Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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jeudi 9 septembre 2021

Raffles Hotel - Ryu Murakami (1989)

L'œuvre littéraire de Ryu Murakami est indissociable de son attrait pour le cinéma. Dès le succès de son premier roman Bleu presque transparent, il se charge lui-même trois ans après la publication de son adaptation cinématographique. Il réitérera l'exercice en réalisant All Right, My Friend en 1983 (d'après son roman Daijōbu Mai furendo - Daijōbu my friend inédit en français), le sulfureux Tokyo Décadence en 1992 (d'après sa nouvelle Topaze) et Kyoko (d'après son roman éponyme). Il est également impliqué au scénario d'adaptations de ses livres mis en scène par d'autres comme Audition de Takashi Miike (1999) ou 69 de Lee Sang-il (2004). Le cas de Raffles Hotel est particulier et renforce cette porosité créative de l'auteur entre les différents médias où il exerce. Le roman Raffles Hotel est en fait l'adaptation du scénario éponyme que signe Murakami, le livre et le film sortant la même année 1989 - All Right, My Friend paru la même année que le roman est dans le même cas. Le lecteur, occidental en tout cas, aura la surprise avec la postface de Murakami de découvrir l'existence du film sorti peu avant. Le visionnage du film est donc un peu biaisé après avoir lu le livre si l'on s'attache trop à la comparaison.

Raffles Hotel embrasse plus pleinement que la version écrite sa nature d'oeuvre fantôme. L'héroïne mystérieuse Moeko (Miwako Fujitani) est une jeune actrice venue chercher quelque chose, ou plutôt quelqu'un à Singapour. Une ambiance vaporeuse plane, perdue entre passé et présent, tant au niveau de l'environnement de Singapour que dans la psychologie de Moeko. Le fameux Raffles Hotel est un repère d'écrivains cherchant à marcher sur les traces de leurs glorieux prédécesseurs fièrement affichés sur les murs (Somerset Maugham y aurait séjourné) tandis que l'architecture héritée de l'ère coloniale et la clientèle essentiellement blanche prolonge ce sentiment passéiste. 

C'est ce que recherche Moeko traversant Singapour comme une ombre, en quête d'un ancien amant dont la relation se révèlera par flashbacks fragmentés. La présence douce et éthérée de Miwako Fujitani, Singapour filmée comme dans un rêve flottant, tout contribue à poser une atmosphère fascinante. Murakami a gardé ses obsessions glauques et oppressantes pour la version papier tandis que là c'est l'épure et le mystère qui domine dans une tonalité étrange, romantique et désespérée. Toute la première partie du livre naviguant entre New York, Tokyo puis Singapour et traitant à égalité les trois personnages principaux disparait pour immédiatement se trouver sur l'île et se focaliser sur Moeko. Il semble que Murakami ait véritablement été hypnotisé par son actrice (qu'il remercie d'ailleurs dans la postface du livre) qui vampirise le film pour le meilleur. 

Psychotique et inquiétante dans le livre, Moeko devient à l'écran une figure touchante poursuivant un insaisissable amour pour se prouver qu'elle existe, troublant ses interlocuteurs au point d'inverser l'obsession. A la fin de l'histoire ce sont eux qui se demanderont si cette femme étrange qu'ils ont croisés était réelle. On est plongé dans un onirisme existentiel magnifié par le cadre à la fois exotique et chargé d'histoire, où l'on passe des rues marchandes grouillantes de Singapour a des églises à l'architecture imposantes. Le Raffles Hotel condense tout cela, son attrait reposant sur l'intérêt commercial et superficiel de ce passé mythologique cyniquement noyé dans la vulgarité moderne à l'image de ces soirées dansantes kitchs. 

Le film se perd uniquement en voulant raccrocher les wagons à l'aspect psychologique nettement mieux développé dans le livre, avec le traumatisme de l'expérience du Vietnam du personnage du photographe (Jinpachi Nezu). Cela alourdit inutilement l'histoire alors que Moeko attire toute la lumière, d'autant que les scènes de guerre sont particulièrement fauchées (sans parler, grand classique, des acteurs anglo-saxons qui jouent horriblement dans les films asiatiques). On termine cependant sur une note magnifique avec deux belles idées formelles, une séance photo où la démultiplication des flashs et des poses de Moeko l'évapore littéralement du récit, et le motif de l'orchidée parcourant le film aboutissant à une dernière image chargée de sens. Bel exercice de recréation en tout cas de Ryu Murakami qui propose à l'écrit et à l'écran deux variations très différentes mais tout aussi réussies d'un même matériau. 

Sorti en dvd japonais sous-titrés anglais chez Panorama

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