lundi 6 février 2012
Abattoir 5 - Slaughterhouse - Five, George Roy Hill (1972)
Billy Pilgrim mène une vie heureuse avec sa femme Valencia. Mais sa conduite inquiète de plus en plus sa fille Barbara, son gendre Stanley et son fils Robert de retour du Viêt-Nam.
En effet, Billy a le don de voyager dans le temps. Il se revoit soldat au cours du deuxième conflit mondial ; d'abord agressé par deux GI, puis prisonnier de guerre, il se retrouve à Dresde au cœur du bombardement le plus meurtrier de l'histoire.
Les expérimentations narratives et visuelles du cinéma européen et plus précisément celles de la Nouvelle Vague française auront été de grandes influences pour les cinéastes du Nouvel Hollywood. Si on n’associe pas forcément George Roy Hill (plus de la génération des Frankheimer que des jeunots du Nouvel Hollywood) au mouvement (on évoque plus ses succès populaire Butch Cassidy et le Kid ou encore L'Arnaque) c'est pourtant bien lui qui signera une des œuvres les plus emblématiques de cette fusion avec Abattoir 5 qu'il considérait comme son meilleur film. Ici le récit en puzzle évoquera entre autre très fortement le Je t'aime, je t'aime de Alain Resnais, le tout associé à des éléments politiques et socio-culturels totalement associé à l'Amérique.
A l'origine on trouve un roman semi autobiographique de Kurt Vonnegut qui y mêlait anticipation et souvenir du traumatisme de son expérience de la Seconde Guerre Mondiale, notamment le bombardement de Dresde où il fut prisonnier. Le héros Billy Pilgrim (pèlerin comme symbolique de ce personnage constamment de passage, jamais vraiment là) y possède ainsi le don de voyager dans le temps mentalement, sautant d'une époque à une autre de sa vie dans le désordre le plus complet.
L'histoire saute tout autant d'un genre et donc d'une humeur à une autre, le film de guerre côtoyant la satire ou encore la science-fiction. Billy (Michael Jacks) paraît plus glisser sur les évènements que les fuir réellement. Le montage de Dede Allen (réputée pour son travail chez Arthur Penn notamment les innovations de Bonnie and Clyde) n'obéit à aucune logique dramatique dans les transitions impromptues mais fonction plus par association d'idées, de sensation et de lieux dans la mémoire de Billy. L'interprétation de Michael Jacks pour ce héros lunaire annihile également toute approche classique dans sa construction, le personnage arborant un air placide, absent et distancié face à tous les drames qu'il traverse.
Sous cette apparente incohérence nous faisant passer des camps allemands insalubres à un quotidien familial pavillonnaire rasoir puis carrément à des visions cosmiques inattendues, une vraie logique se dégage. Le pivot du récit est bien l'expérience de la guerre et les autres niveaux narratifs se font en réactions à celui-ci. Ainsi le mariage de Pilgrim, sa très ronde épouse et leur jolie maison constituent une critique de l'Amérique des 50's où un modèle familial "publicitaire" en forme de course à la consommation (la scène de la Cadillac en cadeau d'anniversaire) constituait un écran de fumée destiné à faire oublier (où réduire à une anecdote piquante le temps d'une scène de réception) le souvenir de la guerre, des pertes et des méfaits qui y furent commis (Hiroshima, et donc Dresde...).
Ce ressentiment de Vonnegut pour cet oubli de façade trouve bien évidemment son écho à l'époque où est produit le film avec la guerre du Vietnam, autre conflit schizophrène et coupable. Plusieurs scènes y font allusion de manière sous-jacente et visionnaire (cet officier américain endoctriné par les nazis venu enrôler ses camarades prisonniers pour combattre leur ennemi commun à tous, le communisme) ou carrément ironique et explicite lorsque le fils rebelle en cherchant la fierté de son père s'engage dans l'armée déjà embourbée au Vietnam. Cette forme détournée pour traiter du conflit rejoint celle d'un Altman sur MASH qui usait du cadre de la Guerre de Corée pour en parler sans que personne ne soit dupe. Pourtant nulle esprit potache et loufoque chez George Roy Hill qui imprègne le film d'une profonde mélancolie représentée par l'allure fatiguée d'un Bill vieillissant.
La clé est d'ailleurs donnée dans la dernière partie où des forces supérieures révèlent à Bill que la vie n'est qu'un immense maelstrom où il convient de piocher les meilleurs moments, les plus beaux souvenirs. C'est donc ce que cherche à faire notre héros et quand sa propre existence ne suffit plus, c'est dans l'ailleurs d'une autre galaxie qu'il va chercher la paix dans un final façon 2001 de Kubrick. Le script aborde cela à mi-chemin entre croyance et ironie. En effet si l'on a accepté qu'un homme puisse passer d'une époque à l'autre, pourquoi pas carrément le grand saut vers l'inconnu ? Mais d'un autre côté George Roy Hill dissémine les indices permettant d'autres interprétations. La plus satirique verrait Bill recréer dans un ailleurs une version améliorée de son morne quotidien : la sculpturale Valérie Perrine a les kilos superflu en moins des traits proche de son épouse et la demeure spatiale arbore tous les signe de l'ameublement cosy prisé par les publicités. La cellule familiale s'y verra même reconstituée lorsqu'ils auront un enfant (salué par une nuée de feu d'artifice), rendant tout aussi superficiel cet ailleurs protecteur. C'est malgré tout l'émotion sincère qui domine face à cette homme qui a trouvé la paix en maîtrisant/acceptant ses passés et futurs (le final où il voit sa propre mort) dans un refuge apaisant. Qu'il soit réel ou une création de son esprit n'a finalement plus d'importance.
Sorti en dvd zone 2 français chez Opening
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Je l'ai découvert l'année dernière, au cinéma en copie neuve, c'était une expérience cinématographique passionnante.
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