Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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jeudi 13 octobre 2011

Station Terminus - Stazione Termini, Vittorio De Sica (1953)


Une Américaine mariée, en visite chez des parents à Rome, a entretenu durant son séjour une liaison avec un homme. Elle décide qu'il est temps d'y mettre un terme, et commence à envisager son retour aux États-Unis, auprès de son mari. Mais elle réalise rapidement qu'elle n'est pas sûre de ce qu'elle veut, de ce qu'elle doit faire, et ne cesse de se tourmenter.

Terminal Station est le fruit de la rencontre de deux conceptions de cinéma, le néoréalisme italien et le mélodrame hollywoodien. A l’époque Vittorio De Sica est salué par la critique internationale pour ses chefs d’œuvre néoréalistes comme Le Voleur de Bicyclette, Umberto D ou encore Sciucia. Cependant le public italien s’est lassé de ce type de films sinistres et le réalisateur a toute les peines du monde à monter des projets plus onéreux et ambitieux dans son pays. Quant à David O’ Selznick, sa carrière est finalement déjà derrière lui et c’est en Europe qu’il vient désormais monter ses projets avec des réussites comme Le Troisième Homme de Carol Reed et La Renarde de Michael Powell et Emeric Pressburger. Représentants de la quintessence de leur cinéma respectifs, les deux hommes décident donc de s’associer dans ce projet et la confection du film va dans ce sens d’équilibrage entre tradition hollywoodienne et tonalité européenne. C’est donc Cesare Zavattini (scénaristes de tous les classiques de De Sica à l’époque) qui signe un premier jet de l’histoire bientôt repris (officieusement) par Ben Hecht tandis que les dialogues en anglais sont écrits par Truman Capote. Le casting donne lui dans le pur glamour hollywoodien avec Jennifer Jones et Montgomery Clift qui s’insèrent dans un contexte italien.

Dès les premières minutes, ce surprenant mélange détone. La scène d’ouverture montre ainsi l’américaine Mary Forbes (Jennifer Jones) se présenter à la porte de Giovanni (Montgomery Clift), hésiter à frapper puis s’enfuir à toute jambes vers la gare de Rome pour un départ en catastrophe. La construction de la séquence évoque Brève Rencontre de David Lean par sa mise en scène isolant une Jennifer Jones confuse et assaillie par les émotions mais aussi par l’usage de la voix off lors d’un court moment épistolaire qui nous en dévoile plus (elle a connu et aimé un homme à Rome mais s’enfuit par culpabilité envers sa fille et son mari).

Cet instant dans le train réduisant la bande son au silence tandis qu’un gros plan s’attarde sur Jennifer Jones perdue dans ses pensées lorgne également sur le classique de Lean et donc dans une tradition de mélodrame classique anglo - saxon. Montgomery Clift se présente alors juste avant le départ du train, parvient à retenir Jennifer Jones et c’est un tout autre film qui commence.
Un mélodrame typique userait très certainement du flashback pour montrer le passé amoureux, la rencontre et le bonheur récent du couple. Il n’en est rien ici et De Sica fait de ces supposés adieux une longue errance en huis-clos au sein de cette gare où les amants vont s’embraser, s’affronter et se déchirer. Les échanges se font ainsi sur le ton du reproche et de la rancœur entre une Jennifer Jones amoureuse mais rattrapée par ses responsabilités et un Montgomery Clift intense qui ne peut se résoudre à la laisser partir.

La réalisation de De Sica les entoure d’un côté naturaliste surprenant (notamment les scènes d’amours bien plus appuyées que dans un film hollywoodien), sans artifice où de long moments dialogués reposant sur la conviction des acteurs s’alternent avec d’autres retrouvant le sens de l’emphase mélodramatique du réalisateur (Giovanni traversant une voie ferrée où passe un train pour rejoindre Mary). L’alchimie entre les deux acteurs est magique entre une Jennifer Jones (loin des rôles sulfureux qui ont fait sa gloire) rongée par le doute et la culpabilité et Montgomery Clift bouillonnant face à une séparation imminente qu’il ne peut accepter.

Ils font tous deux preuves d’un abandon assez remarquable où on sent l’empreinte de De Sica dans la manière de les diriger. Celui-ci fait d’ailleurs de la gare un personnage à part entière, grouillant de vie et dont les rencontres vont accompagner les atermoiements et hésitations du couple.La sublime scène où Jennifer Jones offre des friandises aux enfants d’une femme enceinte qu’elle a secourue (et la rappelant ainsi à son propre rôle de mère) éveille une émotion comme seul De Sica est capable avec le contrechamp entre le visage radieux des enfants et celui heureux et coupable à la fois de son héroïne.

Le rythme se fait ainsi volontairement bancal au gré des retrouvailles/séparations des amants voulant autant fuir que prolonger ses ultimes instants. Cela fonctionne parfaitement hormis une trop longue péripétie finale dans un commissariat censée appuyer la culpabilité du couple et accélérer la séparation. La touche néoréaliste forme une sorte d’arrière-plan à une romance obéissant aux canons hollywoodien, le croisement des deux offrant une émotion finalement universelle par la grâce d’un final déchirant.

Le tournage ne se fera pas sans heurts à cause du légendaire interventionnisme d’O’Selznick mais De Sica tiendra bon. Il lui arrivera malheureusement la même mésaventure que Powell/Pressburger sur La Renarde pour la sortie américaine puisque Selznick remontera le film (qui passe de 89 minutes à 72 et changera de titre pour Indiscretion of an American Wife) dont il élaguera justement tous ces petits moments annexes pour se concentrer de manière plus prévisible sur l’intrigue amoureuse. Cet autre montage n’est pas inintéressant néanmoins pour ressentir les différences entre cinéma américain et européen des années 50. Pas de doute à avoir cependant, le grand film est à chercher du côté de la version De Sica.

Sorti en dvd zone 1 (mais le disque est multizone) chez Criterion et doté de sous-titres anglais. Edition très intéressante puisqu'on y trouve les deux montages !

9 commentaires:

  1. J'adore ce film, merci d'en avoir parlé!

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  2. De rien belle découverte ! Tu as déjà eu l'occasion de voir le montage américain de Selznick ?

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  3. No, pas encore, mais j'ai très envie de la voir. Mais comment tu trouves le temps de parler de tous ces films? Je suis en admiration totale de ça!!!
    C'est encroyable...

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  4. Montage américain vraiment intéressant même si moins bon, le récit divague moins tout le superflu qui fait le charme et l'authenticité néo réaliste de De Sica dans le cadre est zappé on voit vraiment les deux cultures de narration différente...

    Sinon le secret c'est ne pas (beaucoup) dormir ça aide pas mal même si c'est parfois dur à tenir ce rdv quotidien avec un texte qui tient la route ^^

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  5. Tous mes compliments!!! C'est un vrai plaisir de te lire.

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  6. J'ajoute aussi tous mes compliments, Justin, votre blog est passionnant et je suis admirative de votre travail et de votre érudition. J'achète encore plus de DVD qu'auparavant.
    Continuez, surtout!

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  7. J'en apprends sur ce de Sica que je découvre un peu par hasard. Je me suis contenté de voir la version caviardée en DVD, j'imagine que le "director's cut" laisse un peu plus de place au talent du maître néoréaliste. J'ai tout de même noté dans le montage une certaine jubilation qui consiste à déranger littéralement les codes du mélodrame hollywoodien en les plongeant dans l'agitation frénétique et bigarrée de la grande gare romaine. L'arrestation finale m'a sorti de ma torpeur par son caractère humiliant, comme si le film s'en prenait autant aux vedettes et à ce qu'elles représentent qu'aux personnages dans le cadre de l'histoire. Pour moi, il s'agit là d'un De Sica de deuxième classe néanmoins, mais qui mérite tout de même le voyage.

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    1. Effectivement le director's cut laisse plus de place à la facette néroréaliste et fonctionne bien mieux si vous en avez l'occasion c'est vraiment à revoir dans ce montage. En terme de rythme, d'émotion et de brio formel c'est plus prenant à tout point de vue.

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