Jessica Drumond, femme
au caractère bien trempé, règne d’une main de fer sur une petite ville grâce au
soutien d’une armée d’une quarantaine d’hommes. Ce microcosme va soudainement
être remis en question avec l’arrivée d’un nouveau shérif dont la vision de la
loi et de la justice diffère de celle de la maîtresse des lieux.
Quarante tueurs
est un des sommets de Samuel Fuller, le meilleur des quatre westerns (J'ai tué Jesse James (1949), Le Baron de l’Arizona (1949), Le Jugement des flèches (1957)) d’une
filmographie plutôt tournée vers le film noir et le film de guerre. Fuller
signe pourtant là un jalon majeur du genre qui est alors en pleine mutation.
Pilier de l’industrie hollywoodienne grâce au système de double programme jusqu’au
milieu des années 50, le western entame une lente érosion de son volume de
production au profit de la télévision. C’est l’occasion d’échapper à une
certaine forme de classicisme du genre pour une veine plus aventureuse tout en
s’inscrivant néanmoins dans la tradition. Ainsi Quarante tueurs par sa dimension romanesque et son personnage
féminin fort se situe dans le sillage du tout aussi fameux Johnny Guitare de Nicholas Ray (1954), tandis que Barbara Stanwyck
avait déjà incarnée ce type d’héroïne à poigne dans La Reine de la prairie ((1954) d’Allan Dwan ou The Maverick Queen (1956) de Joseph Kane.
Quarante tueurs
par cette approche romanesque entrecroise constamment mythologie et
démystification. C’est le premier point qui domine lors de la saisissante scène
d’ouverture, ce plan d’ensemble aérien sur une vallée déserte où avance une
carriole. Un grondement tonitruant se fait entendre, laissant apparaître cette
armada de quarante tueurs menée par Jessica Drumond (Barbara Stanwyck)
androgyne et tout de noir vêtue. Un véritable ouragan symbole de toute la
puissance de Jessica et qui précède celui, météorologique qui la montrera plus
tard sous un jour plus vulnérable dans le film. Cette facette mythologique est
également présente de manière sous-jacente dans certains éléments du scénario.
Le héros Griff Bonnell (Barry Sullivan) et sa fratrie d’hommes de loi est bien
sûr une réminiscence de Wyatt Earp, certaines informations (les aventures et
étapes précédentes de Bonnell évoquées correspondant à celles réelles de Wyatt
Earp) et surtout la caractérisation de dure à cuir taciturne évoquant la
célèbre figure de l’Ouest.
L’intrigue au contraire tend à inverser cette
tendance, les failles des personnages reposant justement sur cette aura
légendaire désormais pesante. Griff est ainsi las de cette vie d’action et
rechigne à tuer. Son premier morceau de bravoure exprime bien cela lorsqu’il
stoppera le chien fou Brockie Drumond (John Ericson), frère de Jessica. Alors
que Brockie sème la terreur en ville, Griff rechigne presque à intervenir et
lorsqu’il le fait, toute l’aura menaçante du tueur aguerri ressurgit (Fuller
préfigurant Sergio Leone avec ce gros plan sur les yeux de Griff qui écrase son
adversaire rien qu’en avançant vers lui) même s’il le neutralise en l’assommant
de son arme plutôt qu’en faisant feu.
Jessica quant à elle s’est élevée à la force du poignet à
coup d’intimidation et de corruption, mais en a payée en retour une immense
solitude. Jessica et Griff sont des personnages jumeaux, usés par la voie qu’ils
ont depuis si longtemps empruntés (la quête de pouvoir pour Jessica, l’application
de la loi pour Griff) et voient chacun en leurs petits frères des avatars
dégénérés d’eux même. Seules les forces de la nature avec un spectaculaire ouragan
les font symboliquement et physiquement tomber de ce piédestal pour les mettre
à nu et enfin se rapprocher (superbe scène d’amour, lascive et intimiste dans
la pénombre d’une grange et l’heure des confessions respectives). Leur
entourage les ramène cependant constamment à leurs existences tumultueuses, de
façons plus outrée ou dramatique.
Toute la noirceur et violence du film s’exprime
pour montrer cet entourage briser cette quête de quiétude du couple. Fuller use
à la fois de la tragédie du dépit amoureux à avec l’homme de main joué par Dean
Jagger qui acquiert une profondeur inattendue mais aussi de la pure
confrontation, brutale et inattendue. Les fratries défaillantes précipitent le
drame et bousculent les sentiments, le cadet Chico sauvant Griff tout en
devenant définitivement un tueur, Brockie forçant sa sœur à le laisser à son
sort après le crime de trop. Seul Wes Bonnell (Gene Barry sacrément
charismatique) semble équilibré dans ses actions et sentiments mais ne peut donc
survivre à l’agitation ambiante.
Le chaos intérieur des personnages et leur insatisfaction se
répercutera peu à peu dans le filmage de l’action, alors que tout au long du
film amour et coups de feux constituaient deux espaces séparés. Cette idée
culmine dans la confrontation finale incroyablement violente, où Griff abat son
ennemi d’une rage exprimant autant la vengeance que la frustration de ne pas
être auprès de celle qu’il aime. C’est paradoxalement en les mettant ainsi à nu
et les brisant que Samuel Fuller autorise le rapprochement final, la posture et
la domination ne pouvant plus entraver un couple qui s’est vu tel qu’il est et
peut s’aimer.
Sorti en dvd zone 2 français chez Carlotta et bluray chez Sidonis
Le meilleur western de Fuller, en effet, et un trés non film.
RépondreSupprimerMon Fuller préféré. Un western très impressionnant. Comme tu le dis, la violence et les gros plans préfigurent Leone.
RépondreSupprimerStrum