Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 20 septembre 2022

The Music - Ongaku, Yasuzo Masumura (1972)


 Reiko "n'entend plus la musique", autrement dit, elle est incapable d'éprouver du plaisir sexuel. Son psychanalyste le docteur Shiomi va tenter remonter le fil de l'univers mental perturbé de sa patiente pour en comprendre la cause.

Les routes de l'écrivain Yukio Mishima et du réalisateur Yasuzo Masumura s'étaient déjà croisées pour Afraid to die (1960), une des quatre échappées en tant qu'acteur du premier dans une réalisation du second. Deux ans après le rituel et médiatique suicide de Mishima, Masumura adapte un de ses plus fameux romans, La Musique publié en 1964. L'univers de Masumura et de Mishima partagent plusieurs thématiques faites de désir coupable, de défi à la société et de poésie morbide. Masumura a plutôt tendance à tourner ces problématiques vers le grand mélodrame flamboyant et sacrificiel (L'Ange Rouge (1966), La Femme de Seisaku (1965), La Femme du docteur Hanaoka (1967), Jeux dangereux (1971)) souvent en réaction à un contexte social et historique, mais est aussi capable de pousser cette approche vers une épure névrotique et stylisée quasi terminale avec le stupéfiant La Bête aveugle (1969). Si dans ce dernier il plie le roman d'Edogawa Ranpo à ses obsessions, il est également capable d'atténuer ses penchants torturés pour se fondre à l'ironie de l'auteur qu'il adapte comme dans l'excellent La Chatte japonaise (1967) d'après Jun'ichirō Tanizaki. The Music est de cet ordre-là, fidèle à l'ironie mordante du roman de Mishima tout en étant dans la continuité de la touche fiévreuse si caractéristique de Masumura.

Reiko (Noriko Kurosawa) est une jeune femme perturbée par sa frigidité sexuelle, qui n'est que l'aboutissement d'un ensemble de symptômes dont le mal remonte plus profond dans sa psyché. En thérapie auprès du docteur Shiomi (Toshiyuki Hosokawa), Reiko va tenter de résoudre ce trouble et vivre pleinement son amour auprès de son petit ami Ryuchi (Kôji Moritsugu). Le spectateur en quête de subtilité pourra trouver grossières nombres d'analogies formelles, de séquences oniriques et de métaphores dans leur velléités psychanalytiques. C'est pourtant un élément présent dans le roman et que Masumura transpose parfaitement, tous ces aspects appuyés sont autant de chausse-trappes dans les confidences d’une Reiko mythomane qui mélange grands mensonges et dissémine quelques graines de vérité lors des séances. Mishima comme Masumura s'amuse des supposées connaissances que pensent avoir désormais les patients en psychanalyse et qui, dans le cas de Reiko, oriente par ses mensonges vers des diagnostics lui évitant de révéler les maux bien plus complexes qui l'agitent. 

On rit d'ailleurs plusieurs fois de la redite où Reiko après avoir narré ses demi-vérités pense avoir la solution, avant que Shiomi la rabroue et lui ordonne d'arrêter de s'auto-analyser. Cette même ironie règne aussi dans la caractérisation du psychanalyste quasi omniscient qu'est Shiomi. Le roman de Mishima était raconté à la première personne en adoptant son point de vue et nous faisait partager le mélange d'amusement et de fascination qu'il éprouvait pour sa fantasque patiente. Si Masumura ne reprend pas ce parti-pris, le jeu séduisant, autoritaire et professoral de Toshiyuki Hosokawa est très clairement teinté de cette ironie. Les séances de psychanalyse par leur dynamique évoquent presque la screwball comedy, dans un ping-pong verbal où la logorrhée plus ou moins fiable de Reiko se voit balayée dès qu'elle dérape par une réplique sèche et bien sentie de Shiomi. La disposition même des acteurs semble être un gros pastiche de séance psy, avec Shiomi tout-puissant, dominant stoïque plongé dans l'ombre en arrière-plan ou en plongée une Reiko montée sur ressort et ne tenant jamais en place dans le fauteuil de patient - mais plus tard la distance du "professionnel" et de sa patiente s'estompe dans ces moments pour devenir une proximité confiante et amicale.

Masumura sait néanmoins instaurer une émotion progressive dans le labyrinthe de confessions de Reiko et, sous la métaphore initialement grossière (car fausse) se distillent des éléments du vrai traumatisme et du désir coupable de Reiko. Là toute ironie s'estompe lorsque le terrible secret se dévoile (reposant sans trop en dire sur une attirance incestueuse) et les idées formelles géniales se multiplient, notamment celles concernant la symbolique des ciseaux. Manifestations de la haine de soi, des hommes et de sa sexualité refoulée, les ciseaux (et ce dès le générique) sont une extension ou une analogie de sa frigidité charnelle qu'elle retourne contre elle-même ou les autres dès qu'une terrible culpabilité/ressentiment s'empare d'elle. Masumura par une variation de la lumière, de la composition de plan et du cadre fait superbement ressentir les soubresauts émotionnels entre certaines séquences mensongères/ambiguës et leurs redites par lesquelles le sens profond se révèle.

C'est particulièrement vrai lors des deux séquences où Reiko se remémore un séjour de vacances dans un hôtel avec sa tante où une nuit un amant inconnu est venu la rejoindre. La deuxième fois et avec la révélation de l'identité de l'amant, la scène presque identique prend une tout autre portée. Plus le film avance et que les carcans psychiques de Reiko s'estompent, plus Masumura se montre frontal dans son postulat provocateur et les scènes de sexe dérangeantes, non pas dans leur filmage (le pinku de la Toei et le Roman Porno de la Nikkatsu ont brisés les tabous et ce genre d'érotisme est grand public) mais dans ce qu'elles expriment. A ce titre Noriko Kurosawa est une digne descendante des précédentes héroïnes déchirées de Masumura, assez stupéfiante d'hébétude, d'abandon et de plaisir alors qu'elle commet l'irréparable. A cela s'ajoute un sens de l'excès amusé qui amène un mélange de Pas de printemps pour Marnie distancié et de vrai mélodrame amoral typique de Masumura. Mishima et Masumura, une association qui fait forcément des étincelles.

Sorti en dvd japonais

1 commentaire:

  1. Merci encore pour cette chronique. Malheureusement toujours sujet à frustration, vu la probable impossibilité de decouvrir le film pour qui n’est pas fluent en japonais.

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