Après 20 ans d'absence, Don Juan (Douglas Fairbanks) revient triomphant à Séville, où l'attendent de nombreuses dames à charmer. Mais le séducteur n'est plus le jeune homme qu'il était et commence à être fatigué par tant d'acrobaties. D'autant que sa femme Dolorès (Benita Hume) le menace de le mettre en prison s'il ne revient pas au domicile conjugal. Quand un imposteur se fait tuer à sa place, Don Juan voit alors l'occasion de disparaître. Sa vie passée lui manquant rapidement, l'envie d'organiser son grand retour se fait sentir. Mais l'homme sera-t-il à la hauteur du mythe ?
Les triomphes successifs de La Vie Privée d’Henri VIII (1933) et Catherine de Russie (1934) vont placer Alexander Korda en position
de force. Le succès international des deux films assoit définitivement sa
position de mogul du cinéma anglais et lui vaut d’être courtisé aux Etats-Unis
notamment par la prestigieuse United Artists fondée 15 ans plus tôt par Charles
Chaplin, Mary Pickford et D. W. Griffith et Douglas Fairbanks. C’est
précisément la star du cinéma d’aventures en déclin depuis l’arrivée du parlant
qui va solliciter Korda afin de le diriger dans une adaptation de la vie de Don
Juan. L’Homme à la rose, pièce du dramaturge français Henry Bataille de
1920 va donner matière à Korda pour une œuvre à la fois dans la continuité des
deux précédentes « Vie Privées » tout en étant parfaitement adaptée à
la personnalité de Douglas Fairbanks.
Le bondissant héros d’action et séducteur
des années 20 est alors vieillissant a du mal à effectuer la transition vers le
cinéma parlant pour lequel il n’a tourné que trois films, La Mégère apprivoisée (1929), Reaching
for the Moon (1930) et Mr. Robinson
Crusoe (1932). Korda lui offrira une sortie sur mesure avec ce qui sera son
dernier rôle au cinéma avant sa disparition prématurée d’une crise cardiaque en
1939, à seulement 56 ans.
La Vie Privée de Don
Juan entretient constamment le mimétisme entre la figure mythique de Don
Juan et celle de son interprète placé dans une même situation. Loin du
séducteur fringant et vigoureux inscrit dans l’inconscient collectif le film
nous donc présente un Don Juan usé, las
de l’attention qu’il suscite et de sa réputation le précédant partout où il
passe. Le film s’ouvre à Séville, cité des premiers exploits amoureux de Don
Juan où il effectue son retour. C’est par sa dimension légendaire qu’il nous
apparaît, en ombre chinoise et la rose à la main sous les balcons de femmes
énamourées qui propagent bientôt la rumeur de son retour.
Dès cette première
séquence, Korda fait de Don Juan une figure fantasmée dépassant l’intéressé, un
amant idéal et sans visage dont la réputation transporte les femmes et attisent
la jalousie des ternes époux par la simple évocation de son nom. Ironiquement,
nous apprendront plus tard que cette première apparition flamboyante était
l’œuvre d’un usurpateur tandis que notre héros se révèle dans une situation
bien moins avantageuse sous les traits de Douglas Fairbanks ausculté sur son
lit par un médecin.
Le praticien lui
déclarera avec malice qu’il est en parfaite santé pour son âge mais lui enjoint
de réduire progressivement le nombre de balcons escaladés au quotidien. C’est
avec un même humour que seront stigmatisées les différentes failles de Don Juan
qui a de plus en plus de mal à tenir la discipline due à son statut, se
laissant aller à la bonne chair et négligeant l’exercice. Douglas Fairbanks
s’en amuse joyeusement dans sa prestation où il conserve toutes les postures et
attitudes de de ses héros sautillants d’antan et si le charisme est intact on
constatera aisément que le visage s’est empâté, la démarche s’est alourdie et
les cheveux se font plus grisonnant.
Dans cette première partie supposée
montrer Don Juan au sommet de sa popularité, chacune de ses démonstrations de
force se verra désamorcée. La danseuse Pepita (Gina Malo) est ainsi encore
toute retournée par le baiser que lui a donné Don Juan mais a en fait également
croisée la route de l’imposteur et juvénile Rodrigo (Barry MacKay) tandis que
sa rivale Antonita (Merle Oberon), si elle est bien séduite par Douglas
Fairbanks lui cède avant tout pour accroitre sa notoriété après être passée
entre ses bras.
Toutes courent après un Don Juan/Douglas Fairbanks qui n’est
plus et qu’il n’a plus la force et le courage d’assumer. Le parallèle avec l’usurpateur
accentue cette idée également d’un Don Juan rêvé plus qu’incarné où pour
Douglas Fairbanks l’âge mûr n’a que peu d’importance pour Antonita qui voit les
possibilités offertes derrière ce nom plus que l’homme face à elle. Il en va de
même pour l’épouse adultère séduite par l’imposteur dont la gaucherie et la
maladresse (le bougre ne maîtrise pas encore tout à fait l’ascension des
balcons) n’altère en rien le charme puisqu’aux yeux de la belle il est Don
Juan.
Le personnage est absent virtuellement ou physiquement dans les moments
où il est supposé exercer le plus d’attrait, ce qui se confirmera dans son plus
haut fait lors de l’extravagante scène d’enterrement. L’imposteur tué par un
mari jaloux laisse Don Juan pour mort pour l’opinion public, le héros pouvant
venir savourer amusé ses funérailles. Korda fait de cette séquence un grand
moment opératique tant par le ton (les anciennes maîtresses pleurent tout
autant que celles qui auraient rêvées de l’être) que par sa mise en scène qui
accentue la nature factice du cadre (et par extension des sentiments de passion
exacerbés qui y sont exprimés), annonçant la séquence de la pièce de théâtre
consacrée à Don Juan que l’on verra en fin de film. Dès cet instant, le mythe a
définitivement dépassé l’homme.
Si la première partie montrait Don Juan désormais incapable
d’égaler celui qu’il fut, la seconde partie le sera celle où il sera inapte à
endosser l’image que l’on s’est faite de lui. Savourant un repos bien mérité
pendant sa « mort », il voit les hommages et célébration se
multiplier à son encontre dont une biographie bien nommée Les Vies Privées de Don Juan. Ce Don Juan parfait qui commençait à
échapper à son créateur de son vivant va alors acquérir sa vie propre après sa
mort factice. Lorsque Fairbanks tente de rejouer la carte de la séduction à une
jolie employée d’auberge, celle-ci se montrera bassement intéressée avant d’accorder ses faveurs et l’humiliation
sera plus grande encore avec cette jolie noble qui verra en lui un entremetteur
paternel plutôt que son conquérant.
L’intrigue entame alors une entreprise de
démystification offrant un miroir déformant à la première partie pourtant loin
d’être hagiographique. Le dandy déchu retrouve donc sa dernière conquête avant la
disparition mais Antonita devant son succès à ce statut ne le reconnaît pas ou
s’y refuse volontairement. La séquence d’enterrement trouve son équivalent
aussi quand Don Juan interrompt une pièce de théâtre jouant sa vie.
Alexander
Korda inverse la composition de la séquence avec cette fois le dispositif
scénique composant la réalité du moment et l’enterrement le sous-texte avec un
Don Juan étant le seul habillé de noir et portant ainsi le deuil de sa gloire
passée. Là aussi la légende sera plus attrayante que la réalité, Don Juan s’étonnant
de la muflerie que la fiction lui associe en le faisant séduire deux femmes en
même temps. Ce n’est plus lui mais le Don Juan que le public ‘est approprié et
désir voir, personne ne le reconnaissant parmi les spectateurs hilares et se
moquant de cet homme pataud osant se comparer au plus grand séducteur ayant
jamais existé.
Douglas Fairbanks est très touchant dans cet évident miroir
de lui-même, on ne peut être et avoir été. Il en est bien conscient et adopte
un jeu enjoué et digne, jamais complètement abattu car si les autres ont oublié
qui est/fut Don Juan/Douglas Fairbanks, en son for intérieur lui sait qu’il l’est
toujours. Dans chacun des films de cette série des « Vies Privées »,
les femmes ont une place à part. Révélatrices de l’inconstance des hommes, ce
sont elles qui mènent réellement le jeu dans l’ombre de ces grands personnages.
Ce sont les épouses d’Henri VIII qui guident son humeur et l’atmosphère de la
cour, la femme et la muse de Rembrandt et bien sûr Catherine de Russie
carrément au centre de l’attention. Ici ce sera avec la délicieuse Dona Dolores
(Benita Hume), épouse légitime et (trop) compréhensive de Don Juan. Conscient que
retourner à cette relation rangée signifie la fin de sa vie d’aventures, notre
héros la fuira tout au long du film mais c’est bien elle qui saura par son
regard toujours amoureux reconnaître « son » Don Juan. Celui-que
toutes les femmes rêvent d’avoir dans leur chambre, elle l’obtiendra finalement
pour elle seule. Korda se montre visionnaire en confrontant finalement image publique
et intime, annonçant voire se mettant en parallèle des premiers écarts de la
presse à scandale.
Dans cette veine intimiste, Korda malgré des moyens plus
conséquents cherchent d’ailleurs moins à en mettre plein la vue que dans les
précédent films. L’ampleur cède au contraire à l’élégance et au beau geste avec
notamment en plus de l’équipe habituel de Korda (son frère Vincent aux décors,
George Perinal à la photo) une des rares collaborations au cinéma du grand
costumier Olivier Messel. Nostalgique mais encore porté par un élan joyeux et
salvateur, La Vie Privée de Don Juan
est à l’image de son interprète principal sur lequel les affres du temps n’auront
jamais prise, il sera toujours Douglas Fairbanks.
Sorti en dvd zone 2 français chez Elephant Films
Extrait
Sorti en dvd zone 2 français chez Elephant Films
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