Treize ans après son cultissime Fast Times at Ridgemont High (1982), Amy Heckerling parvenait à signer un autre teen movie culte avec ce Clueless. Le film apportera un vrai renouveau au genre où tout comme dans Fast Times at Ridgemont High, la réalisatrice parvient à entremêler avec brio imagerie bariolée, ton potache et une vraie profondeur dans le questionnement adolescent. Clueless était au départ pensé pour une série tv (ce qu'il deviendra effectivement à la suite du succès du film) mais l'approche d'Amy Heckerling restera incomprise par la Fox et c'est le producteur Scott Rudin et la Paramount qui séduit par le script reprendront le projet, l'estimant assez bon pour constituer un film.
Le teen movie et notamment les films de John Hughes auront souvent saisi le mal être adolescent à travers les figures de marginaux, se sentant exclus pour leur physiques, leurs origines sociales ou encore leurs passions bien éloignées de leur camarades. Clueless adopte à l'inverse le point de vue des beaux, riches et enviés figures populaires des lycées faisant habituellement office de méchants hautains. Le cadre de vie luxueux, les belles fringues et l'adulation/jalousie des autres ne suffit cependant pas au bonheur dans une intrigue adaptant le Emma de Jane Austen dans ce cadre contemporain. Cher (Alicia Silverstone) lycéenne issue des milieux huppés de Beverly Hills fait office de Emma moderne.
Elle vit dans une véritable bulle de superficialité où son quotidien se fait au rythme de la popularité qu'elle cherche à entretenir, de sa collection de vêtement de luxe à agrandir et des discussions idiotes avec sa meilleure amie Dionne (Stacey Dash). Amy Heckerling façonne un univers bariolé et décalé constituant le monde intérieur de Cher, l'extravagance de ces nantis jurant au milieu du cadre lycéen conventionnel (fait des modes vestimentaires hideuse des 90's entre baggy informe, panta court de skater et autres chemises grunge) et illustrant leur éloignement de la réalité. Ce décalage se traduira par les joutes verbales hilarantes et creuses que mène Cher durant les débats de société qu'elle doit réaliser en classe, mais aussi des échanges savoureux avec son "grand frère" Josh qui la renvoie constamment au vide de sa pensée.
Cher prenant plus ou moins conscience de cet égoïsme décide d'y remédier en cherchant à s'occuper des autres. Amy Heckerling s'avère bien plus dans l'esprit de Jane Austen que l'affreuse adaptation officielle Emma l'entremetteuse (1996) qui sortira peu après. Le snobisme de la bourgeoisie rurale anglaise et le rapport de classes sont habilement retranscrits dans ce Beverly Hills (Elton refusant de sortir avec Tai à cause de son rang inférieur) tout comme le cheminement d'Emma. La sophistication de son allure dissimule ainsi une inexpérience qui lui fait faire les mauvais choix pour les autres en faisant de la naturelle et spontané Tai/Harriet Smith (Brittany Murphy) une créature creuse qu'elle mène vers des garçons bien éloigné de son caractère.
Cet égarement se prolonge à elle-même incapable de distinguer qu'un garçon qu'elle cherche à caser n'a d'yeux que pour elle ou qu'un autre à d'autres attirances (Justin Walker et son élégante allure de membre du rat pack). Ainsi l'objet de son cœur ne se révèlera à elle que lorsqu'une autre le convoitera, Cher s'étonnant alors de cet étrange serrement qu'elle ressent au cœur. Alicia Silverstone (repérée grâce à ses apparitions dans les clips d'Aerosmith) trouve là le rôle de sa vie. Allure glamour, regard mutin et toujours ce soupçon d'innocence enfantine qui empêche le personnage d'être détestable malgré ses égarements, elle est absolument parfaite et on pouvait espérer une autre carrière (mais hormis Peine d'amours perdus (2000) de Kenneth Branagh rien de marquant par la suite). Elle rend ainsi touchant le désespoir de Cher sous la superficialité et le matérialisme dissimule une âme en plein doute également. On retiendra aussi un Dan Hedaya parfait en papa soupe au lait et surmené.
Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Paramount
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