Harriet, une jeune anglaise expatriée, vit avec son petit frère, Bogey, et ses trois sœurs cadettes dans une grande maison de la région de Calcutta en Inde. Son père dirige une manufacture de toile de jute tandis que sa mère s’occupe de la famille et attend un sixième enfant. Un jour d’automne, le capitaine John rentre de la guerre et vient habiter une maison voisine. Invité à une fête, il y rencontre Harriet, ainsi que Mélanie une belle métisse indienne et Valérie. Les trois jeunes filles vont toutes trois tomber sous le charme du bel étranger…
Le Fleuve était de son propre aveu son film favori de Renoir au sein de sa filmographie. On peut le comprendre tant dans la réussite de celui-ci s'entremêlent les satisfactions artistique et personnelles avec ce qui constitua une grande aventure humaine et une œuvre inoubliable. C'est un Renoir bien mal en point qui s'apprête à s'atteler au projet.
Le salut pour Renoir viendra de Kenneth McEldowney, riche entrepreneur à la tête d'un réseau de fleuriste désirant devenir producteur de cinéma. Pensant qu'un tournage à l'étranger serait plus avantageux, il se rend en Inde fraîchement décolonisée où il se met les notables locaux en poche, obtenant financement et avantage de tournages divers. Seulement il n'a pas encore de sujet de film et lorsque lui est recommandé le roman The River il découvrira que Jean Renoir en possède les droits. Il lui propose tout naturellement la réalisation, Renoir posant comme seule condition un tournage en Inde mais pour le reste en dehors des évidentes difficultés logistiques cette production sera une vraie libération après l'étau des studios Hollywoodien.
L'adaptation est coécrite par Renoir et Rumer Godden elle-même qui avait détestée la précédente transposition de ses écrits avec Le Narcisse Noir de Powell et Pressburger. Si l'intrigue du roman sera largement remaniée par Renoir, Rumer Godden est partie prenante de ses modifications de par sa connaissance de l'Inde où elle a grandi (The River étant en partie autobiographique) et où se déroule la majorité de ses livres. Le changement essentiel viendra en fait d'un Renoir tombé sous le charme de l'Inde. Privé en début de tournage de l'outil étouffant le son des très bruyantes caméras technicolor, le réalisateur en attendant décide de flâner et de filmer paysages, population et quotidien indien dans des images lorgnant plutôt sur le documentaire.
Dès lors le film se fait bien plus indien dans son atmosphère (alors que le roman quitte rarement la famille anglaise et leur demeure) avec l'ajout du personnage de la métisse Mélanie et une large place laissé au us et coutumes locaux, aux séquences purement illustrative nous imprégnant de l'authenticité de cette Inde même si vue à travers le regard occidental. Le film reprend sans les excès la thématique du Narcisse Noir où l'environnement sera un prolongement et/ou un déclencheur des sentiments profonds des personnages. Il est surtout plus proche de The Greengage Summer roman où Rumer Godden s'attarde aussi sur les premiers émois amoureux d'une adolescente (et dont Lewis Gilbert tirera une belle adaptation en 1961).
Cette Inde foisonnante et aussi authentique que fantasmée servira donc ici de catalyseur émotionnel à un groupe de personnages. Les deux jeunes et inséparables amies Harriet (Patricia Walters) et Valérie (Adrienne Corri) se feront rivales pour les beaux yeux du capitaine John (Thomas E. Breen), vétéran de guerre échoué en Inde. Celui-ci cherche également sa place dans le monde, se sentant étranger partout du fait de son expérience du front et d'un handicap qu'il n'accepte pas puisqu'il est amputé d'une jambe.
Sorti en dvd zone 2 français et en blu ray chez Carlotta
vous avez supprimé mon ancien commentaire? Je pensais que les commentaires avaient le mérite de confirmer l'intérêt du peuple pour vos
RépondreSupprimerchroniques…
Mais peu importe. Plus haut vous écrivez : "Le film reprend sans les excès la thématique du Narcisse Noir où l'environnement sera un prolongement et/ou un déclencheur des sentiments profonds des personnages". Je n'y aurais jamais pensé, parce que les deux communautés n'ont rien de commun entre elles. Dans le Narcisse noir, il
s'agit d'un monde sérialisé soudé
parce qui est la foi, mais constitué de
femmes étrangères entre elles (âge,
origine sociale, motivations personnelles, dans chaque cas différentes).
Dans le cas de Renoir, on est en présence d'une famille, soudée par les liens du sang et liens d'une même génération.
Après A PASSAGE TO INDIA qui m'a
profondément marqué, j'ai vu ce
soir SHAKESPEARE WALLAH qui signifie "troupe d'acteurs shakespeariens ambulants" de MERCHANT—IVORY. L'Inde y est depuis peu indépendante et se désintéresse (légitimement) de la culture anglaise et de Shakespeare en particulier. La photo en noir et blanc est merveilleuse dans la nature
ou des échevaux de brume s'enlacent au feuillage. les visages qui occupent tout l'écran sont magnifiques. Un "mélo" (naturellement) qui s'achève sur le départ de la belle
Ophelia pour l'Angleterre. Le bel amant fut trop lâche pour faire le pas et la garder. Le meilleur des deux civilisations a flirté ici mais malgré de très longs baisers échangés dans la brume, le jeune bourgeois conscient de sa caste, ne sautera pas le pas.
Pour le lien avec Le Narcisse Noir je faisais le lien plutôt en terme de construction narrative et du rapport des protagonistes à leur environnement mais bien sûr je suis d'accord avec vous les personnages et les motivations diffèrent. Le lien vient de Rumer qui a écrit les deux ouvrages d'origines sans doute, d'ailleurs si vous ne l'avez pas vu je vous recommande vivement l'autre adaptation d'elle de Lewis Gilbert dont je parle dans le texte, Un si bel été. Je note pour le Ivory je ne connaît rien de la période antérieure à leur grande période des 80's curieux de découvrir cela.
RépondreSupprimerSinon peut être une fausse manip mais je n'ai pas supprimé de post de vous !
Je suis contente de vous lire.
RépondreSupprimerJe viens de parcourir quelques critiques sur LE FLEUVE
et je retiens ces deux citations :
Jean Renoir déclarait à la fin de sa vie que, de tous ses films, Le Fleuve était son préféré.
Le Fleuve, un des plus beaux films qui soit ! Mon père m’a emmené le voir quand j’avais 8-9 ans. C’est un film qui s’est imprégné en moi et ne m’a jamais quitté depuis. Martin Scorsese
J'ai revu en passant de belles photos dont je n'ai pas le
souvenir. Tout me donne à penser que je suis "passée à côté de ce film". Cela arrive, si je l'ai encore, je le reverrai
Comme vous le savez, la reconstitution en Angleterre
de la nature dans LE LOTUS NOIR a valu les éloges
d'Indiens et l'Inde avec ce prince (Sabu) issu d'Oxford, parfumé au "lotus noir", parfum anglais et l'adorable et incorrigible délinquante Jean Simmons (qui danse seule devant les miroirs) sans compter la scène douloureusement dramatique au bord du précipice et la chute de la folle qui a mis son rouge à lèvres avec une sensualité rare dans ce geste, et divers autres détails (les fleurs plantées à la place des pommes de terre), donnent à ce film un relief
inoui, sans compter la beauté hypnotisante qu'exerce
sur moi Deborah Kerr. Je ne sais plus comment je dois poursuivre cette phrase, mais je veux dire que LE FLEUVE
m'a paru bien pâle en comparaison.
Dans les deux autres films qui me marquent profondément
A PASSAGE TO INDIA et SHAKESPEARE WALLAH
apparaît quelque chose d'essentiel : d'une part l'abîme qui sépare les deux civilisations, dans l'un "avant" l'Indépendance,dans l'autre "après". L'incompréhension est totale et aveugle quand il s'agit d'administrateurs anglais soucieux de régner, inversement un apport culturel européen noble (Shakespeare) mais tombé en désuétude au moment où le cinéma indien a pris le relai et le désespoir de ces
"bons blancs".
Je parle mal de ce dernier film que je viens de voir.
En comparaison de ces trois films, tout, dans LE FLEUVE,
se passe comme dans une villégiature paisible.
Mais je suis tout à fait disposée à réviser — si je peux —
mon point de vue.
J'ai écrit ces jours-ci quelque chose sur une de vos chroniques alors que j'étais en "navigation privée" et mon
commentaire a disparu lorsque j'ai voulu publier.
Je voudrais vous parler de CHARLES MORT OU VIF
d'Alain Tanner que j'ai revu avec plaisir, au besoin je vous
envoie un mail sur ce film.
J'ajoute à propos des deux films que vous comparez plus haut que je ne connais pas l'auteur des romans (Rumer ?).
Un de mes derniers achats "culturels" chez Amazon est
HOWARDS END pour quelques centimes. Il faut absolument que je lelise avant de le ranger dans un carton …
J'ajouterai que je vais une ou deux fois par mois au 57 bd
St Michel, chez TROIS FOIS RIEN, où il y a toujours des choses inattendues : ma dernière acquisition est une loupe
de lecture qui multiplie par 2 et par 6 dans un petit cercle :
on peut lire tout ce qui est invisible comme le dos des DVD
(5,90 euros). elle a un diamère de 10-12 cm, est légère
et on met 3 piles AAA (non fournies). Je ne perds plus
mon commentaire en allant vérifier sur internet, je viens de prendre mon DVD pour retrouver le nom de Jean Simmons
(merveilleusement mariée à …) Vous pouvez bien
entendu, car vous êtes chez vous, couper ce que vous voulez à ce commentaire. A bientôt.
(vous voyez la cinéphilie, comme la cinéphyllis, est incurable!)
dans le second
Le Narcisse Noir représente une Inde dépaysante mais fantasmée et reflet des états d'âmes des personnages mais pour le coup Le Fleuve est plus réaliste (et tourné sur place) vous aviez sans doute des attentes pour un spectacle plus ouvertement romanesque et flamboyant et du coup le Powell/Pressburger a mieux fonctionné sur vous. Ce n'est pas le propos du Renoir à l'atmosphère plus paisible et bienveillante, donc loin aussi de A Passage to India.
RépondreSupprimerje reviens à votre texte antérieur, vous écriviez
RépondreSupprimer"les excès de la thématique du Narcisse Noir".
Oui, on est bien d'accord. C'est une oeuvre d'imagination, et là comme dans LES CHAUSSONS ROUGES, il n'y a pas de limites, tout est permis.
Il y a une part de moi — je dis peut-être une bêtise —
insensible au réalisme plat (les bons documentaires sont réalistes, mais épicés comme L'inde filmée par Louis Malle, ou les armes de guerre américaines filmées par Chris Marker dans LA JETEE).
J'ai besoin de théâtre, de théâtralité. La réalité de
mon environnement dans mon enfance et ma jeunesse m'a remplie d'une horreur qui m'a propulsée vers un
ailleurs qui exige sans cesse d'être renouvelé. Mes voyages de jeune fille au pair aux USA, en Allemagne, mes fugues en
Angleterre, puis tous mes voyages ont appaisé cet
appétit. Le premier matin à Palerme, reste dans mon souvenir un grand moment d'émotion, les escaliers de ce Baroque sicilien, plus tard la villa Maser du Palladio
m'a fait pleurer devant tant de beauté (vous savez "le nombre d'or") jamais soupçonnée. Maintenant, le cinéma a pris le relais des
voyages. Je ne sais pas ce qui a l'origine a formé mes idées sur l'Inde, peut-être la traduction sur ce très beau livre sur l'histoire des textiles indiens, où la beauté des saris, l'immense travail consacré à l'obtention des couleurs (pour quelques rupies) où éclatait toute l'injustice sociale au profit des colons anglais (les femmes portant une seule soirée le travail de toute une vie) ou des pashas. L'idée d'une "atmosphère paisible et bienveillante" ne peut traverser que l'esprit d'un touriste, non d'un amoureux de l'Inde, ce qu'était
E.M. Forster dans son très beau livre A PASSAGE TO INDIA.
J'étais folle d'Italie, et un cher ami, psychiatre très célèbre, disparu aujourd'hui J. F. Minguzzi, me disait devant mes émois :
"vous touristes m'agacez, vous faites abstraction de notre réalité".
Dans mon cas c'était très vrai : je trouvais en Italie le beerceau de ce qui m'était le plus cher, peinture, architecture,
ce passé formateur depuis l'aube des temps, la Rome antique, la Renaissance, l'architecture de Palladio, dont
les traces sont partout vivantes (et mortes, selon mon ami).
Je ne sais plus dans quoi je m'embarque. C'est par le cinéma que j'ai découvert le visage réel de l'Italie (Le voleur de bicyclettes, Sciuscia — un mot créé à partir de l'américian Shoe-Shine — Umberto D et tout
ces films néo réalistes de réalisateurs qui donneront plus tard les plus belles fictions.
Ah si, j'y viens : Renoir a un regard de touriste. Le mien en Italie.…
J'ai passé l'après-midi avec vous ! Je vais aller mettre ma grippe sous la couette.
Tess dure trois heures : je le verrai en deux fois, sans
impatience.
Alors comme je vous l'ai dit "Le Narcisse Noir" et "Le Fleuve" sont adapté du même auteur anglais, Rumer Godden. Le Fleuve est en grande partie autobiographique puisqu'adaptant ses souvenirs d'enfance car elle a vécu toute son enfance et une partie de sa vie d'adulte. Le but du livre et donc du film de Renoir est de s'imprégner de cette expérience personnelle et a au contraire une vision à fois idéalisée, naïve (ca vue à travers ce regard nostagique de l'enfant qu'elle était) mais aussi très juste dans son regard sur la culture indienne. Elle a écrit elle même le scénario de l'adaptation avec Renoir et s'est montrée très satisfaite du film. Rien de touristique dans le regard de Renoir mais effectivement vu que c'est à travers des yeux juvénile c'est un film sans vrai rebondissement dramatique ni conflit plutôt un voyage spirituel paisible, volontairement illustratif certes mais tout sauf touristique. Ca va à contre courant de toute les visions de l'Inde vues au cinéma jusque-là, des films dans cette veine ne viendront que plus tard comme Chaleur et Poussière d'Ivory.
RépondreSupprimerLe Narcisse Noir c'est tout autre chose c'est une vision plus contrastée de l'Inde, belle, fascinante mais destructrice pour les protagonistes occidentaux qui s'y perdent. L'Inde fantasmée de studio de Powell accentue encore cela se penche autant sur le conflit que le dépaysement mais vu que c'est une Inde fabriquée cela crée sans doute un décalage. Rumer Godden détestait d'ailleurs ce que Powell avait fait de son livre et on peut la comprendre même si le film est un chef d'oeuvre. Le regard le plus juste est celui de Renoir, le plus imaginatif de Powell mais c'est inapproprié de qualifier le premier de touristique même si vous pouvez pencher pour le second.
Après il semble vu les autres films que vous citez à ce sujet que vous attendiez un film plus romanesque, politisé ou en tout cas tumultueux ce n'est pas ce que recherchaient Renoir et Rumer Godden qui intègrent un fil narratif moins agité pour privilégier un ton plus documentaire.