Richard Fleischer signe une de ses réussites les plus magistrales avec ce thriller virtuose qu’est L’étrangleur de Boston. Le film s’inscrit dans l’œuvre de Fleischer au sein d’un triptyque consacré à la figure du serial killer où l’on aura eu précédemment Assassin Sans Visage (1949) et qui se conclura avec L'Étrangleur de la place Rillington (1971), chacun des films ayant la particularité d’avoir un assassin adepte de la strangulation. Richard Fleischer qui à l’origine se destinait à une carrière de psychiatre avant d’être pris par le démon du cinéma retrouve de cette formation initiale dans la froideur et la méticulosité adoptée dans le ton et l’ambiance de L’étrangleur de Boston, au croisement du thriller pur et dur, du documentaire et du cinéma expérimental.
Fleischer avait découvert le procédé lors de l’exposition
universelle de 1967 à Montréal dans une des premières projections Imax et
décela immédiatement les possibilités dramatiques de cette technique. Le
réalisateur fait ainsi naître le malaise de manière subtile ici avec des crimes
se révélant après leur réalisation au fil des informations distillées à l’image.
La scène d’ouverture pose ainsi tout d’abord l’ambiance avec cette image
télévisée dans un coin de l’écran avant qu’une autre case nous révèle une main
noire gantée puis une silhouette fouillant la pièce puis l’ultime et macabre
découverte d’un cadavre de femme gisant au sol. Le second crime est tout aussi
saisissant, une moitié d’image révélant le cadavre dans la pénombre tandis que
l’autre moitié montre les voisines de la victime s’apprêtant à pénétrer dans la
pièce et découvrir l’horreur.
C’est la réalisation de Fleischer qui brise donc la
monotonie volontaire de cette suite d’atrocités, un kaléidoscope de case nous
faisant suivre l’enquête mais aussi partager la paranoïa galopante et la peur
des femmes de Boston. Fleischer gère idéalement ces éléments, si le traitement
surprend il reste toujours accessible et compréhensible au spectateur jamais
noyé sous les informations grâce aux différents formats et au montage brillant
qui amène toujours dans les proportions et timing adéquat les différents
éléments révélés par ces écrans multiples.
Le script en profite pour explorer des
territoires fort audacieux et dérangeants pour l’époque que ce soit le
catalogue de pathologies et perversions diverses découvertes à travers les
différents suspects (le malaise glauque de la scène avec le très perturbé Eugene
T. O'Rourke succédant à l’humour pour le drôle de séducteur Lyonel Brumley) et
une séquence dans un bar gay sobrement filmée par Fleischer.
Après une heure sur ce rythme, le tueur révèle enfin son
visage sous les traits d’un surprenant Tony Curtis. L’acteur avait collaboré
avec Fleischer sur le film d’aventures Les
Vikings (1958) et fit le forcing pour obtenir le rôle alors que son physique de
séducteur et son registre supposé plus léger habituellement suscitait le doute
au sein de la Fox. Soutenu par Fleischer, il prend du poids, maquille ses beaux
yeux bleus de lentilles noires, se fait mettre un faux nez et s’habille de
façon banale, la métamorphose étant photographiée pour convaincre des exécutifs
qui ne le reconnaîtront pas, validant ainsi sa crédibilité.
L’acteur délivre
une stupéfiante prestation schizophrène et incarne vraiment deux rôles
dissemblables, le père de famille paisible et aimant se transformant en
dangereux prédateurs dès que sa libido est mise en ébullition. La méthode peut
sembler grossière (suivre des femmes chez elles et se faire passer pour un
ouvrier qu’elles font presque toujours rentrer à leur dépens) mais la vérité
était plus stupéfiante encore.
Avant d’être « l’étrangleur de Boston »
Albert DeSalvo fut « Le Mesureur » et s’introduisait chez des femmes
en se faisant passer pour un photographe et leur faisant miroiter une carrière
de mannequin et ce premier surnom lui venant du mètre qu’il utilisait pour
prendre leurs mesures et avec un peu de chance finir dans leurs lit. Cette
méthode ne le satisfaisant plus, il passa à la sanglante étape supérieure pour
devenir l’étrangleur de Boston. Le film n’évoque cependant pas cette facette
bien que le livre de Gerald Frank y fasse allusion.
Fleischer use de la même méthode mais de façon plus dérangeante
alors avec les split-screen nous faisant alors partager alternativement le
point de vue du tueur et de ses victimes alors que la première partie nous
amenait sur des scènes de crimes après les meurtres. Le suspense naît ainsi de
l’attente entre le tueur que nous savons rôder dans les parages et sa victime, le
split-screen les séparant et retardant la fatale rencontre notamment lors de la
scène ou Sally Kellermann est prise au piège.
Là encore, l’érotisme trouble et
la perversion est de mise avec des élans de violence surprenants et dérangeants, dans une violence brute (DeSalvo
étouffant une victime et déchirant son corsage, révélant sa poitrine) ou une
stylisation cruelle avec ce split-screen séparant le visage d’une Sally Kellermann
terrifiée, la façon lente et méthodique dont Tony Curtis la ligote et son
regard dérangé et ivre de puissance.
Le grand morceau de bravoure intervient cependant dans les magistrales vingt dernières minutes du film. Albert DeSalvo enfin capturé refuse de laisser son autre « moi » surgir et confirmer ainsi sa culpabilité, le juriste Henry Fonda jouant une véritable partie d’échec pour le forcer à révéler sa vraie nature. Après l’étouffante atmosphère urbaine qui a dominé l’ensemble du film, Fleischer nous isole ici dans une salle d’interrogatoire d’un blanc immaculé plaçant DeSalvo face à lui-même et faisant basculer la séquence dans la pure abstraction.
Focales distordues, images subliminales et pures dérives oniriques, Fleischer nous plonge avec une inventivité et virtuosité rare dans le profond désordre mental de son serial killer. Dans Psychose, Hitchcock avait le temps d’une séquence finale explicative, ludique et inquiétante définit la nature de la double personnalité de son tueur. Fleischer transcende là le procédé en délaissant les dialogues redondants pour nous perdre dans un méandre d’image cauchemardesques et étranges où la vraie folie peut se révéler, portée par un Tony Curtis totalement halluciné. Un chef d’œuvre du thriller qui se termine dans une froideur distante qui vous hante longtemps.
Sorti en dvd zone 2 français tout récemment de ce film culte dans un belle édition chez Carlotta
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