En 1616, la domination espagnole
s'exerce moins sévèrement en Flandres. Alors qu'ils préparent leur
kermesse, des villageois apprennent la venue d'une délégation menée par
le duc Olivares. Le bourgmestre, traumatisé par les pillages et
violences subies sous l'occupation, se fait passer pour mort. Sa femme,
révoltée par sa couardise, joue l'hôtesse de charme pour le duc et son
cortège de fringants soldats.
Jacques Feyder signe un des plus grand classique du cinéma français des années 30 avec cette
Kermesse héroïque
qui annonce la veine du réalisme poétique à venir et qui saura inspirer
un Marcel Carné ici assistant réalisateur. L'intrigue nous plonge en
plein XVIIe siècle dans une Flandres sous domination espagnole et plus
précisément dans la petite ville de Boom. Le pouvoir espagnol a tendance
à se faire moins dur à cette période mais le souvenir des violences
d'antan reste encore vivace parmi la population. A l'annonce du passage
prochain d'un cortège de soldats espagnols, les fantômes de ce passé
douloureux se réveille et cette peur s'incarne dans une scène de
cauchemar d'une noirceur et barbarie saisissante jurant avec la légèreté
du baignant le reste du film.

Cet antagonisme s'estompera dans
un message placé sous le signe du rapprochement et du féminisme. En
effet dès l'ouverture les préjugés s'illustrent à travers les
protagonistes masculins du village, faisant des femmes les être les plus
responsables. On découvre l'immaturité des hommes du village et plus
précisément du bourgmestre (André Alerme) prenant la pose pour une
peinture tandis qu'en parallèle son épouse Cornelia (Françoise Rosay)
dirige d'une main de fer leur maisonnée. Cette même absence de jugement
s'exprime lorsqu'il donnera par intérêt la main de sa fille Siska
(Micheline Cheirel) au très balourd boucher local (Alfred Adam) alors
qu'elle n'a d'yeux que pour le jeune peintre Jean Bruegel (Bernard
Lancret).

Le manque de discernement et la balourdise masculine s'oppose
ainsi à la passion et clairvoyance toute féminine de Siska et Cornelia
soutenant le choix de sa fille en vain. Toute cette injustice et destin
cruel en marche seront bouleversés par l'annonce du futur passage de
l'armée espagnole. La situation va exacerber le manque de clairvoyance
et la lâcheté ordinaire des hommes tandis que l'astuce des femmes pourra
enfin se révéler au grand jour. Alors que le bourgmestre et les autres
hommes du village simulent leur mort, les femmes vont accueillir
chaleureusement les visiteurs.

Esthétiquement le film se veut
pour Feyder un hommage à l'âge d'or de la peinture flamande et ce parti
pris peut éclater au grand jour lorsque les héroïnes s'épanouissent
enfin. Loin des pleutres et rustres flamands, les espagnols s'avéreront
des êtres charmant, séducteur et raffinés, leur passage durant cette
kermesse s'avérant un merveilleux aparté où le doux romantisme côtoie le
marivaudage le plus enlevé et sautillant. La scène d'arrivée du cortège
est un grand moment, donnant enfin tout sa plénitude au sentiment de
tableau en mouvement avec les mouvements de caméras alambiqués de
Feyder, la composition de plan fouillée tandis que le montage et les
cadrages mettent idéalement en valeur la prestance de ces espagnols.

Les
costumes sont somptueux et le travail sur les décors impressionnant,
émerveillant lors des scènes de foules notamment la séquence de bal
faisant réellement figure de tableau en mouvement à la profondeur de
champ soufflante. Cette démonstration est au service d'une tonalité
piquante où les femmes s'encanaillent et séduisent joyeusement des
soldats espagnols qui n'en demandent pas tant, et un sentiment de fête
et de joie permanent entre banquet homérique t danses endiablées.

On
s'amuse et rit de bout en bout avec foule de personnages truculent dont
au retiendra un Louis Jouvet irrésistible en chapelain pieux mais bon
vivant et l'hilarant nain Delphin qui ne s'en laisse pas compter. Une
tonalité plus sensible pourra naître sous l'amusement avec les belles
scènes entre le duc d'Olivarès (Jean Murat) et une Cornelia qui n'en
reste pas moins femme et succombant au charme et à la délicatesse du
duc. Françoise Rosay est très touchante, surprise et gauche dans
l'expression de ses sentiments mais le sens des responsabilités dominera
en s'assurant de l'avenir de sa fille.
Un beau moment qui épate encore
dans sa conclusion entre drôlerie et mélancolie latente. Malgré une
polémique en Flandre (où les hommes se sentiront associé à des lâches et
collaborateurs avec l'allusion sous-jacente à l'Occupation allemande
durant la guerre 14-18) le film sera un immense succès laissant ainsi
prévaloir le vrai message de paix de Feyder.
Sorti en dvd zone 2 français chez LCJ
Extrait
Oh oui avec une belle photo on aurait eu de manière encore plus flagrante la sensation de tableau en mouvement. On peut fantasmer ce qu'un Jack Cardiff aurait fait de pareille matière ;-)
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