La Chine sous la
dynastie Ming. Yang Hui-chen, dont le père a été assassiné par la police
politique du Grand Eunuque Weï, a réussi à s'échapper avec l'aide de deux
généraux rebelles. Ayant trouvé refuge dans une citadelle frontalière
abandonnée, la jeune fille est repérée par des espions impériaux. Pour l'aider
à affronter les gardes lancés à sa recherche, elle trouvera un soutien inespéré
auprès de Gu Sheng-chai, un jeune lettré qui se révèle un redoutable stratège,
et surtout de Maître Hui-Yuan, un moine bouddhiste dont la force spirituelle
n'a d'égale que sa maîtrise des arts martiaux…
A Touch of Zen
constitue un des sommets de la filmographie de King Hu mais également de la
reconnaissance du cinéma asiatique en Occident avec le Grand Prix de la
Commission supérieure technique qui lui fut attribué au festival de Cannes en
1975. Le cinéma japonais s’était révélé au monde avec le Lion d’or obtenu à
Venise par le Rashomon (1951) d’Akira
Kurosawa, la Mostra contribuant aussi à l’intérêt pour le cinéma indien avec le
Lion d’or remporté par L’Invaincu
(1956) de Satyajit Ray. Le cinéma martial hongkongais et chinois s’était tracé
un chemin sinueux jusqu’aux salles occidentales, que ce soit les classiques de
la Shaw Brothers renommés et redoublés hasardeusement dans les cinémas de
quartier français ou les émigrants chinois projetant confidentiellement les
succès locaux pour leur communauté aux Etats-Unis. Ce n’était que justice que la reconnaissance
critique arrive avec le plus érudit et exigeant des cinéastes chinois, King Hu.
Le titre cannois va même sauver le destin d’un film à la
production chaotique et au succès mitigé en salle, témoignant de l’exigence et
du caractère insoumis de King Hu. Introduit à la Shaw Brothers en 1958 par son
ami Li Han-hsiang, il y gravira
progressivement les échelons jusqu’à y accéder au poste de réalisateur. L’Hirondelle d’or (1966), son troisième
film au sein de la firme posera les bases du
wu xia pian - film de sabre chinois – et remportera un immense succès dans
toute l’Asie. King Hu profite des moyens mis en œuvre par la Shaw Brothers pour
enfin concurrencer le chambarra japonais et y dévoile déjà tout ce qui fera le
sel de ses films martiaux. On trouve notamment l’influence de l’Opéra de Pékin
avec une action reposant plus sur l’accompagnement du mouvement que sur les
chorégraphies complexes, misant plus sur la mise en scène que les compétences
martiales des acteurs dont le réalisateur attend seulement qu’il se déplace
avec grâce d’où le choix de Cheng Pei-pei à la formation de ballerine. Le
féminisme du réalisateur s’y manifeste également avec son héroïne travestie en
homme (prolongeant là aussi une tradition de l’opéra chinois) tout en
introduisant une certaine rigueur historique. Ce perfectionnisme aura un prix
et King Hu sera harcelé durant tout le tournage pour sa lenteur par Run Run
Shaw, patron de la Shaw Brothers.
Insatisfait du résultat en dépit du triomphe
commercial il claque la porte du studio pour s’installer à Taiwan où il façonne
littéralement l’industrie cinématographique locale. Dragon Gate Inn (1967) sera sa première réalisation « indépendante »
et ajoute les derniers éléments bridés sur L’Hirondelle
d’Or. Le film constitue le deuxième volet de sa « trilogie des
auberges » (conclue avec L’Auberge du printemps en 1973) et tient plus ouvertement compte du contexte politique
complexe de la Dynastie Ming avec cette opposition entre les eunuques
tyranniques contrôlant la police secrète et la garde impériale et les lettrés
porteur de la tradition chinoise. Un cadre prétexte aux trames d’espionnages et
de complots alambiquées pour lesquelles le réalisateur se donnera à cœur joie
sur Dragon Gate Inn, A Touch of zen, L’Auberge du Printemps et même des purs film historiques dénués d’arts
martiaux comme All the King’s Men
(1983). Dragon Gate Inn restera le
plus grand succès commercial du réalisateur et où il affinera en toute liberté les
idées qu’il n’avait pu développer sur L’Hirondelle
d’or. Il a désormais toute latitude pour s’attaquer à son projet le plus
personnel et ambitieux, A Touch of Zen.
On y retrouve poussé à la
perfection toutes les qualités des œuvres précédentes, le réalisateur y voyant
un écrin idéal où exprimer sa sensibilité artistique. Adapté d’un ouvrage de Pu
Songling - dont sera adapté bien plus tard Histoires de fantômes chinois (1987) - A Touch
of Zen s’inscrit dans le pur récit classique de chevalerie chinoise mais King
Hu n’y définit pas le courage par la seule valeur au combat. Le héros Gu
Shengzai (Chun Shih) est au contraire un jeune lettré sans le sou qui aura
privilégié l’érudition à une carrière ambitieuse de fonctionnaire au grand
désespoir de sa mère. L’aventure va pourtant frapper à sa porte lorsqu’une
mystérieuse voisine Yang Huizen (Hsu Feng) va s’installer. Il en tombe
rapidement amoureux mais cette dernière est traquée par les agents de l’Eunuque
Wei, responsable de la mort de son père et cherchant à se débarrasser du
dernier témoin de son infamie. C’est l’occasion pour Gu d’user de son savoir à
des vertus héroïque, ses talents de stratèges s’avérant aussi essentiels que le
brio de Yang et ses alliés au sabre pour venir à bout de leurs ennemis.
Gu
constitue un double de King Hu et montre une nouvelle facette de ce qu’il n’aura
eu de cesse d’affirmer à travers ses personnages, la rébellion. Celle-ci peut s’exprimer
contre le pouvoir politique en place toujours représenté par des méchants aussi
charismatiques que cruels et ne pourra s’accomplir qu’à l’atteinte d’une vraie
paix intérieure. On trouvait les prémices de cette idée dans L’Hirondelle d’or avec son bretteur
alcoolique forcé de trouver l’équilibre pour vaincre son condisciple bien plus
puissant que lui. Cette plénitude, Gu l’atteindra avec son amour pour Yang
donnant une raison d’être à sa quête de savoir tout comme celle-ci trouvera
avec lui un apaisement à sa vengeance. Tous deux expriment une idée de la rébellion
tournée vers la civilisation quand le personnage du moine Hui Yuan (Roy Chiao)
symbolise à lui seul la singularité se conjuguant à l’éveil spirituel. Le romanesque
désespéré accompagne donc magnifiquement la mystique bouddhiste dans la
dernière partie épique.
King Hu fait passer ces concepts par l’image, notamment sa
manière de filmer la nature en véritable prolongement des états d’âmes des
personnages. Le souffle du vent, le frémissement des feuilles et la silhouette
des arbres deviennent ainsi des plus inquiétants lors de la visite nocturne de
Gu dans la demeure hantée. A l’inverse l’éclat du soleil, la verdure de la
végétation et les bruissements de de l’aube semblent briller d’une force
nouvelle après la première nuit d’amour de Gu et Yang. Enfin la perte de
repère, les lumières incandescentes et les couleurs psychédéliques dans un
paysage désertique nous plongeront dans le trip « zen » du final. Cette
puissance formelle atteint des sommets lors des scènes de combats. Les compositions
de plans de King Hu sont inspirées des rouleaux de peintures chinois et il
associe à cette imagerie un sens du mouvement étourdissant.
Les travellings
frénétiques accompagnent les confrontations dans la pénombre de forêt de
bambous, le fracas des armes et des corps se faisant par un montage nerveux et
subliminal, les inserts fugaces sur cette fameuse nature s’invitant entre les
coups. Les lois de la gravité sont bien entendu défiées avec ces combattants
bondissants, King Hu jouant sur découpage alliant précision et abstraction
quand ils délivrent leur botte secrète. L’important pour lui est de ressentir le mouvement plutôt que de le voir
dans son entier, cette approche artisanale comportant bien plus de poésie que
les tentatives numériques des « successeurs » (si ce n’est Tsui Hark
qui même en CGI ne se déleste jamais de son côté foutraque et bricolé) comme
Zhang Yimou faisant basculer la magie de King Hu dans un rococo malvenu sur ses
Hero (2002) et Le Secret des Poignards Volant (2004).
Le film permet à King Hu d’étaler l’ensemble de son bagage
artistique, lui qui avant de rejoindre Hong Kong s’initia au plus jeune âge à
la calligraphie (il signait lui-même celles figurant dans les génériques de ses
films) et fut diplômé de l’Institut
National des Beaux-arts de Pékin. Son érudition en histoire chinoise se
traduira par des détails infimes qui différencient cependant A Touch of Zen du wu xia pian standard. Alors que chez un
Chang Cheh les guerriers arborent fièrement leurs sabres en bandoulière
(décalquant en fait les héros de westerns et leurs revolvers), King Hu plus
rigoureux les faits dissimuler par ses personnages dans leur tunique (le
méchant Ouyang Nian notamment), ses intrigues reposant sur les faux-semblants
où au contraire il s’agit de ne pas dévoiler ses aptitudes. Démarré dans la foulée de Dragon Gate Inn, le tournage s’étalera pourtant sur près de trois ans,
la maniaquerie de King Hu étant source d’interruption étonnante. Ainsi, pour
remédier à un paysage plus raccord à cause du changement de saison le
réalisateur impose à son producteur d’interrompre le tournage et de revenir
dans un an !
Entre tous ces atermoiements, la mode n’est plus au wu xia
pian historique quand sort le film mais plutôt au film de kung fu brutaux et
contemporains de Bruce Lee. La distribution catastrophique du studio - qui en
sort une première partie alors que le tournage se poursuit, sans prévenir qu’il
s’agit d’un volet appelant une suite – n’aidera pas et le film sera un échec à
Taiwan et Hong Kong. A Touch of Zen
sera donc sauvé par Pierre Rissient éblouit malgré la version mutilée dans
laquelle il le découvre et contribuera à sa sélection à Cannes où il est
projeté dans son montage intégral. King Hu même si consacré sur la Croisette
aura néanmoins payé le prix fort pour sa fresque, rendant le financement de ses
œuvres suivantes plus difficiles et rencontrant l’échec commercial – mais certainement
pas artistique, le splendide Raining in
the mountain (1979) montrant une grâce intacte.
Ressort en salle le 29 juillet en copie restaurée
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire