samedi 21 janvier 2012
Les Aventures du Baron de Münchausen - The Adventures of Baron Munchausen, Terry Gilliam (1988)
Dans une ville assiégée par les Turcs, une pièce de théâtre conte les aventures du fameux baron de Münchausen. Surgit alors un vieillard, affirmant être le « vrai » baron de Münchausen, faisant un scandale et interrompant la pièce. Horatio Jackson, le dirigeant de la ville, un notable méprisant, l'ignore ; les membres de la troupe le prennent pour un fou. Seule Sally, fille du directeur de la troupe de théâtre, le prend au sérieux. Il lui raconte comment, avec l'aide de ses compagnons Berthold, Adolphus, Albrecht et Gustavus, il a gagné le trésor du sultan, et déclenché ainsi la guerre.
Parmi les romans occidentaux les plus populaires jusqu’à la première moitié du XXe siècle (au point de connaître une première version cinéma orchestrée par Goebbels pour le régime nazi), le roman de Rudolf Erich Raspe est largement tombé dans l’oubli lorsque Gilliam s’attaque à son adaptation en 1988. Münchausen est probablement le plus fascinant des trois films du cycle de l'imaginaire de Gilliam, car élargissant le propos au-delà du simple questionnement sur le rapport entre le réel et l’imaginaire. Totalement identifié à son héros, Gilliam fait définitivement le choix du monde imaginaire. Associant la maîtrise formelle acquise dans Brazil et le foisonnement d’idées de Time Bandits dans un film ayant enfin le budget de ses ambitions, Terry Gilliam livre là un spectacle total.
Dès l’introduction du vieux baron dans le théâtre, le réalisateur esquive l’artifice de la transition et des reflets semant le doute sur la véracité des événements se déroulant sous nos yeux (hormis les acteurs du théâtre ayant les mêmes traits que les compagnons légendaires du baron). Dès l'instant où la petite Sally voit en lui le héros qu’il est, le statut du baron ne se verra plus discuté. Dans Bandits Bandits, l’imaginaire était un moyen d’évasion et dans Brazil, il faisait figure de refuge. Gilliam va plus loin encore ici, en en faisant tout simplement une source de vie. Les manifestations saisissantes – traque incessante de la mort –, les alternances entre vieillissement et rajeunissement du Baron, tout cela se voit provoqué par la croyance absolue dans le pouvoir de l’imaginaire, l’aventure étant un moyen constant d’échapper au temps qui passe, au poids du destin.
Tourné à Cineccittà et composé d’une équipe technique parmi les meilleures d’Italie (dont le grand Dante Ferreti aux décors, et Michele Soavi à la seconde équipe), Münchausen s’approprie et réinvente l’esthétique des plus grands visionnaires du cinéma d’évasion. On pense évidemment à Méliès lors du voyage dans lune, au Pinocchio de Walt Disney durant l’épisode de la baleine, le tout régulièrement bousculé par l’humour de Gilliam, telle la prestation hilarante d'Oliver Reed en Vulcain.
L’ombre de Fellini plane dans ce foisonnement visuel et exubérant, Gilliam troquant l’ambiance décadente du maître italien (malgré une première apparition érotique à souhait d'Uma Thurman) par une euphorie et un plaisir de raconter tout enfantin. Les séquences féeriques sont légions, telle cette danse avec Uma Thurman où l’exaltation permet de poursuivre la valse dans les airs.
La menace des Turcs en filigrane fait le lien d’une narration audacieuse multipliant les saynètes et temps forts indépendants, parti pris qui décontenança grandement le public de l’époque, habitué à une forme plus classique. Probablement le film le plus impressionnant de Gilliam, Münchausen multiplie les prouesses techniques et visuelles dans plusieurs séquences inventives et spectaculaires. On se souviendra longtemps du baron faisant un aller retour dans les airs, projeté par un boulet de canon et se raccrochant à un obus, le tout en étant pourchassé par la mort.
Alors qu’il faudra à Peter Jackson l’armée des infographistes de Weta pour reproduire le même effet dans La Communauté de l’Anneau, Gilliam réalise en live, vingt ans plus tôt, ce travelling arrière insensé sur la rangée de lance de l’armée turque avant la grande bataille finale. Les facultés surhumaines des compagnons du baron provoquent quant à elles des élans outranciers à la Tex Avery (Berthold qui rattrape la balle tirée sur le baron à toute vitesse), qui renforcent le melting pot des inspirations.
La conclusion, révélant que tout était narré par le baron et que l’on n'a jamais quitté le théâtre, laisserait craindre une pirouette malvenue. C’est bien mal connaître Gilliam, qui fait bénéficier le monde réel des exploits accomplis dans celui de l’imaginaire : les Turcs sont partis sans demander leur reste. Quand on croit, tout est réalisable.Tournage cauchemardesque, budget explosé et échec cuisant au box office, Gilliam paye encore aujourd’hui les excès des Aventures du Baron de Münchausen. Pratiquement aucun projet personnel accepté par les studios depuis 20 ans : l’adaptation de Watchmen, envisagée dès le début des années 90, celle du roman De Bons présages de Neil Gaiman et Terry Pratchett ou encore Defective Detective, le film de science-fiction matiné de film noir écrit avec son ami Charles McKeown.
La mise en images des folies de Gilliam le visionnaire coûte cher et les studios ne sont plus du tout disposés à ouvrir les caisses au wonder boy déchu. Même s’il réalisera encore de grands films, jamais plus il ne retrouvera la verve, l’insouciance et la prise de risque de son cycle de l’imaginaire (Bandits, Bandits, Brazil et ce Münchausen. Le jeu en valait il la chandelle ? Oui, assurément, tant ce maëlstrom de visions folles hante encore les grands enfants rêveurs qui sommeillent en nous. Merci du voyage, Monsieur Gilliam !
Sorti dans une très belle édition collector anniversaire chez Sony avec notamment un making-of édifiant sur le cauchemar que fut le tournage. Et dire que Gilliam connaîtra pire encore par la suite...
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