Troisième film du rare Bennett Miller – si l’on excepte le
documentaire The Cruise (1998) – Foxcatcher s’avère un réel prolongement
thématique de Truman Capote (2005) et
Le Stratège (2011). On retrouve ici à
la fois la source réelle d’un fait divers sordide du premier mais aussi le
cadre sportif du second à travers ce récit de la mort du champion de lutte Dave
Schulz assassiné par son mécène John du Pont.
On retrouve là le portrait de mœurs à la fois humain et méthodique
de Miller, les sentiments se dévoilant peu à peu sous une forme très austère. L’humain
naîtra de la relation entre les frères Dave (Mark Ruffalo) et Mark Schulz
(Channing Tatum), champions de lutte dont le lien se dévoile dans les joutes d’entraînement
féroces et bienveillantes. Mark est un colosse aux pieds d’argile forcé de s’appuyer
sur l’assurance et la sérénité de Dave, moins imposant mais plus solide. Tout
cela passe par l’image dès leur première empoignade mais l’arrivée de John du
Pont (Steve Carell) va perturber cet équilibre. Ce dernier, riche héritier d’une
prestigieuse famille américaine va chercher à se faire le financier des deux
sportifs qu’il veut mettre dans les meilleures conditions en vue de l’échéance
des Jeux Olympique de Séoul en 1988. Pour ce faire il va notamment les héberger
dans son prestigieux domaine mais ce supposé refuge va en fait être le théâtre
d’une pure folie.
John Du Pont va s’avérer un reflet déformé de ceux qu’il
souhait placer sous son aile. Se rêvant mentor comme Dave, il est en fait un
être perdu comme Mark. Si ce dernier vit dans l’ombre de son frère et souhait
implicitement s’en détacher, du Pont est lui écrasé du poids de sa lignée là
aussi représenté par un membre de sa famille, cette mère (Vanessa Redgrave) en
forme de silhouette muette et inquisitrice. A nouveau Bennett Miller parvient à
faire passer ce malaise par la seule image le plus souvent. Du Pont est
introduit avec force mystère – ses acolytes étranges, sa demeure imposante - jusqu’à son apparition où son physique
malingre et ses traits figés jurent avec la figure charismatique que l’on s’attendait
à rencontrer. L’aura de chef dont il rêve ne s’exprime que par le discours et
la mise en scène, Miller l’humiliant constamment de manière subtile. Les poses
solennelles avachit sur son fauteuil dans une lumière immaculée trahissent dans
le contenu des séquences la manière dont ce leadership est artificiel. On pense
à ce moment où il impose sa volonté d’être dans le coin durant la compétition,
les figures basiques de luttes qu’il fait mine d’enseigner à des sportifs
aguerris quand sa mère curieuse vient jeter un œil aux entraînements.
Le conflit naîtra lorsque ces contradictions s’exprimeront
en situation. Perturbé par l’influence néfaste de son bienfaiteur, Mark quand
il patinera en compétition s’en remettra finalement à la bienveillance de son
frère Dave. Du Pont comprend alors son inutilité, il n’est qu’une coquille vide
sans attache, un « chef » ne devant son statut qu’à ses moyens
financier et forcé d’inventer sa légende dans des documentaires
hagiographiques. La démonstration est magistrale tant dans l’illustration que l’interprétation
(le grimage de Steve Carell est un peu trop encensé au détriment de la
formidable vulnérabilité de Channing Tatum qui trouve son meilleur rôle) mais
finalement le style froid et austère nous laisse un peu trop à distance.
Bennett Miller avait su faire naître la mélancolie d’un fait divers sordide ou
d’une notion aussi abstraite que des statistiques de baseball mais pêche à
totalement impliquer dans une œuvre dont le sujet se veut pourtant plus charnel
et frontal.
On ressent un peu un phénomène voisin de ce que pu connaître un
Paul Thomas Anderson (mais qui semble en être revenu avec son prochain film)
soudainement cloué au sol par ses grands sujets (There Will Be Blood et The
Master) à la mécanique impressionnante mais désincarnée. Foxcatcher a ainsi presque tout du grand
film sauf l’empathie, même négative. C’est un drame en marche dont nous
observons le déroulement sans réellement s’en émouvoir. Pas étonnant du coup
que la récompense cannoise ait été avant tout formelle avec ce prix de la mise
en scène. Bennett Miller n’en reste pas moins un des cinéastes américains les
plus intéressants en activité et il n’y a plus qu’à espérer que son film
suivant soit plus habité.
En salle en ce moment
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire