Après l'embuscade d'un
gang de yakusas inconnu contre deux autres et la mort de pas mal de gangsters
des clans agressés, l'un des auteurs du guet-apens, Manabe, est arrêté et
embarqué au commissariat. Dans un esprit de vengeance bien compréhensible, les clans
Sakura et Otsuki attendent sa sortie de pied ferme pour l'exécuter manu
militari. Le commissaire s'allie alors au détective Tajima (dont les
motivations sont un peu floues il faut bien le dire) pour que ce dernier
intercepte Manabe lors de sa sortie.
Sans atteindre le génie formel et la folie de ces opus les
plus audacieux (La Marque du tueur
(1967) en tête), Détective bureau 2-3
est une œuvre emblématique du style de Seijun Suzuki. Après des débuts en tant
qu’assistant réalisateur à la Shochiku, Suzuki intègre la Nikkatsu au milieu
des années 50 et dont la politique lui permettra de produire ses meilleurs
films à partir des années 60. La Nikkatsu se spécialise en effet dans la série
B à petit budget dans des productions souvent destinées à être des doubles
programmes de films plus prestigieux. Le polar en est un des genres roi dans
des titres destinés à la jeunesse et sur des trames classiques les réalisateurs
jouissent d’une certaine liberté de manœuvre, Seijun Suzuki pouvant s’adonner à
des expérimentations de plus en plus extravagantes jusqu’au point de rupture de
La Marque du tueur qui lui vaudra le
licenciement du studio.
On a donc ici un scénario archétypal qui sera dynamité par l’esthétique
tapageuse de Seijun Suzuki. Un gang de yakuza mystérieux bien renseigné s’immisce
durant les transactions frauduleuses de ses rivaux, trucidant tout le monde et
empochant la marchandise. Un suspect, Manebe (Tamio Kawaji) est rapidement
appréhendé mais doit être libéré faute de preuve. Le détective privé Hideo
Tajima (Jô Shishido) sous couverture va se rapprocher de lui et infiltrer son
gang. Le film est à contre-courant du film de yakuzas classiques où les criminels
endossent une aura mythique et héroïque. Ici Suzuki se fait subversif en en
faisant des êtres vils et bêtement violents, notamment lors de la séquence où
ils attendent tous la sortie de prison de Manabe pour le trucider. Suzuki les
filme comme un une sorte de zoo surexcité et assoiffé de sang, un troupeau dont
l’identité se perd dans un magma de visages
haineux et de gestuelles menaçantes.
Plus tard lorsque Tajima remontera la
piste du gang, ses éminences s’avéreront sans grand charisme ni aura
inquiétante. C’est à son héros que Suzuki réserve son inspiration, Shishido
imposant à la fois élégance et présence virile renforcée par son physique
étrange et ses fameuses joues enflées. Une première apparition digne de James
Bond dans un casino, un bagout et un sang-froid à toute épreuve, ce Tajima est
le héros indestructible par excellence. Toujours calme et stoïque quand tout s’agite
autour de lui, Suzuki en fait paradoxalement un véritable agent du chaos et du
désordre (un peu à la manière de Toshiro Mifune dans le Yojimbo de Kurosawa) qui fait dynamiter la mafia yakuza de l’intérieur.
Les personnages positifs bénéficient d’un même traitement soigné quel que soit
leur temps à l’écran, on pense cette jeune femme acoquinée malgré elle au
yakuza (Reiko Sasamori) dont les fêlures contenues se laissent deviner avant
que l’intrigue les révèle. Les acolytes de Tajima sont très réussis également
entre l’homme de main souffre-douleur et un détonante partenaire féminine
pleine d’énergie.
Formellement nous n’en sommes pas encore aux
expérimentations formelles qui feront le sel des films suivant de Suzuki mais l’ensemble
ne manque pas d’idées et s’avère très percutant. Les scènes d’actions sont
stylisées et nerveuses, autant pour générer l’adrénaline (la fuite de Manebe
qui entraine une superbe séquence de poursuite en voiture) que la tension (la
scène où Majima est pris au piège dans un entrepôt enflammé). L’élégance de la
mise en scène de Suzuki fait merveille, que ce soit dans le mouvement (ce
splendide travelling qui accompagne l’arrivée de Tajima dans le garage) que
dans les cadrages, les compositions de plans et la beauté pop qui se dégage de
toutes les séquences de cabarets.
Sous cette maîtrise toute en retenue, les
débordements futurs se devinent néanmoins tel les retrouvailles entre Manebe et
sa maîtresse dans un appartement baignant dans une photo jaune/rouge saturée et
manifestation visuelle de leur relation torturées et lorgnant sur le SM. Pas le
meilleur Suzuki donc mais une bonne entrée en matière pour les néophytes avant
de tenter des titres aussi fou que La Vie
d’un tatoué (1965), La Barrière de la
chair (1964), Le Vagabond de Tokyo
(1966) ou bien sûr La Marque du tueur.
Sorti en dvd zone 2 français et bluray dans une belle réédition récente chez Elephant Film avec Le Jeunesse de la bête et La Marque du tueur
Extrait
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