Cri-Cri était
autrefois danseuse. Elle tient aujourd'hui la pension «L'Ange gardien» pour
être plus près de son amant, Patrice, un châtelain désœuvré qui mène une cour
assidue à Michèle, une jeune femme rencontrée par hasard. Cette dernière, vit
avec Roland, un artiste sans grand talent qui ne rechigne jamais devant un bon
verre de vin. Un soir, il se présente complètement saoul à la pension. Pour se
rapprocher de Michèle, Patrice demande à Roland d'effectuer des aménagements
dans son château.
Après un début de carrière difficile, les succès de Gueule d’amour (1937) et L'Étrange Monsieur Victor (1938) firent
de Jean Grémillon un réalisateur majeur du cinéma français. Un statut confirmé
avec Remorques (1941) pourtant réalisé dans des conditions houleuses. L’entrée en guerre de 1939, la débâcle puis
le début de l’Occupation interrompent ainsi le tournage rendu complexe par ses
scènes maritimes filmées en studio et qui s’achèvera deux ans après son premier
clap sans ses deux stars (Jean Gabin et Michèle Morgan) ayant fuies aux Etats-Unis.
Durant l’Occupation, le politisé Jean Grémillon se refuse à intégrer la
Continentale et se réfugier en Zone Libre où la censure allemande est moins
contraignante. Le scénario de Pierre Laroche et Jacques Prévert lui permet
ainsi d’exprimer la fibre sociale qui imprègne tous ses films tout en délivrant
un message de résistance subtilement métaphorique contre l’envahisseur
allemand.
Jean Grémillon signe là un grand film sur la passion
amoureuse qui peut prendre différent visages. Ces visages s’incarnent dans les
trois lieux clés du récit. La passion possessive, décadente et secrètement
meurtrière est ainsi symbolisée par le château oppressant et vide comme l’âme
de son propriétaire Patrice (Paul Bernard). La pension de « L’Ange Gardien »
est-elle le théâtre d’une passion tourmentée, dépressive et maladive la maîtresse des lieux Cri-Cri (Madeleine
Renaud) amoureuse éperdue de Patrice. C’est aussi là qu’aime et souffre en
silence la jeune Michèle (Madeleine Robinson) pour l’autodestructeur Roland
(Pierre Brasseur).
A travers ces environnements on trouve donc d’un côté le pouvoir
« féodal », corrupteur que représente le châtelain Pascal (ses manœuvres
sournoises pour perdre Roland et se rapprocher de Michèle) et de l’autre un
monde ordinaire, vulnérable et joyeusement excentrique à travers quelques hôtes
de la pension. Entre les deux le barrage en construction et ses ouvriers
symbolisent une forme de pureté du prolétariat et une vision idéalisée de l’amour
(les traits angéliques et la passion si innocente de Julien (Georges Marchal)
pour Michèle), ainsi que finalement un barrage à l’injustice (ce n’est pas pour
rien que le final s’y déroule) et au nazisme de façon sous-jacente.
Jean Grémillon choisit pour cadre le vrai barrage de l'Aigle
en Corrèze, haut-lieu de la Résistance puisqu’il servait de refuge aux
maquisards mais employait également des ouvriers réfractaires au STO (service
de travail obligatoire allemand réquisitionnant des français). Les vues
majestueuses de la région, parfois naturelles et parfois dû à l’ingéniosité des
maquettes d’Alexandre Trauner (pas crédité au générique puisque juif) - la spectaculaire
baie vitrée de la pension donnant sur les montagnes - ainsi que les décors
impressionnants baignés de cette fameuse lumière d’été du titre reflètent donc
ironiquement la facette la plus oppressante de ce chassé-croisé amoureux.
A l’inverse
dès que la pénombre, l’ombre et la nuit dominent, les sentiments les plus
nobles peuvent s’exprimer. Ce sera presque toujours autour du refuge que
constitue le barrage, évidemment avec la camaraderie et fraternité des ouvriers
mais surtout au cœur de chaque rencontre entre Julien et Michèle. Julien fait
échapper Michèle à une explosion et réconforte son désarroi dans un tuyau à l’ombre
du tumulte et leur première rencontre inopinée se fait dans l’obscurité d’une
chambre. La photo de Louis Page est tout en subtils contrastes lors l’entrevue
dans les bureaux de la mine et le premier baiser puis le final se déroule de
nuit, passant du château au barrage.
Jean Grémillon oppose là deux mondes, l’un bourgeois et
torturé qui pense gagner l’amour par la force (Pascal) ou le refuse et/ou le
réclame dans un pur égoïsme (Cri-Cri, Roland), à l’inverse de celui qui s’accepte
avec patience et sincérité au fil du récit et des déconvenues avec Julien et
Michèle tout en présence lumineuse et juvénile. Les va et vient sentimentaux et
géographiques se succèdent alors jusqu’à trouver l’espace rédempteur qui pourra
tout résoudre avec la conclusion cathartique au sein du barrage. Jean Grémillon
aurait d’ailleurs préféré conclure là mais la censure imposa un épilogue
(atténuant du coup la progression du récit par le réalisateur) où l’on verrait
Julien et Michèle sous une lumière éclatante face aux montagnes. L’un des chefs
d’œuvres de Grémillon sous l’Occupation avec Le ciel est à vous à venir.
Sorti en dvd zone 2 français chez SNC/M6 Vidéo
Extrait
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