Joker Jackson et Noah Cullen sont deux prisonniers en cavale. Evadés d'un camp de travaux forcés du sud des Etats-Unis, les deux hommes, attachés l'un à l'autre par une chaîne d'acier, sont néanmoins séparés par une haine féroce. Implacablement poursuivis par des gardiens et des chiens, ils vont devoir mettre de côté leurs différences s'ils veulent survivre...
La Chaîne s’inscrit dans la démarche « consciente » et politisée de la filmographie de Stanley Kramer, toujours soucieux au sein de ses films de faire bouger les lignes en s’attaquant à de grands sujets. Le Dernier rivage (1959) aborde la question de la peur du nucléaire, Procès de singe (1960) traite de l’éducation, Jugement à Nuremberg (1961) dépeint les procès des tenants du régime nazi tandis que son film le plus célèbre, Devine qui vient dîner (1967) s’attaque au racisme. Kramer avait déjà filmé ce thème dans La Chaîne, ce film reflétant parfaitement les qualités et défauts du réalisateur. On peut en effet reprocher à Kramer un certain surlignage et une dimension sentencieuse dans les messages qu’il cherche à faire passer. Ce manque de finesse est souvent largement compensé par un brio formel et une direction d’acteur exceptionnelle, on se souvient encore de l’interprétation douloureuse et tourmentée qu’il tira d’Ava Gardner dans Le Dernier Rivage.
Dans La Chaîne cela sert le film sans que l’on s’en offusque sur certains points comme d’avoir un prisonnier blanc et noir enchaîné ensemble dans le sud des Etats-Unis encore ségrégationniste. La cavale commune forcée montrera ainsi les points de rapprochement opérant bien malgré eux entre Joker (Tony Curtis) et Cullen (Sidney Poitier). La rage de Cullen envers sa condition et la violence qui en émane fut la raison de son incarcération, tandis que c’est son statut white trash que Joker vit mal et le fit passer dans l’illégalité le conduisant en prison. Chacun est un dommage collatéral des maux socio-économiques des Etats-Unis, et la maladresse de leur réaction pour s’en sortir les a tout deux enfoncés davantage. Tony Curtis et Sidney Poitier sont formidables d’alchimie commune et d’énergie pour exprimer cela, mais le dispositif de Kramer pour étayer son propos est assez grossier. On alterne ainsi durant la première partie les scènes de poursuite et d’actions avec des pauses en forme d'apartés sentencieux (les métaphores sur la faune animale) et confessions où les fuyards se confient l’un à l’autre entre deux invectives. Le systématisme du procédé finit par agacer même si la prestation du duo redéfini chacun de leur personnage de façon plus profonde.Lorsque le mélange de défiance et de solidarité forcée s’exprime par l’image, dans le mouvement et l’énergie, cela est beaucoup plus intéressant. Le geste solidaire, les postures trahissant la profondeur croissante de l’alliance (Cullen tête posée sur Joker durant son sommeil) et sa sincérité quand les mots (le « merci » rédhibitoire pour Joker) et l’éducation viennent la contredire. L’arrière-plan white trash et raciste du sud sert également cette amitié au gré des rencontre, que ce soit la nature arriérée et bassement sanguinaire des poursuivants (hormis le shérif joué par Theodore Bikel) et celle des autochtones. Là, Cullen et Joker n’existent qu’en temps qu’entité commune et complice dédiée à leur survie, ce qu’exprime magnifiquement leur fuite avortée au sein d’un village où ils seront piégés par la population. La dernière partie met à l’épreuve ce lien difficilement noué à travers la tentation charnelle mettant à mal l’amitié naissante, tout en exposant un autre visage du racisme via la bienveillance féminine guidée par le désir et la solitude. Trop appuyé dans le discours, mais totalement convaincant par les situations, La Chaîne fut néanmoins un film très important à sa sortie pour faire bouger les lignes. Son manque de subtilité est inhérent à son contexte et aux mentalités encore très présentes à sa sortie, c’est en partie injuste de le lui reprocher.Sorti en bluray français chez L'Atelier d'images
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