lundi 20 février 2012
Histoire de détective - Detective Story, William Wyler (1951)
Le détective MacLeod, rattaché à un commissariat de New York, homme d'une intransigeance morale implacable, est accusé de poursuivre un médecin marron, Schneider, pour des motifs personnels. Il découvre alors que sa femme Mary a été à son insu et avant leur mariage, la victime du médecin...
Detective Story marque la deuxième collaboration entre William Wyler et le dramaturge Sidney Kingsley dont il avait déjà adapté une pièce avec le film de gangster Rue sans issue. Si ce dernier ne manquait pas d'intérêt et faisait même preuve d'une certaine originalité, il ne soutient pas la comparaison avec cette seconde tentative, véritable chef d'œuvre du film noir. On retrouve toutes les facettes déjà présentes dans Rue sans issue mais en plus abouties en tout point : la dimension théâtrale soulignée mais jamais pesante dans l'unité de temps et de lieu, le mélange de réalisme brut et de sophistication visuelle et surtout l'audace des thèmes avec toujours ici ce questionnement moral, cette frontière floue entre le bien et le mal.
Le film se pose en précurseur d'un sous-genre du polar bien plus couru plus tard au cinéma comme à la télévision avec cette description réaliste le temps d'une journée du quotidien d'un commissariat de New York. Des œuvres comme Les Flics ne dorment pas la nuit de Richard Fleischer ou la série Hill Street Blues apporteront un touche plus sale et sordide à cette tendance mais tout est déjà contenu dans le film de Wyler. Défilent donc sous nos yeux diverses affaires et types de criminels auxquels nos flics sont amenés à traiter.
Cela va de va de la voleuse à l'étalage dépassée (Lee Grant sorte de personnage témoin décalé de toute cette agitation), aux cambrioleurs multirécidivistes et sans remords (ou on trouve le futur Docteur No, Joseph Wiseman absolument glaçant) en passant par l'innocent poussé vers le crime par dépit amoureux. Autant d'affaires que de méthodes à adopter, de psychologies à apprivoiser et de preuves à soutirer comme le montrent les diverses scènes d'interrogatoires musclées ou subtiles selon les clients. Un seul ne donne pas dans cet art de composer, c'est le détective McLeod (Kirk Douglas). Kirk Douglas délivre une de ses performances les plus intense avec ce flic dur à cuire porté par une morale inflexible, quitte à jongler avec la loi.
Le script souffle le chaud et le froid, admiratif et critique à la fois sur ce flic impitoyable. Le fil rouge narratif est ainsi tenu par une de ses affaires où il s'apprête à arrêter un médecin avorteur qu'il traque depuis de longs mois. Là toutes les qualités d'investigation (le dialogue sur ses revenus fermiers où il démasque les finances douteuses du médecin) et la violence du personnage se dévoilent, notamment lorsqu'il file une raclée brève mais douloureuse à son suspect qui aura voulu joué au plus fin. On découvrira progressivement les raisons de cette intransigeance : McLeod est le fils d'un ancien criminel qui aura fait vivre un enfer à sa mère qui mourut à l'asile. Dès lors il ne voit plus le monde qu'en blanc et en noir et s'en tient à une droiture morale maladive, quasi religieuse. Il va pourtant devoir faire face à ses contradictions lorsqu'une révélation mêle le passé de sa propre épouse au chemin de l'avorteur.
La dernière partie est d'une noirceur et d'une intensité rare avec un Douglas dont la logique binaire est poussée dans ses derniers retranchements lorsqu'il est concerné personnellement. On est surpris de voir la question de l'avortement clandestin traitée aussi frontalement dans un film de l'époque et même si en VO le terme baby farming remplace le trop brutal abortion, le sens est on ne peut plus explicite. Eleanor Parker est fabuleuse de fragilité et bouleverse par son jeu lorsque son secret est éventé. Loin du personnage victime, elle saura néanmoins imposer une rudesse étonnante pour répondre à Douglas et le confronter à son intolérance lors d'un virulent échange final.
La violence et la tendresse électrisent tous les échanges entre eux avec une dureté difficilement soutenable par les attitudes outrés de McLeod répudiant une épouse qu'il pensait parfaite. Wyler, nullement restreint par ce cadre resserré se montre moins démonstratif que dans Rue sans issue dans sa mise en scène. L'aspect grouillant du commissariat est bien retranscrit avec toujours plusieurs action simultanées captées par des panoramiques sobres d'un côtés ou l'autre de la pièces (reprenant le côté théâtral d'origine) où un jeu sur la profondeur de champs montrant où l'action principale n'oublie jamais de capter l'activité permanente des lieux. Il en va de même pour la touche dramatique où après la révélation les époux sont comme séparés à l'écran par une séparation constante entre premier et arrière-plan lors des scènes de dialogues.
Les seconds rôles sont pour beaucoup dans cette réussite, tous les flics notamment transpirent l'humanité tel William Bendix partenaire ayant gardé ce cœur que Douglas a perdu, Horace McMahon formidable en chef compréhensif mais intransigeant. Toutes les petites histoires se nouant autour du drame tout en donnant de la vie à l’ensemble le nourrissent constamment.
La réaction de Douglas à la situation du jeune voleur amoureux sera ainsi un premier révélateur de l’impasse où le mène cette rigueur qui oublie l’individu pour ne plus qu’appliquer froidement la loi. Il faudra une ultime séquence poignante pour qu’il ouvre les yeux, trop tard. Même si on peut trouver ce final un peu trop appuyé dans son message, Wyler aura fait passer tant d’émotion dans ce qui précède qu’on ne peut qu’être marqué par cette chute inéluctable. Un grand film.
Sorti en dvd zone 2 français chez Paramount
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quel plaisir de voir que le grand Wyler,tellement malmené par cette arrogante et surestimée nouvelle vague ,est enfin estimé à sa juste valeur!bravo!
RépondreSupprimerMerci! C'est vrai que pas mal de réalisateur estampillé "qualité américaine" comme Wyler, George Stevens ou Fred Zinneman ont été injustement conspués par la critique française à l'époque et notamment les jeunes turcs des Cahiers...
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