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jeudi 8 septembre 2022

Escaflowne, le film - Esukafurōne, Tsubasa No Kami, Kazuki Akane et Yoshiyuki Takei (2000)


 Hitomi est une solitaire, mal dans sa peau. Consciente de faire souffrir son entourage, elle voudrait juste disparaitre. Comme un ange venu exaucer son vœu, un homme encapuchonné lui apparait et lui prédit la réalisation de son souhait. Aspirée par de l’eau apparue comme par magie, elle reprend connaissance dans un autre monde, à l’intérieur du cockpit d’Escaflowne, puissante armure du roi dragon, Van.

Visions d’Escaflowne fut une des séries d’animation japonaise les plus marquantes des années 90. Le postulat très original mélangeait fantasy (et anticipait le sous-genre désormais usé jusqu’à la corde d’isekai où un quidam se voit projeté dans un univers parallèle de fantasy), fétichisme mécha à coup de combats épiques entre robots géants, et triangle amoureux dans un design shojo, soit un cocktail propre à happer les spectateurs de tous horizons. Sous cet enrobage idéal, la série abordait avec finesse et profondeur les thèmes de la guerre, du pacifisme, le tout baignée d’une ambiance mystique avec l’élément de la cartomancie. Le projet était en grande partie conçu par Shoji Kawamori, créatif de génie (mécha designer, réalisateur, concepteur de jeux vidéo) qui était précédemment parvenu à mixer tout ces éléments esthétiques et thématiques (message pacifiste, triangle amoureux et souffle épique) dans le cadre du space opera avec la série Macross en 1982. Justement en 1984 Kawamori avait offert un extraordinaire prolongement à Macross avec le film Macross, Do you remember love?, variation fascinante et formellement fastueuse de la trame de la série – dont l’univers allait connaître de nombreuses déclinaisons par la suite. Visions d’Escaflowne est justement un projet transmédia qui après la série animée connaîtra une transposition (médiocre) en manga (publié en 8 volumes entre 2002 et 2003) et Escaflowne : le film qui est justement une production cinéma. 

Nous sommes clairement là dans la démarche de Macross, Do you remember love (1984), c’est-à-dire d’éviter la redite et d’offrir une relecture/variation à la fois narrative et formelle de la trame de la série. Une vraie démarche ambitieuse loin de certaines productions cinéma actuelles de grandes licences faisant parfois office d’épisodes rallongés plutôt que de films de cinéma. Escaflowne : le film, c’est déjà un choc visuel qui instaure une atmosphère très différente de la série. Le chara-design est toujours assuré Nobuteru Yūki, mais plus fidèle à ses concepts initiaux qui avait été simplifiés dans la série. Les personnages sont plus matures, ce qui est en parfait adéquation avec leur caractérisation et le ton plus sombre du film.

Hitomi est une adolescente solitaire au pensées suicidaires qui va se trouver invoquée dans le monde de Gaïa où elle est supposée être la déesse qui activera le robot Escaflowne, arme ultime qui permettra à un groupe de rebelles de vaincre Folken un tyran maléfique. Alors que Hitomi était un personnage lumineux bien que mélancolique dans la série, le lien entre sa vie « réelle » et le monde parallèle reposait au départ sur un assez naïf élément amoureux avec de pousser la réflexion. Cette fois notre héroïne retrouve dans l’aventure une énergie vitale en voulant aider Van, jeune roi déchu et torturé. Ce dernier était un souverain et guerrier immature devant s’aguerrir dans la série, il a nettement plus d’assurance dans le film où il doit néanmoins toujours surmonter sa soif de vengeance et ses instincts belliqueux.

C’est vraiment sur ce changement d’axe et approfondissement des deux héros que le film se distingue et détermine toutes ses différences avec la série. Tous les enjeux géopolitiques passionnant de ce monde Gaïa dans la série disparaissent pour une trame plus classique, la magnifique galerie de personnages secondaires sont au pire grossièrement simplifiés (l’androgyne et torturé Dilandau, l’ambigu Folken bien plus manichéen ici) et font au mieux de la figuration (Allen, Mirana, Merle). Toute la dimension onirique touchant à la prescience et la destinée qui donnait des moments hypnotiques est absente aussi car demandant un développement plus long. Cependant toute l’ambiguïté de l’arme que constitue le robot Escaflowne est saisie brillamment, le mécha apparaissant toujours comme menaçant, source possible de chaos plutôt qu’une solution. D’ailleurs les mécha se réduisent à deux ici contrairement à la série où il y en avait des armadas pour de nombreux combats. 

Cette idée de facteur de destruction d’Escaflowne justifie ainsi une présence succincte qui ne rend que plus impressionnantes ses apparitions et démonstrations de puissances. L’univers fantasy est moins original que la série (qui croisait influences orientales, médiévales, brutalistes ou rétrofuturistes) mais bien plus flamboyant dans sa conception. Les studios Bones et Sunrise se sont associés pour la production et le résultat est époustouflant de bout en bout. L’animation est fluide et virtuose, porté par une mise en scène inventive et ce dès la scène d’ouverture où Van attaque seul un navire ennemi (le film est d’ailleurs bien plus sanglant que l’ensemble de la série sur cette seule scène). Les panoramas sont soufflant de détail et d’ampleur tant dans les environnements paisibles et luxuriants que dans ceux plus oppressants de l’empire Zaïbacher, tout en ténèbres anguleuses et totalitaires. 

Le film corrige quelques incohérences de la série (l’arrivée d’Hitomi à Gaïa plus logique que l’apparition jamais expliquée de Van dans le monde réel) et exploite avec plus de brio certaines idées. Toujours dans la volonté de faire de l’Escaflowne un « allié » discutable exploitant la part d’ombres des individus, le scénario en fait une sorte d’équivalent de l’armure du Berserk dans le manga éponyme de Kentaro Miura, une arme salvatrice mais néfaste consumant la vie et l’âme de son utilisateur. Cet aspect était déjà présent dans la série mais s’avère bien plus impressionnant et inquiétant ici, offrant un des climax du film. Il y a une vraie poésie funèbre qui se dégage de l’ensemble du récit, inventant ou revisitant des moments-clés avec une mélancolie plus prononcée telle la somptueuse scène finale du départ d’Hitomi. 

Même si l’intrigue va parfois un peu trop vite, que certains personnages n’existent pas vraiment et que quelques moments cultes manquent (un des sommets de la série, des ennemis devenus invincibles en manipulant le destin et provoquant leur chance), il faut vraiment saluer l’audace d’avoir proposé autre chose, en termes d’atmosphères, d’enjeux et d’esthétique. L’émotion est toujours bien là et la flamboyante bande-originale de Yoko Kanno laisse éclater de beaux moments épiques. La proposition n’est pas forcément appréciée par tous les amateurs de la série (qui auraient préféré qu’on leur serve le même plat) mais louable et propre à être une belle porte d’entrée à l’univers d’Escaflowne pour le néophyte.


 Sorti en bluray français chez Dybex, tout comme la série originale

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