jeudi 29 mai 2014
Théodora devient folle - Theodora Goes Wild, Richard Boleslawski (1936)
Theodora Lynn écrit sous le pseudonyme de Caroline Adams, un roman à succès, mais trop osé pour la vie provinciale de la ville dont elle est originaire. Suite à une visite chez son éditeur de New York, Michael Grant décide de venir dans sa petite ville, afin qu'elle avoue qu'elle est l'auteur de ce roman. Mais une fois cet aveu fait, Theodora décide de s'occuper à son tour du jeune homme
Etrangement méconnue, Theodora Goes Wild est pourtant une des screwball comedy les plus jubilatoire jamais réalisée, portée par un message brillant bousculant l'Amérique moralisatrice d'alors. Le début du film nous place dans l'effervescence de la petite ville de Lynnfield, agitée par la sortie prochaine du nouveau roman à succès de la scandaleuse Caroline Adams, trop osé par le cercle littéraire local. L'ouvrage sera immédiatement interdit mais dans groupe de vieilles dames acariâtres et coincées (même si émoustillée par la lecture de passage visant à dénoncer l'infamie du livre) on remarque pourtant une intruse avec la jeune Theodora Lynn (Irene Dunne) venue représenter ses tantes pour empêcher la parution du livre. Surprise pourtant, la timide et obéissante Theodora n'est autre que la sulfureuse Caroline Adams elle-même, évacuant la frustration de son quotidien austère dans ses ouvrages à la sensualité outrageante.
Notre héroïne va être confrontée à ses contradictions lors d'une visite chez son éditeur à New York, suscitant la curiosité à la vue de cette femme introvertie dissimulant l'auteur le plus vendu et sulfureux du pays. Parmi les plus intrigués, on trouve Michael Grant (Melvyn Douglas) dessinateur des couvertures de ses livres et qui va s'incruster à un dîner pour percer le mystère. Titillée et poussée dans ses retranchements par le malicieux Michael, Theodora laissera entrapercevoir la fantaisie et le grain de folie qu'elle n'ose exprimer que dans ses livres avant de s'enfuir, effrayée de sa propre audace. De retour à sa vie insipide de Lynnfield, Theodora voit pourtant surgir un Michael Grant bien décidé à la dérider, menaçant son identité secrète auprès de sa communauté coincée.
Après avoir brillé dans le mélodrame puis la comédie musicale, Theodora Goes Wild est l'occasion pour Irene Dunne de briller dans un nouveau genre, la screwball comedy. Les appréhensions du personnage, sa gaucherie et sa peur de se "lâcher" sont ainsi un poignant prolongement des propres craintes de l'actrice qui l'exprime magnifiquement à l'écran. Un sourire en coin sous le masque rigide, un rire tonitruant perturbant les chuchotements discret, la dinguerie de Theodora menace constamment d'affluer jusqu'à ce moment grandiose ou pour répondre aux sifflements agaçant de Michael elle entame une gigue endiablée au piano.
L'ouverture du personnage s'exprime également de manière plus discrète par les actes, lorsqu'elle couvrira une amie partie travailler en ville (et fille d'une des mégères les plus vindicative de Lynnfield) et tombée enceinte. Melvyn Douglas en élément perturbateur de cette province tournant au ralenti est excellent, les scènes entre lui et Irene Dunne étant constamment réjouissante. L'une d'elles ou il décide de l'initier à la pêche mais découvre que Theodora est en fait bien meilleure que lui annonce d'ailleurs la tournure surprenante de l'intrigue. Theodora folle d'amour finit par se libérer de ses chaînes et enfin affronter ses tantes et leur entourage.
Le film aurait pu s'arrêter là et aurait déjà été une jolie comédie romantique d'émancipation. Mais cela aurait supposé une opposition vie provinciale archaïque/vie citadine moderne un peu simpliste, tout en sous-entendant sous l'audace une facette machiste où l'homme et le mariage sont les seuls salut pour l'émancipation de la femme. C'est tout l'inverse qui est exprimé ici puisque passé la déclaration d'amour de Theodora, Michael prend peur et retourne en ville. Il est en fait lui-même coincé dans une autre prison du paraître et des conventions, mais dans un milieu social plus élevé avec un père travaillant pour le gouverneur et ne tolérant aucun écart pouvant souiller le nom de la famille.
Au tour de Theodora de débouler tel un ouragan dans la vie de Michael pour la grande évasion et un amour enfin épanoui entre eux. Richard Boleslawski orchestre ainsi un exact pendant urbain de la première partie ou les répliques et situations se font écho, mais cette fois dans un grand délire jubilatoire. Theodora devient littéralement Caroline Adams, incarnant totalement l'image que l'on se fait d'un tel auteur avec tenue extravagante et attitude provocante, attirant avec délectation tous les regards sur elle.
Irene Dunne est extraordinaire, faisant preuve d'un sens de l'outrance trop longtemps contenu et dévastateur, brisant des mariages, s'introduisant dans les réceptions mondaines et faisant crépiter les flashs de la presse à scandale. On comprend mieux le choix d'un Melvyn Douglas qui en dépit de sa malice conserve un petit côté précieux (au contraire d'un Cary Grant qu'on imaginerait plutôt concurrencer Irene Dunne dans l'excès) témoignant d'une liberté reposant plus sur les paroles que les actes et, s'il est un poil à gratter amusant dans la première partie il aura réveillé un monstre avec une Theodora prête à tous les excès pour le conquérir.
C'est finalement toutes les formes de morales bien-pensante hypocrites et au service des apparences qui sont superbement dénoncées ici, avec notamment une conclusion grandiose voyant le retour triomphal de Theodora à Lynnfield (ou si célébrité il y a les écarts semblent soudain moins problématiques). Richard Boleslawski mène l'ensemble tambour battant, faisant preuve d'une inventivité constante notamment pour retranscrire l'aspect "gossip" de cette petite communauté, transcrivant peu à peu la rumeur en pure ellipse dans un jeu complice avec le spectateur qui sait que chaque secret est amené à être éventé comme le grand final. Un sommet qui obtiendra deux nominations aux Oscars (dont meilleure actrice Irene Dunne) et lancera Irene Dunne dans le genre pour de nombreuses réussites.
Sorti en dvd zone 1 et doté de sous-titres anglais chez Sony dans leurs collection screwball comedy
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