A Casablanca, pendant
la Seconde Guerre mondiale, le night-club le plus couru de la ville est tenu
par Rick Blaine, un Américain en exil. Mais l'établissement sert également de
refuge à ceux qui voudraient se procurer les papiers nécessaires pour quitter le
pays. Lorsque Rick voit débarquer un soir le dissident politique Victor Laszlo
et son épouse Ilsa, quelle n'est pas sa surprise de retrouver dans ces
circonstances le grand amour de sa vie...
L’organisation métronomique du système studio aura permis de
produire bien des chefs d’œuvres de l’âge d’or Hollywoodien. Pourtant parfois
lorsque la machine se dérèglait et la production se faisait plus chaotique, la
somme de talents à leur zénith permettait de produire des classiques devant
autant au génie qu’à de multiples heureux accidents. Casablanca est de ceux-là. Au départ, Casablanca n’est qu’une production Warner parmi tant d’autres
destinées à alimenter l’effort de guerre
alors que les Etats-Unis sont fraîchement engagés dans la Deuxième Guerre
Mondiale. Au départ, il y a la pièce de théâtre inédite Everybody Comes to Rick's écrite en 1938 par Murray Burnett et Joan
Alison. Les auteurs s’étaient inspirés de leurs voyages en Europe durant les
années 30 où ils purent assister aux conséquences de la montée du nazisme et
notamment au sort des réfugiés à Vienne.
La pièce est rachetée près de 20 000
dollars par la Warner et en confie la production à Hal B. Wallis qui la resitue
dans le cadre plus exotique de Casablanca et bien sûr dans le contexte de la
Deuxième Guerre Mondiale d’autant que la ville est désormais contrôlée par le
régime de Vichy. L’adaptation sera complexe, confiée au départ aux jumeaux Julius
J. et Philip G. Epstein qui l’imprègnent de leur ironie, tous les dialogues les
plus piquants étant de leur cru. Après leurs départ du projet c’est le
scénariste Howard Koch qui en renforce la dimension morale et politique et Casey
Robinson (spécialiste des mélodrames avec Bette Davis dont le superbe L'Étrangère (1940)) y mettra la dernière
main afin de rendre l’histoire d’amour plus touchante, on lui doit notamment la
scène de flashback à Paris.
En dépit d’autres suggestion du studio (Ronald
Reagan réserviste ne peut participer, Ann Sheridan) Hal B. Wallis impose un
Humphrey Bogart qui depuis quelques rôles quitte les emplois d’hommes de main
menaçant pour s’imposer comme lead notamment dans Le Faucon Maltais (1941). Un changement (afin de renforcer la
dimension cosmopolite de la ville de Casablanca) faisant de l’héroïne une
étrangère fera envisager Michèle Morgan à la production avant le choix d’Ingrid
Bergman. De même William Wyler, première idée de réalisateur laisse la place au
grand maître d’œuvre de la Warner Michael Curtiz, seul capable d’apporte la
cohérence à cet édifice fragile. En tout cas pour chacun des participants, Casablanca qu’un film de plus dans l’attente d’un projet
plus prestigieux, notamment pour Ingrid Bergman qui s’apprête à tourner la très
ratée adaptation d’Hemingway Pour quisonne le glas (1943).
La superbe scène d’ouverture dépeint avec concision le chaos
mondial d’alors et notamment le sort des réfugiés fuyant le nazisme obligé d’effectuer
un véritable périple à travers l’Europe (et la France occupée entre autres)
pour pouvoir gagner les Etats-Unis. Dernière étape avant de gagner Lisbonne
synonyme de passeport pour l’Amérique, la tentaculaire, cosmopolite et
dangereuse ville de Casablanca. La réalisation de Curtiz se fait alerte, la
caméra mobile et virtuose pour capturant l’urgence et le danger de ces
étrangers en transit coincés dans la ville. La mort est au rendez-vous de cette
France faussement libre mais appliquant les consignes allemandes. Deux choix s’imposent
donc dans ce contexte et représentée par les personnages principaux. Pour
survivre Rick Blaine (Humphrey Bogart) adopte un cynisme désintéressé symbolisé
par son club du Rick's Café Américain, espace où se mélange sans complexe résistants,
officiers allemands, police française où clandestin jouant leur passage au jeu.
Humphrey Bogart est parfait dans ce registre froid et désabusé, distillant à
chaque interlocuteur un égal détachement. Au détour de quelques dialogues on
devine qu’il n’en a pas toujours été ainsi par le passé où s’engagea
réellement, s’opposant aux fascistes en Ethiopie et en Espagne. Nous
découvrirons bientôt ce qui l’a rendu si hermétique à la cause lorsqu’arrive à
Casablanca Ilsa (Ingrid Bergman) accompagné de son époux Victor Laszlo, évadé
des camps et symbole vivant de la résistance au nazisme. Tout l’opposé de Rick
en somme mais pourtant quelques années plus tôt ils vécurent une brève et
passionnée romance à Paris, interrompue par l’invasion allemande et la
disparition brutale d’Ilsa.
Les enjeux politiques et l’atmosphère du film va peu à peu
se plier aux états d’âmes du couple. La photo stylisée de Arthur Edeson sera ainsi par ces teintes
sombres synonyme d l’intimité retrouvée ou éteinte de Rick et Ilsa. Ce voile
ténébreux se fait plus ténu dans les séquences de flashbacks jetant comme un
présage funeste à cette relation dont le romantisme est encore baigné de la
lumière d’un Paris encore libre. A l’inverse les séquences du présent nous plongent
réellement dans une obscurité très travaillée où les entrefilets de lumière
signifient l’espoir pas totalement éteint de voir le couple renouer. Les transitions
offrent ainsi de fulgurants moments de mise en scène comme lorsque Rick s’amorce
le flashback d’un Rick abattu, le travelling avant semble prendre un temps d’arrêt,
comme si Rick refusait de laisser ressurgir ces souvenirs douloureux puis l’imagine
s’illumine pour nous replonger dans le passé. L’apparition d’Ingrid Bergman
toute de blanc vêtue dans la pénombre du club poursuit ainsi cette idée, une
lueur dans le noir et un espoir dans ce nid de rancœur et d’incompréhension.
A travers cette esthétique, Curtiz traduit les ambivalences
et contradictions des personnages les plus intéressants. L’officier nazi
incarné par Conradt Veidt voire même Paul Henreid en résistant parfait sont
tout d’un bloc négatif ou bienveillant. A l’inverse le policier français
incarné par Claude Rains s’avère pragmatique et insaisissable jusqu’au bout et
bien sûr notre couple par l’incompréhension et les non-dits passe des états d’amour/haine
constants. Humphrey Bogart n’a jamais été plus sensible et romantique, chaque
réplique cinglante révélant peu à peu ses fêlures. Quant à Ingrid Bergman, sa
sensibilité à fleur de peau bouleverse, reflet inversé de Bogart dont le
torrent d’émotion s’imprègne constamment sur le visage angélique.
Le score de Max Steiner saura illustrer ces nuances notamment par les variances tour à tour oppressantes, torturées ou caressantes de la chanson As tears goes by. Le morceau n'a pas été écrit pour le film (écrit en 1931 par Herman Hupfled pour une comédie musicale) mais devint le leitmotiv du récit tissant le lien passé et/ou rompu des amants. Steiner détestait la chanson et envisageait de la changer mais la scène où Ingrid Bergman fredonne le morceau ne pouvait être retournée car celle-ci avait coupé ses cheveux pour la coiffure garçonne de Pour qui sonne le glas. Un heureux hasard, un de plus.
Le score de Max Steiner saura illustrer ces nuances notamment par les variances tour à tour oppressantes, torturées ou caressantes de la chanson As tears goes by. Le morceau n'a pas été écrit pour le film (écrit en 1931 par Herman Hupfled pour une comédie musicale) mais devint le leitmotiv du récit tissant le lien passé et/ou rompu des amants. Steiner détestait la chanson et envisageait de la changer mais la scène où Ingrid Bergman fredonne le morceau ne pouvait être retournée car celle-ci avait coupé ses cheveux pour la coiffure garçonne de Pour qui sonne le glas. Un heureux hasard, un de plus.
Dans le chaos du tournage, le scénario réécrit sans cesse ne
comportait pas de fin définitive. Un handicap pour les comédiens mais une
bénédiction pour le film puisque l’indécision et les conflits du triangle
amoureux s’avéraient tout aussi incertains, se traduisant naturellement dans
leur jeu (Ingrid Bergman ne sachant qui aimer puisque le scénario n’a pas
résolu son dilemme). L’une des plus belles fins de l’histoire du cinéma aura
donc été écrite en toute hâte mais parvient dans l’expression de son message
politique à traduire un romantisme désespéré qui sera le seul vrai point retenu
par le spectateur bouleversé par cette séquence d’adieu à l’aéroport. Le succès
du film s’inscrit donc dans son époque (les troupes américaines débarquant en
Afrique du Nord presque simultanément à la sortie) mais les émotions qu’ils
procurent s’avèrent éternelles.
Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Warner
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