vendredi 6 avril 2012
L'Ange des maudits - Rancho Notorious, Fritz Lang (1952)
Pour venger le viol et le meurtre de sa fiancée, un cow-boy, Vern Haskell, traverse les États-Unis à la recherche de son assassin. Par diverses informations, il apprend que celui-ci se trouve dans un ranch tenu par une aventurière, Altar Keane. Ce ranch appelé " Chuck-a-Luck" ("Coup de Chance ") accueille et héberge les bandits en fuite.
Rancho Notorious constitue la troisième et dernière incursion de Fritz Lang dans le western durant sa période américaine après le très bon Retour de Frank James et Les Pionniers de la Western Union réalisés douze ans plus tôt pour la Fox de Darryl Zanuck. C'est clairement sa meilleure tentative dans le genre, celle où il le soumet entièrement à sa vision plutôt que de s'y adapter.
Lang retrouve ici son thème récurrent de la vengeance et ses conséquences. Un des grands atouts ici est le scénario assez atypique de Daniel Taradash (adapté du roman Gunsight Whitman de Sylvia Richards) qui emprunte des directions narratives inattendues. Le point de départ est donc bien la vengeance avec le cow boy Vern Askell (Burt Kennedy) dont la fiancée est violée et tuée lors d'une scène aussi sobre que glaçante. Notre héros fou de douleur se lance donc à la recherche de l'assassin mais à la place de la course poursuite haletante attendue, l'intrigue prend plutôt une tournure de film noir dans l'Ouest.
Askell découvre que le meurtrier se dissimule dans un lieu appelé " Chuck-a-Luck" ("Coup de Chance ") dont le seul lien est une chanteuse de saloon disparue nommé Altar Keane (Marlène Dietrich). La quête du coupable s'estompe alors un temps pour une sorte de Laura/Citizen Kane western où se dessine le portrait d'Altar Kane à travers l'enquête d'Askell qui remonte la piste et de nombreux flashback rendant le personnage fascinant avant son intervention concrète dans le récit. On découvre ainsi la déchéance de cette femme flamboyante et adulée par les hommes qui se perdra en se liant au hors la loi Frenchy Fairmont (Mel Ferrer).
Ce parti pris se poursuit durant la toute aussi surprenante seconde partie. Altar enfin révélée se trouve à la tête d'un ranch refuge pour criminels en cavale qui lui verse un pourcentage de leur butin en échange d'une planque de quelques semaines. On a alors une forme de thriller whodunit (d'autant plus retors que le spectateur connaît lui le coupable) où Askell devra trouver parmi les bandits hébergés lequel est celui qu'il cherche. L'intrigue est donc fort astucieuse et prenante mais c'est vraiment ce que Lang va exprimer à partir de cela importe.
C'est une tragédie funeste qui s'annonce pour tous les personnages, tous destinés à être brisés par les choix qu'ils auront effectués. Frenchy Fairmont aura le cœur brisé par la seule humanise encore le tueur impitoyable qu'il est, Askell assoiffé de vengeance finit par ressembler de plus en plus à ce qu'il poursuit au contact de ces criminels et Lang joue sur le mimétisme progressif d'attitude avec Frenchy tel la virtuosité au tir. Le parcours le plus passionnant est bien sûr celui d'Altar, femme dure qui s'est élevé par sa seule détermination mais qui en tombant amoureuse d'Askell comprend peu à peu la barrière qu'elle a franchi.
Si Mel Ferrer est d'une élégance effacée mais néanmoins menaçante, Arthur Kennedy est lui impressionnant d'intensité avec un regard fou où se lit constamment la douleur de la perte qu'il a subie. Marlène Dietrich est quant à elle superbe entre dureté et mélancolie et on comprend l'astuce du scénario qui montre ses tourments sans surlignage inutile. La femme désirable, joyeuse mais dépendante des flashbacks trouve ainsi son pendant opposé au présent avec une Dietrich imposante mais à l'allure lasse, rongée par le désir. Les scènes de chant ne font absolument éléments rapportés et s'intègrent parfaitement à la progression de l'intrigue.
Lang instaure ici un lyrisme et une tonalité funèbre envoutante par ses choix esthétique. Les extérieurs sont rares et on devine constamment le studio dans leur extrême stylisation notamment les scènes nocturnes révélatrices. Les envolées de la ballade chantée The Legend of Chuck-a-Luck (premier titre du film avant qu'Howard Hughes exige son changement malgré la chanson) décrivant les évènements et les sentiments des personnages accentue cette emphase de tragédie inéluctable. S'il cède bien volontiers aux morceaux de bravoures attendus (une bagarre nerveuse chez un barbier qui annonce les empoignades musclés de certains Bond de Connery, le gunfight final) c'est bien durant les moments intimistes que Lang déploie son brio formel.
On pense aux entrevues chargées de séduction et d'érotisme entre Arthur Kennedy et Marlène Dietrich mais que Lang brise toujours avant l'explosion, ce chemin étant désormais refusé aux personnages qui se sont perdus. Plus de rédemption ni d'autres lendemain possible dans un final où la mort, la solitude et la tristesse seront les seules issues. Narration brillante, ambiance originale et interprétation habitée, un remarquable et surprenant western.
Sorti en dvd zone 2 chez Film Sans frontières et pour les anglophones dans une bien meilleure copie en Warner Archives mais sans sous-titres.
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