A l’heure où est annoncé un inespéré Matrix 4, l’ouvrage d’Erwan Desbois arrive à point nommé pour
creuser un vrai sillon analytique sur l’œuvre des Watchowski. La fratrie a en
quelques films signée un œuvre iconoclaste et riche de sens avant que l’insuccès
les bannisse progressivement des productions à gros budget nécessaires à leurs
visions. Erwan Desbois place à juste titre le changement de sexe des Watchowski
(Larry devenu Lana en 2010, Andy devenu Lilly en 2016) comme élément
fondamental pour l’interprétation de l’ensemble de leur filmographie. Bound (1996) et son pur postulat de film
noir détourné par sa romance lesbienne pouvait ainsi à sa sortie être vu comme
un tableau de fantasme masculin alors qu’à l’aune des œuvres à venir il s’agit
du premier manifeste d’émancipation des artistes.
Toute l’œuvre des Watchowski repose sur une rupture des
frontières, des carcans de normes, de classes sociales ou de genres qui nous
entravent, au service d’un monde libre, collectif et fusionnel. Erwan Desbois
expose ainsi comment la domination des normes s’illustre puis implose dans chacun
des films des Watchowski. Les héroïnes de Bound
surmonte le machisme du monde de la mafia en leur dérobant une somme d’argent,
dans Matrix (1999) l’univers virtuel
assujetti les humains dans une illusion normalisée qui entrave leurs espérances tandis que la corruption
du milieu de la course automobile empêche le héros pilote de Speed Racer (2008) d’accomplir son
destin. Le premier Matrix croise son
monde numérique aux archétypes du récit héroïque (l’auteur évoque plusieurs
éléments spécifiques à la philosophie du Héros
aux mille visages de Joseph Campbell contenu dans l’intrigue) avec une
rébellion se faisant essentiellement par une logique d’entertainment geek
conforme aux goûts des Watchowski (manga, comics, japanimation, jeu vidéo) avec
combats spectaculaires et pyrotechnie.
Erwan Desbois souligne cependant la bascule naïve de la conclusion où Neo (Keanu Reeves) laissé pour mort est ressuscité par la déclaration d’amour de Trinity (Carrie-Anne Moss) pour se relever plus fort et terrasser l’agent Smith. La force de l’amour crée une porosité entre le monde réel et celui virtuel de la Matrice pour transcender la volonté du héros. Matrix repose à la fois sur deux oppositions normées, celle totalitaire, froide et uniforme représentée par la Matrice et celle quasi religieuse reposant sur une prophétie suivie par les humains. Les Watchowski cassent ce schéma manichéen dans les deux volets suivant (Matrix Reloaded et Matrix Révolutions (2003)) où Neo doit s’affranchir de cette logique pour aller vers une coexistence hommes/machines, en devenant moteur de réconciliation contre celui du chaos représenté par l’anomalie incontrôlable qu’est l’agent Smith. Comme le souligne l’auteur les idées formelles et narratives fabuleuses (la scène de danse célébrant la communion charnelle des humains, la rencontre avec l’Architecte qui fait comprendre la nécessité de sortir du schéma bien/mal classique et répétitif) alternent avec d’autres moins inspirés, la logique spectaculaire s’opposant à celle purement émotionnelle voulue par les Watchowski dans les deux suites.
Erwan Desbois souligne cependant la bascule naïve de la conclusion où Neo (Keanu Reeves) laissé pour mort est ressuscité par la déclaration d’amour de Trinity (Carrie-Anne Moss) pour se relever plus fort et terrasser l’agent Smith. La force de l’amour crée une porosité entre le monde réel et celui virtuel de la Matrice pour transcender la volonté du héros. Matrix repose à la fois sur deux oppositions normées, celle totalitaire, froide et uniforme représentée par la Matrice et celle quasi religieuse reposant sur une prophétie suivie par les humains. Les Watchowski cassent ce schéma manichéen dans les deux volets suivant (Matrix Reloaded et Matrix Révolutions (2003)) où Neo doit s’affranchir de cette logique pour aller vers une coexistence hommes/machines, en devenant moteur de réconciliation contre celui du chaos représenté par l’anomalie incontrôlable qu’est l’agent Smith. Comme le souligne l’auteur les idées formelles et narratives fabuleuses (la scène de danse célébrant la communion charnelle des humains, la rencontre avec l’Architecte qui fait comprendre la nécessité de sortir du schéma bien/mal classique et répétitif) alternent avec d’autres moins inspirés, la logique spectaculaire s’opposant à celle purement émotionnelle voulue par les Watchowski dans les deux suites.
Ces recherches aboutissent dans Speed Racer. La tyrannie s’y incarne également dans des symboles
capitalistes viciés (à l’instar des agents de la matrice au look de cols
blancs menaçants) et l’auteur souligne cette idée de transcendance où il s’agit
de transformer et comprendre le monde qui nous entoure (la scène d’ouverture où
Speed enfant se rêve pilote de course, le final psychédélique où remet en route
son bolide en le considérant comme un être vivant) et s’accomplir en s’y
fondant. La dextérité de Speed au volant repose sur cette compréhension,
faisant de ses prouesses une œuvre d’art face à la conduite robotique (car
téléguidée par l’entreprise corrompue organisant les courses) des autres
pilotes. Les Watchowski parviennent désormais à articuler cette logique dans toute
la dimension ludique et émotionnelle du récit où les éléments geeks servent
le parcours intime des personnages (les
éléments de jeu vidéo avec l’arsenal des véhicules échappé de Mario Kart, et surtout la magnifique
idée du ghost de son frère que pourchasse Speed inspiré entre autres de Wipeout).
Erwan Desbois montre que le changement de sexe effectif (pour Lana) voit désormais cette émancipation et cette connexion des opprimés échapper à la logique d’une narration et d’enjeux classiques dans Cloud Atlas (2015). La musicalité du montage, le récit entrecroisé sur plusieurs époques où les acteurs endossent plusieurs rôles (où il changent d’âge, de sexe et d’ethnie selon le cadre) fait donc passer une idée de convergence des luttes face à une tyrannie là aussi vue comme ancestrale au fil du temps. Toute leur série Sen8 (diffusée sur Netflix) tend vers ce pouvoir du tout, de la fusion des différences à travers les facultés extraordinaires de ses héros. Jupiter Ascending (2015) est une sorte de remake façon space opera de Matrix mais à l’émotion toute différente du fait d’être signé par des femmes et intègre de façon plus fluide tous le cheminement et la vision du monde Watchowski en y intégrant expression du libre-arbitre dans un monde ouvert. Erwan Desbois creuse nombre de pistes captivantes qui donnent prestement envie de se replonger au plus vite dans l’œuvre des Watchowski.
Publié chez Playlist Society
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