La Bataille de la
montagne du tigre témoigne à nouveau de la vitalité récente du cinéma de
Tsui Hark avec une œuvre à l’équilibre audacieux entre velléités personnelles
et cahiers des charges du gouvernement chinois. Depuis la rétrocession de Hong
Kong à la Chine en 1997, la donne a changé pour les anciennes gloires du cinéma
hongkongais. Pour se voir allouer des budgets dignes de leurs ambitions, les
réalisateurs sont donc obligés de signer des œuvres plus ou moins de propagande
à travers de spectaculaires fresques historiques dont le regard sur le passé
glorifie le régime en place. Pour le pire cela donna le Hero (2002) de Zhang Yimou qui initie cette approche et où quelques
belles images ne sauraient rattraper le message clairement douteux. Le meilleur
ce sera le monumental Les Trois Royaumes
(2008), retour triomphal d’un John Woo plus sentimental que politique et qui
esquive l’écueil de la propagande. On pouvait réellement se demander comment l’imprévisible chantre de l’anarchie qu’est
Tsui Hark pourrait s’adapter à ce système. La réponse viendra avec
l’époustouflant Détective Dee (2010)
où son héros constitue un double de lui-même, une figure indépendante qui
n’hésite pas à mettre en garde l’impératrice sur l’égarement possible du
pouvoir lors du final. La suite Détective Dee 2 : La Légende du Dragon des mers (2013) se délestera également de
toute allusion politique pour miser sur une démesure spectaculaire brillante.
Ces deux tentatives annonçaient donc le traitement de Tsui Hark sur La Bataille de la montagne du tigre dont
le contenu est autrement plus difficile à alléger de sa teneur soumise au
gouvernement chinois.
Le film relate un haut fait supposé de l’armée chinoise
lorsque, au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale l’APL (armée de libération
chinoise) vint à bout d’une bande de gangster qui avait transformé la province
de Dongbei en zone de non droit. Installés dans une forteresse au sommet de la
montagne du tigre, ils semaient ainsi la terreur parmi les villageois. Entre
affrontements spectaculaire déséquilibré et vraie parie d’échecs stratégique
l’armée et les bandits vont donc se livrer un combat sans merci. Cette histoire
avait d’abord été transposée dans un roman de Qu Bo parut en 1957, ce dernier
étant à son tour adapté dans un opéra faisant parie des huit œuvres modèles et
seuls spectacle autorisés durant la Révolution culturelle. Enfin en 1970 un
premier film réalisé par Xie Tieli en sera tiré, objet désuet mais vu par toute
la jeunesse chinoise d’alors et dont Tsui Hark inclus certains passages dans sa
relecture. Le début du film fait craindre le pire quant à la capacité de Tsui
Hark de se sortir de la lourdeur idéologique. L’ouverture est en effet
contemporaine avec le souvenir de la « légende » qui vient
interrompre la fête de nouvel an de jeunes chinois oisifs puisqu’un extrait de
l’opéra est lancé par erreur durant leur karaoké. L’un d’entre eux, petit-fils
d’un des héros de l’odyssée et qui s’apprête à aller travailler aux Etats-Unis
ressent alors le besoin de se ressourcer auprès des siens, lançant l’aventure
en flashback.
La première demi-heure où Tsui Hark doit installer un
certain réalisme à son contexte est assez laborieuse. Revisiter et s’approprier
des œuvres et des personnages inscrits au cœur de la culture populaire chinoise
constitue un des socles thématiques de Tsui Hark, autant comme réalisateur que
producteur. Il offrira ainsi des relectures envoutantes de contes traditionnels
avec les merveilleux Green Snake
(1993), The Lovers (1994) et la saga
des Histoires de fantômes chinois. Il
relancera la figure alors désuète du héros national Wong Fei Hung (et le film
de kung fu par la même occasion) dans la saga des Il était une fois en Chine et s’appropriera la figure du sabreur
manchot inventée par Chang Cheh avec le furieux The Blade (1995). Chacune de ces œuvres étaient imprégnées d’une
schizophrénie où la nostalgie déférentes se disputait à un modernisme
bousculant ces institutions - le passéisme et la peur de l’étranger de Wong Fei
Hung ou encore le thème de l’homosexualité insidieusement inséré dans The Lovers. Tsui Hark n’a pas la même
marge de manœuvre ici mais va s’approprier le récit en en faisant une pure
démesure de cinéma populaire plutôt qu’une épopée réaliste larmoyante.
Le premier affrontement donne le ton avec ce gunfight aux
effets 3D (magistralement utilisée tout comme le second Detective Dee) outranciers, à l’emphase héroïque et sauvetage
improbable des soldats. Cet aspect serial d’aventure s’assume également dans la
caractérisation des personnages avec un Tony Leung ka fai s’étant composé une
sacrée trogne en pur en méchant échappé de James Bond et filmé comme tel. Nous
sommes dans une grande bd extravagante dont le réalisme s’estompera peu à peu,
la bascule se faisant définitivement lors d’une stupéfiante séquence face à un
tigre numérique. Si les scènes au village où les soldats côtoient et sympathisent
avec les locaux restent attachantes, Tsui Hark cherchent surtout à créer
l’émotion par l’action et le suspense plutôt que le mélodrame.
Ainsi bien que
solidement interprétés (Lin Gengxin en jeune chef d’escadron) l’intérêt du
réalisateur va aux figures les plus fantasques de l’histoire. Yang Zirong
(Zhang Hanyu) constitue ainsi un personnage haut en couleur, homme à tout faire
dévoué et plein de ressources qui prend le récit en main pour le meilleur
moment du film. Il s’infiltre alors dans la forteresse en se faisant passer
pour un allié, invoquant ruses et jeu de dupes pour découvrir les plans des
méchants en risquant à tout moment d’être démasqué. On retrouve l’influence de
Chu Yuan chez Tsui Hark dans cet art de l’intrigue de palais croisé à
l’espionnage, le drame naissant dans l’action (la jeune mère séquestrée par le
cruel Hawk) et rendant même certains acolytes du méchant plus nuancés.
L’épilogue
apaisé donne dans cet humanisme poussiéreux et bienveillant évité tout au long
du film et l’on craint que le réalisateur fasse néanmoins allégeance à la
tradition. Qu’elle n’est pas la surprise du spectateur en voyant surgir un nouveau
climax avant le générique (en fait la vraie fin refusée par les producteurs car
trop irréaliste) qui conclut l’ensemble sur un moment aussi fou que grisant. Les
hauts faits réels sont ainsi magnifiés avec une folie qui les dissocie de tout
message si ce n'est celui de son auteur. Tsui Hark désamorce la commande avec
le brio de ceux que Martin Scorsese se plait à appeler les « cinéastes de
contrebande ».
En salle mercredi prochain
La Bataille de la Montagne du Tigre n'est pas le meilleur film présenté lors du Festival du cinéma chinois cette année. Pour autant ça reste divertissant dans le genre film de commando, un peu patriotique par moment, à gros budget, avec quelques plans originaux. Critique complète du film et des autres films du festival ici: http://uneautreasie.com/5eme-edition-du-festival-du-cinema-chinois-en-france
RépondreSupprimerBon bilan du festival, à part le Tsui Hark j'ai beaucoup apprécié aussi Le Ferry et Blind Massage. Par contre les drames romantiques chinois le pire côoie le passable, Fleet of Time n'était pas désagréable même si too much (la bande son) et grande souffrance devant l'atroce Somewhere only we know. Festival sympathique néanmoins où l'on arrive toujours à faire quelques bonnes découvertes...
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