dimanche 25 juillet 2010
Went the day well ? - Alberto Cavalcanti (1942)
1942. Un détachement de l'armée britannique s'établit dans un village de la campagne anglaise. Les soldats s'intègrent à la communauté, avant que des évènements tragiques ne révèlent leur véritable identité : Il s'agit de soldats allemands qui exécutent un plan d'invasion. Les habitants, retenus prisonniers, organisent la résistance.
Du studio Ealing, on retient surtout aujourd’hui les grandes comédies sociales et caustiques que sont Tueurs de Dames, Noblesse Oblige ou encore Whisky à gogo. Ce versant n’est pourtant apparu que plus tard avec le succès de l’excellent Champagne Charlie, Ealing œuvrant auparavant dans tous les genres, notamment le fantastique comme le prouve le très bon film à sketch Au Cœur de La Nuit, réunissant la crème des réalisateurs du studio. Dans ce contexte, il n’était donc pas étonnant de le voir s’attaquer au film de guerre, la surprise venant de l’extrême noirceur du propos, en faisant un des films les plus atypiques de Ealing, voire du cinéma anglais tout court. Il fallait bien le génial Cavalcanti, sans doute le meilleur réalisateur du studio (avec Alexander McKendrick) pour nous livrer une telle œuvre sans concessions.
Adaptation d'un roman de Graham Green, le film sort en 1942 en Angleterre alors que la 2e guerre mondiale fait rage et que Londres est régulièrement pilonnée sous les bombes allemandes. L’invasion nazie est ainsi la grande peur du peuple anglais, déjà exploitée de manière indirecte dans Le 49e Parallèle de Michael Powell décrivant l’errance d’une garnison allemande semant le chaos sur le territoire canadien. Went The Day Well aborde ainsi cette crainte frontalement, en décrivant l’insidieux plan d’invasion allemande dans la campagne anglaise, la résistance héroïque des villageois exaltant le patriotisme du peuple britannique et obéissant ainsi à l’aspect propagandiste voulu. En effet, toutes les œuvres anglaises de l’époque sont financées par l'État et doivent contribuer à l’effort de guerre, soit en dépaysant la population de son quotidien difficile (les exotiques et romanesque production Korda comme le beau Voleur de Bagdad ou Lady Hamilton dont on a parlé ici), soit en lui redonnant espoir avec des figures héroïques (Colonel Blimp de Michael Powell) ou alors en attisant sa peur et sa haine de l’ennemi allemand comme avec ce Went The Day Well. Il est d’ailleurs amusant de constater que le film aura droit à un quasi remake avec L’Aube Rouge de John Millius, les Allemands étant remplacés par des communistes belliqueux, et l’ambiguïté de Cavalcanti par un vrai fond douteux, même si le tout s’avère relativement divertissant.
Le début du film s’inscrit pourtant dans la droite lignée des productions Ealing, avec ce petit village anglais paisible et peuplé de braves gens sans histoire, Cavalcanti appuyant largement sur l’aspect champêtre et chaleureux. Malgré quelques signes avant coureurs (un faux soldat anglais qui malmène un enfant) rien ne nous prépare au choc et à la brutale rupture de ton qui intervient lorsque la supercherie est découverte.
Le film bascule ainsi dans une ambiance sombre et violente où des allemands impitoyables malmènent et déciment ces villageois auxquels on s'est attaché, avant que ces derniers se rebiffent, pour ce qui est en fait un véritable récit de guérilla dans la campagne anglaise. La violence et la cruauté exprimées ici choquent encore aujourd'hui : le curé du village abattu d’une balle dans le dos, la garde nationale mitraillée sans sommation, des enfants torturés, une grand-mère explosée à la grenade... Cela fonctionne également dans l'autre sens, avec nos gentil villageois qui défendent leur terre avec véhémence, donnant ainsi ce qui est sans doute le moment le plus brutal du film : une vieille dame anglaise bien avenante jusque là achève un soldat allemand à la hache lors d’une séquence traumatisante.
Dans une moindre mesure, le siège final voyant des jeunes filles en fleurs décimer des hordes de nazis au fusil participe à cet aspect propagandiste visant à exalter la haine de l’ennemi. Le style fulgurant, la sécheresse et l’indifférence dont fait preuve Cavalcanti (annonçant presque Peckinpah, tel ce moment où un nazi prend une balle en pleine tête sans la moindre censure) pour montrer les débordements de part et d’autre montrent pourtant bien que le propos est moins manichéen qu’il n’y parait.
Dans la lignée du Colonel Blimp de Powell, Cavalcanti en profite également pour égratigner le tempérament et la culture anglaise, ici cause de la propre perte des personnages du film. Ainsi, par leur indifférence et leur nonchalance, ils ne sauront repérer les indices du désastre à venir (dont une séquence où la garde nationale, croyant à une blague, continue son exercice alors que l'alerte est déclenchée) ou réagir à temps une fois le danger imminent (des opératrices préfèrant papoter plutôt que répondre aux appels de détresse). On distingue aussi un message social fort, les figures les plus héroïques du film étant de condition modeste, alors que le traître en apparence honorable est un nanti, campé par Leslie Banks, acteur typique de l'imagerie de l'Anglais colonialiste.
La démarche du réalisateur est donc particulièrement intéressante, fustigeant ici l’adversaire en éveillant les bas instincts de son public, tout en lui renvoyant un reflet peu reluisant de lui même avec cette dénonciation d’une certaine société anglaise de l’époque, thématique qu’on retrouve d’ailleurs dans d’autres film du studio Ealing, tel que Noblesse Oblige et ses fonctionnaires incompétents.
Trouvable en dvd zone 2 dans le coffret Ealing édité il y a quelque années par Studio Canal
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