordre d’écriture) dont la production fut permise par la notoriété acquise par le réalisateur grâce à l’Ours d’argent remporté par La Collectionneuse (1967) au Festival de Berlin. La plupart des Contes Moraux montre un protagoniste masculin jouant avec la tentation d’une aventure, d’une séduction face à laquelle il finira par reculer. En apparence Rohmer ancre ce dilemme amoureux et/ou sexuel dans un conflit moral concret (marié comme dans L’Amour l’après-midi (1972) ou Le Genou de Claire (1970), ou du moins bientôt destiné à l’être dans La Collectionneuse) ou plus abstrait pour le personnage tiraillé dans une morale bourgeoise l’empêchant de franchir le pas. Ma nuit chez Maud creuse le même sillon, développant ces questionnements en passant paradoxalement par une plus grande austérité formelle et narrative. Les ambiances estivales, le marivaudage léger et l’insouciance laissent place à un Clermont-Ferrand hivernal filmé en noir et blanc, parfait théâtre du caractère entravé de Jean-Louis Trintignant.

Le début du film nous montre méticuleusement son quotidien rigoureux, ses trajets en voiture, sa distance face à ses collègues. Le seul moment de fuite sera ce regard appuyé envers cette jeune femme blonde (Marie-Christine Barrault) durant la messe et qu’il destine à être son épouse. Lorsque Vidal (Antoine Vitez) un ami d’enfance le convie à dîner chez Maud (Françoise Fabian), une amie divorcée, les contradictions du héros (jamais nommé) vont éclater au grand jour. La plupart des autres personnages masculins des Contes Moraux aimaient à donner une image de légèreté avant d’être rattrapés par leurs par leur tiraillements bourgeois. Jean-Louis Trintignant exprime exactement l’inverse, affichant une retenue physique, verbale et surtout morale qui ne demande qu’à être mise à l’épreuve. 

Il ne cède pas à un jansénisme sinistre mais s’impose des digues dans son rapport aux autres (cette volonté de ne pas se familiariser avec ses collègues) et surtout dans sa vie amoureuse. Durant le dîner, les discussions sur Blaise Pascal le montre opposé justement au jansénisme religieux du philosophe, trop catégorique dans les choix de vie qu’il s’impose. Trintignant s’autorise une plus grande liberté dans sa vie selon lui, non pas régie par un dogme mais justement par quelques barrières autour desquelles il peut naviguer. Il s’autorise des aventures, mais seulement concrètes et de longue durée, fuyant ainsi la bagatelle de la relation d’un soir. L’idéal féminin doit correspondre à un physique défini (correspondant justement à Marie-Christine Barrault), tout comme le fait qu’elle soit catholique comme lui. 

 Rieuse, athée et libre de ses mœurs, Maud représente donc l’exact opposé des aspirations de Trintignant. La partie où les personnages discutent à trois sert à concrétiser par le verbe la contenance étouffée que l’on a deviné du héros et le reste de la soirée à deux sera la mise à l’épreuve. Rohmer excelle à distiller formellement le trouble de Trintignant. La bascule des sentiments passe notamment sur ce gros plan où Maud se confie sur l’amour de sa vie perdu dans un accident de voiture (donnant une autre perspective à un dialogue précédent où elle a retenu Trintignant de conduire sous la neige et passer la nuit chez elle), la désinvolture devient gravité et la voix de Trintignant hors champs se fait silencieuse. 

Le contrechamp nous le montre ayant fui ce trouble pour aller regarder par la fenêtre. Ce mouvement de recul s’exprime ensuit dans l’attrait charnel. Rohmer oppose la préciosité ridicule du héros et la volupté, Trintignant s’enroulant dans une couverture (pour ne pas dormir sur le lit de Maud) tandis que le contrechamp de Maud laisse deviner qu’elle est désormais nue sous sa couverture. Dès que les deux personnages partagent le plan, le conflit entre désir et maintien renaît avec ce début d’enlacement dans le lit finalement repoussé par Trintignant – qui presse à nouveau Maud forcément après qu’elle l’ait rejeté pour son inconséquence. 

Trintignant a en fait déjà « élu » sa belle inconnue blonde et ne peut s’abandonner à un désir plus immédiat qui s’oppose à ses attentes. La séduction candide de Françoise (Marie-Christine Barrault), les hasards heureux et la nuit chaste passée sous le même toit n’a rien à voir avec la tension sexuelle de la nuit chez Maud pourtant non consommée aussi. L’être conforme n’est pas synonyme de danger, tandis que l’électron libre Maud éveille tous les instincts, la promesse d’inconnu et la spontanéité qui effraient Trintignant. Un écart parfaitement illustré par la scène finale où Maud plus sensuelle et radieuse que jamais croise sur la plage Trintignant aux côté de Françoise qui a totalement endossée le rôle attendu d’épouse de de mère. Le regard peut bien s’attarder sur le regard de braise et la silhouette de Maud, les pas de Trintignant suivront néanmoins la rassurante Françoise et le bonheur dans la norme qu’elle offre.

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Potemkine

mardi 15 janvier 2019

Pierre Salvadori, le prix de la comédie - Nicolas Tellop, Quentin Mével et Dominique Toulat


Pierre Salvadori est depuis ses débuts un des héritiers français d’une forme de comédie sophistiquée à l’américaine héritée de Lubitsch ou Billy Wilder. Il est parvenu dans ce registre à creuser un sillon singulier et personnel qui le différencie d’autres ambassadeurs français du genre tel que Jean-Paul Rappeneau notamment. A l’heure où Salvadori sort avec En liberté ! (2018) son film le plus explicitement sous influence de cette école comique américaine, voici un bel essai accompagné d’un passionnant entretien avec l’intéressé mené par Nicolas Tellop, Quentin Mével et Dominique Toulat.

La partie essai est courte mais riche de pistes passionnantes où les auteurs font le rapprochement et la différence entre l’art de Salvadori et celui de son maître à penser Lubitsch. La sophistication à travers divers motifs formels et narratif dans une science inventive du gag fonctionne selon les préceptes de la Lubitch’s touch - comparatifs se faisant avec moult et judicieux exemple. La différence se fait cependant par les environnements où s’orchestrent cette comédie humaine. Lubitsch privilégiait le cadre aristocratique et souvent européen comme une sorte de fantasme fastueux et léger pour les spectateurs des années 30 vivant alors la Grande Dépression. A l’inverse, si l’on fait exception d’un Cible émouvante (1993) hors du temps, Pierre Salvadori ancre ses personnages et intrigues dans un cadre social marqué qui sera à des degrés divers un moteur du récit (Les Apprentis (1995), Hors de prix (2006)). La mélancolie du réel vient perturber l’artificialité apparente de Lubitsch quand la légèreté vient irradier la grisaille du quotidien chez Salvadori.

L’entretien où Salvadori revient sur toute sa filmographie est passionnant. Humble et toujours doté de recul sur les manques supposés de certains de ses films, on sent cette recherche constante mais aussi la confiance progressive en sa vision au fil des œuvres discutées. Cette vision se fait au fil des atermoiements et apprentissage du métier de réalisateur où l’idée et le charme domine sur une maîtrise formelle qu’il admet vraiment atteindre avec l’excellent Après vous (2003). C’est à partir de là que la petite musique de Salvadori s’orne le plus ouvertement de cet élan lubitschien mais sans se départir de l’authenticité charmante des œuvres de 90’s. La recherche et l’exploitation du postulat comique, la science du montage et l’art d’associer l’acteur naturellement ou pas disposé à la comédie loufoque (passionnant passage sur le travail avec Adèle Haenel), tout le travail inhérent à ce genre si exigeant sont explorés dans la discussion. Un indispensable pour les afficionados de Pierre Salvadori et de la comédie au sens large. 

Edité chez Playlist Society