mardi 10 janvier 2012
The Shanghai Gesture - Joseph Von Sternberg (1941)
Shanghaï, enclave internationale, ville paraissant livrée à elle-même, peuplée d'individus de toutes nationalités. Des personnages au nom d'emprunt, au passé secret, évoluent dans un casino luxuriant appartenant à une femme non moins mystérieuse appelée Mother Ging-Sling. Poppy Smith découvre ce lieu fascinant et, sous l'influence d'un Égyptien indolent, plonge dans l'enfer du jeu.
Cependant, le casino est menacé d'expropriation par un milliardaire qui accapare peu à peu le quartier. Mother Ging-Sling, jouant de ses relations, cherche à découvrir l'identité de l'acheteur pour le faire tomber.
Dix ans après son fameux Shanghai Express, Von Sternberg gouttait à nouveau aux saveurs toxiques du monde oriental avec ce Shanghai Gesture. Il accentue ici les motifs de son classique de 1931 qu'il tire vers plus de noirceur. On retrouve notamment le sentiment de claustrophobie Shanghai Express mais l'ambigüité le situant entre protection et enfermement devient ici un pur enfer étouffant avec le casino. Le happy-end est ici troqué pour un final d'une noirceur absolue et on suppose que c'est sans doute la censure qui a empêché Von Sternberg à ne pas forcer le trait plus encore. La pièce originale de John Colton dépeignait elle carrément une maison close remplacée ici par le casino mais le réalisateur en fait un lieu d'oubli et de perdition tout aussi terrifiant malgré ce changement.
Le casino représente dans un cadre restreint le microcosme de ce qu'est la vision de Shanghai selon Von Sternberg : une Babylone moderne cosmopolite, viciée et dangereuse où seuls les plus corrompus peuvent survivre. Dès la première séquence dans le casino, un plan d'ensemble en plongée parcoure la salle de jeu dépeinte comme un immense magma grouillant de vie, un précipice où l'attrait du vide entraînera la perte des plus faibles. C'est le destin qui attend la malheureuse Poppy (Gene Tierney) jeune femme en quête de sensation qui va connaître une terrible descente aux enfers. Gene Tierney donne une de ses plus troublantes et fascinantes prestation avec cette figure tragique.
La dégradation morale et physique se fera graduellement avec un sens du détail minutieux et pervers de la part de Von Sternberg. Poppy nous apparaît ainsi sûre d'elle et arrogante durant sa première apparition, mais sa coiffure stricte, sa robe élégante mais sobre (dont Victor Mature rabattra le tissu sur son épaule dénudée) et le mot d'esprit de Mother Ging-Sling qui la laissera sans voix montre clairement son innocence et vulnérabilité face à ce monde. Alors qu'elle s'enfonce dans le jeu et les dettes, les robes se font de plus en plus provocantes, les maintiens contenu issu de son éducation laisse place à des poses lascives provocantes (créant un mimétisme avec la dépravée Phyllis Brooks) et symbole ultime elle lâche ses cheveux pour signifier cet abandon à la luxure ambiante. L'actrice n'a jamais été plus vénéneuse et sensuelle (si ce n'est sans doute dans Péché Mortel), irradiant l'écran par ce mélange de séduction et de fragilité.
Le film est aussi le constat d'un impossible rapprochement entre l'Orient et l'Occident. Les européens sont tous dépeint comme hautain et racistes mais les autochtones plein de vices ne valent finalement guère mieux. Le magnat incarné par Walter Huston (parfait de distinction arrogante) fait peu de cas des commerces qu'il fera disparaître pour l'avancée de ses affaires. De son côté Mother Ging-Sling n'hésitera pas à totalement pervertir la fille de son ennemi pour conserver son casino.
L'esthétique force le trait volontairement jusqu'au cliché dans les touches asiatiques marquées et kitsch des décors (Boris Leven sera nominé aux Oscars) et costumes pour souligner la facticité de l'ensemble. On retient ainsi les extravagantes tenues et coiffures de Mother Ging-Sling (Ona Munson) et ses robes au croisement du kimono, de la robe occidentale et de la tenue traditionnelle chinoise, chacune de ses apparitions étant soulignée par un gong retentissant.
Cet orient-là n'est que poudre aux yeux, à l'image d'un incroyable Victor Mature qui transpire littéralement le vice et incarne la figure la plus mystérieuse et manipulatrice du film. C'est la seule figure sans passé, sans vraie nation malgré son accoutrement oriental et ainsi parfaitement représentatif de ce cadre perverti. Ces éléments s'amplifient lors d'un mémorable final où l'argument purement matériel (qui le rapprochait du film noir dépaysant) laisse place à une révélation tragique sur les liens unissant les protagonistes. Le film se conclut alors sur ces même plans du casino enfumé, ce Shanghai monstrueux qui a englouti de nouvelles victimes et continue de respirer.
Sorti en dvd zone 2 français chez Film Sans Frontières dans une copie correct mais pas extraordinaire. Le film devrait être réédité par Wild Side début avril dans une meilleure copie donc patience ou alors se tourner vers le zone 1.
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Ce film m'a longtemps semblé extraodinaire, fou, inspiré. J'ai dû le voir une douzaine de fois... Voire plus.
RépondreSupprimerEt puis, les 2 dernières fois, tous ses défauts me sont apparus, flagrants, évidents: gros sabots, scenario médiocre, outrances, symbolisme grossier et voyant. Le travelling avant du début et le travelling arrière final, par exemple, je les trouvais géniaux. Là, ils m'ont semblé pompeux et naïfs. Avec cette musique pompière, ils étaient presque risibles.
Marrant, hein, ce changement. ALors que d'autres films, eux, gagnent en re-visions. Par exemple, "Le Faux Coupable" d'Hitchcock que je n'avais pas revu depuis des années me semble aujourd'hui d'une intelligence époustouflante, d'une grandeur subtile .
Alors que je l'aimais simplement bien, avant.
Je suis presque sur que tu n'as pas vu le film,c'est de la poudre aux yeux ce tu dis dis.Ce film a une atmosphère noire très troublante,tout les personnage sont énigmatique ,et le travelling est un des meilleur qui fut extraordinaire PAR SES ZOOM AVANT ..
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