Dans une petite ville
d'Europe centrale, un étrangleur rôde. Kleinman, un employé sans envergure et à
l'évidence poltron, est recruté de force par la milice qui vient de se former.
À mesure qu'avance la nuit, alors que les meurtres se succèdent, Kleinman fait
la connaissance d'une touchante avaleuse de sabre, dont le couple est en péril.
Les influences européennes de Woody Allen avaient plutôt l’habitude
de s’exprimer dans ses opus Bergmanien (Intérieurs
(1978), Comédie érotique d'une nuit d'été (1982), September (1987)…) mais il
pousse cette veine un peu plus loin avec cet Ombre et Brouillard. Le film est une transposition de la pièce Death que Woody Allen écrivit en 1975 et
où il s’inspirait déjà de celle d’Eugène Ionesco Tueur sans gages publiée en 1958. Il y reprenait l’idée de la
traque d’un tueur par un héros naïf et d’autres influences vont venir se
greffer à travers la transposition cinématographique.
Du côté littéraire on pense au Procès de Kafka par ce mélange d’absurde et de cauchemar dans
lequel le piège va se refermer autour de Kleinman (avec reprise en ouverture de
son réveil par la police comme chez Kafka) lors de cette drôle de nuit. Notre
héros va ainsi être enrôlé de force par une milice locale bien décidé à traquer
l’assassin qui étrangle ses victimes dans la nuit de cette ville incertaine d’Europe
centrale. Là l’ombre de M le Maudit (1931)
plane évidemment, le physique chétif de Woody Allen rappelant celui de Peter
Lorre et il va lui aussi se trouver accusé (à tort contrairement au Lang) et
traqué durant cette longue odyssée nocturne.
Allen reprend d’ailleurs de
manière plus amusée et décalée le questionnement de Lang sur l’inhumanité et la
violence de l’effet de groupe dans cette volonté d’auto justice par les
individus. La manière dont le sort de Kleinman est scellé est tordante avec un
médium renifleur qui va le confondre. Visuellement c’est un des films les plus
impressionnants de Woody Allen qui reprend à son compte l’esthétique de l’expressionnisme
allemand.
Entièrement filmé en intérieur au Kaufman Astoria Studios, le film
déploie un pur cauchemar gothique où outre Lang l’influence de Murnau est
manifeste dans les somptueuses compositions de plan, les jeux d’ombres oppressant
et cette façon de rendre les silhouettes tour à tour chétives (Kleinman
tâtonnant apeuré dans l’obscurité), imposante (le terrifiant tueur incarné par
Michael Kirby) ou uniforme (la foule formant une entité avançant d’un même pas
vengeur et irréfléchi) dans ce brouillard cotonneux. Les scènes de meurtres
sont magistralement amenées, sobre et brutale façon The Lodger et Allen y amène même une facette gothique à la Tod
Browning versant Freaks avec son illustration du monde du cirque. En dehors de
l’esthétique, Allen glisse même de discrètes allusion à l’antisémitisme de l’époque
le temps d’une brève scène d’arrestation arbitraire où l'allusion du titre au traumatisant documentaire d'Alain Resnais se rappelle à notre bon souvenir.
Il y aurait eu matière à une œuvre particulièrement âpre
avec pareil atmosphère mais le réalisateur y glisse finalement de sa légèreté.
Le personnage de Kleinman, couard et indécis est typiquement allenien dans sa
quête de sens et cette aventure verra tous les piliers de son existence
médiocre s’écrouler : sa fiancée glaciale qui lui ferme sa porte, son
patron le méprisant et le privant de sa promotion où une ancienne amante
éconduite prête à le dénoncer à ses poursuivants. Irmy (Mia Farrow) est
également emblématique des rôles de femmes insatisfaites (dans tous les sens du
terme) que Allen se plaît à donner à son épouse et muse de l’époque (La Rose Pourpre du Caire (1985), Alice (1990)).
Quelques mésaventures
dont une étape en maison close (le temps de croiser un joyeux casting avec John
Cusack, Jodie Foster, et Kathy Bates) formeront un même parcours initiatique et
révélation pour elle avec au bout du chemin certains manques comblés comme une
maternité inattendue. L’amorce de possible romance avec Kleinman est même
joliment laissée en suspens, laissant imaginer la suite dans ce curieux monde
du cirque. Une belle réussite, esthétique bien sûr mais dans laquelle Allen ne
se noie pas dans une œuvre qui ne ressemble qu’à lui en dépit des influences
assumées.
Sorti en dvd zone 2 français chez MGM
Merci pour cette découverte, je ne suis pas spécialement une grande fan du réalisateur mais ce film, qui reprend à son compte l'esthétique de l’expressionnisme allemand, ne peut que titiller ma curiosité :-)
RépondreSupprimerOui là ne serait qu'esthétiquement ça vaut vraiment le détour, la photo de Carlo Di Palma est fabuleuse. Les Allen un peu aventureux visuellement sont souvent les plus réussis celui là ne déroge pas cela pourrait vous plaire mais sans être une grande fan ;-)
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