L'histoire retrace le
parcours de la famille Nakaoka à Hiroshima, du printemps 1945 au printemps 1953
en se centrant sur le bombardement atomique du 6 août 1945.
Gen d’Hiroshima
est une des œuvres les plus emblématiques du traumatisme de la bombe et de ces
conséquences aux Japon. Le manga édité entre 1973 et 1985 est grandement
autobiographique, l’auteur Keiji Nakazawa s’inspirant de son expérience
familiale. Il perdit ainsi son père, sa grande sœur et son petit frère dans un
incendie causé par l’explosion, subissant par la suite les privations et
assistants aux horreurs causées par les radiations. Ce traumatisme marquera
toute son œuvre de mangaka, placée sous le sceau politique et antimilitariste
et notamment dans le classique que constitue Gen d’Hiroshima. Le manga naît au départ d’une demande de l’éditeur
de la populaire revue Jump proposant à ses auteurs de raconter une histoire
personnelle. Nakazawa proposera alors Je
l'ai vu, récit court et première évocation de son expérience du
bombardement.
L’enthousiasme suscité incitera son éditeur à lui réclamer une
série qui sera donc Gen d’Hiroshima.
La publication ne se fera pas sans heurts tant Nakazawa n’épargne rien dans la
noirceur et l’œuvre quittera les pages de la populaire revue Weekly Shōnen Jump pour d’autres plus modestes
(trois revues différentes de 1973 à 1985 en plus des volumes reliés) mais recueillera
un vrai succès public et critique tout en attirant un lectorat plus adultes. Le
cinéma va l’adapter sous la forme d’une trilogie réalisée par Tengo Yamada avec
Hadashi no Gen en 1976, Hadashi no Gen: Namida no bakuhatsu en 1977 et Hadashi no Gen part 3: Hiroshima no tatakai
en 1980. En 1983 c’est l’animation qui en offrira une transposition poignante
produite par le studio Madhouse et réalisée par Mamoru Shinzaki.
Le film se déleste grandement de la facette politique du
manga dans les personnages et le contexte si ce n’est furtivement (la nature
pacifiste du père de Gen et la possible inimitié qu’elle cause face au
voisinage), pour privilégier le récit familial. On assiste ainsi au quotidien
difficile de la famille Nakaoka en ces temps de guerre à Hiroshima. Les survols
aériens des avions américains (qui semble épargner la ville par rapport au
reste du pays pour n’effectuer que des passages de « reconnaissance »)
et les privations diverses constituent des difficultés concrètes ou abstraites
que semblent toujours se surmonter par la solidarité familiale. Le tempérament
turbulent des deux frères Gen et Shinji (la fratrie est réduite par rapport au
manga où Gen avait également deux grands frères) apportent une insouciance
bienvenue, la sagesse du père et la tendresse de la mère créant un cocon
bienveillant dans l’intime.
Chaque désagrément semblent pouvoir se résoudre par
cette solidarité familiale ce qui donnera son lot moment vraiment touchant tel
ce passage où Gen et Shinji iront pêcher/voler une carpe pour nourrir leur mère
malade et la réaction de la « victime ». La mièvrerie est constamment
évité même quand la situation pourrait s’y prêter mais Mamoru Shinzaki toujours
le ton juste en privilégiant le point de vue enfantin : lorsque Shinji ira
réclamer en douce les arrêtes du poisson que vient de manger sa mère, la
narration ne s’attarde pas sur les larmes de celle-ci mais plutôt sur le savon
musclé que passe Gen à son petit frère.
Cette dimension bucolique ne peut cependant pas surmonter l’innommable
quand surgit le bombardement du août 1945. La mise en scène de Mamoru Shinzaki s’était
jusque-là faite efficace mais dans les standards télévisuels de l’époque, le
savoir-faire de Madhouse en plus. Il signe pourtant un stupéfiant moment de
cauchemar avec la scène de bombardements. Les couleurs désaturées du ciel où s’avance
le bombardier, les silhouettes à peine esquissées des pilotes et le point de
vue « divin » où s’agrandit le champignon atomique exprime le profond
détachement des agresseurs. Du point de vue des habitants, c’est une apocalypse
aux couleurs rougeoyantes où le souffle mortel déforme sans distinction les
corps de femmes et enfants dans des tableaux cauchemardesques. Le réalisateur
filme la scène dans un ralenti où les multiples points de vue expriment la stupéfaction
et l’horreur de l’instant, un moment suspendu dont les ravages n’en finissent
pas.
Cette abomination collective n’en devient que plus douloureuse quand elle
est ramené à l’intime et que Gen assiste impuissant à la mort de sa famille
coincé dans la maison en flamme. Toute la douce caractérisation qui a précédé
renforce encore l’impact émotionnel de cet instant déchirant. La dimension
politique moins prégnante que dans le manga est néanmoins sous-jacente par la
voix-off, la critique de l'impérialisme, de l'aveuglement des militaires et du
nationalisme se laissant deviner à plusieurs reprises. C’est cette voix-off qui
souligne le mutisme et le refus de reddition du régime, cause du second
bombardement nucléaire à Nagasaki. Cette vision de japonais pleurant à la
reddition tant attendue souligne également le degré de fanatisme atteint par la
population, même après pareille épreuve.
Le film ne nous épargne rien des phénomènes météorologiques
(la pluie acide causée par les radiations), des images macabres dignes d’un récit
d’horreur (les nuées de cadavres calcinés dans la ville, les irradiés et
mutilés avançant plus morts que vif comme des zombies) et des conséquences
physiologiques sanglantes de la bombe. Le héros Gen voit son enthousiasme
constamment ramené à l’horreur ambiante, le possible renouveau étant toujours
contrebalancé par un autre malheur – l’amitié avec un irradié profond
débouchant sur une perte traumatisante filmée avec une belle sobriété par Shinzaki.
Si la conclusion nous ramène à une métaphore récurrente du manga et exprimée au
début par le père (« Soyez comme ce blé, fort, même si vous vous faites
piétiner… »), la frontière reste ténue entre abandon et espoir après un
spectacle si douloureux. Même avec la simplification et la relative
édulcoration, cette adaptation animée reste une œuvre intense et éprouvante qui
ouvre la voie à des réussites futures comme Le
Tombeau des lucioles d’Isao Takahata (1988) et le plus récent L’île de Giovanni de Mizuho Nishikubo
(2013). Le film recevra le prestigieux Le prix Noburō Ōfuji en 1983 et
connaîtra une suite toujours signée Mamoru Shinzaki en 1986.
Sorti en dvd zone 2 français chez Kaze
Je crois même qu'historiquement, c'est le premier manga traduit et édité en France (c'était paru chez les Humanos avant qu'arrive la grande vague Glénat).
RépondreSupprimerE.
Oui même si je crois qu'il y a eu des tentatives plus anonymes dans les 70's c'est la première vraie sortie d'un manga en France, mais ça n'avait pas trop marché c'est les rééditions suivantes des 90's qui ont fait la renommée du titre en France.
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