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samedi 20 avril 2024

L'Echappée - Drift, Antony Chen (2024)


 Sur les plages paradisiaques d'une île grecque, personne ne remarque Jacqueline. Personne sauf Callie, une guide touristique américaine. Leur amitié naissante pourrait guérir Jacqueline d'un traumatisme enfoui et lui permettre d’affronter les fantômes de son passé.

Les deux beaux premiers films d’Antony Chen, Ilo Ilo (2013) et Wet Season (2020), installaient leurs trames intimistes dans un cadre socio-culturel rattaché au Singapour natal du réalisateur. Le récent et magnifique Un hiver à Yanji (2023) marquaient ainsi une rupture géographique, avec son intrigue se déroulant à la frontière de la Chine et de la Corée du Sud. Antony Chen y creusait cependant un sillon semblable, celui de l’observation des petites gens, des communautés exilées, ainsi que du lien profond pouvant se nouer (ou pas) avec les locaux. L’Echappée participe à cette nouvelle aspiration nomade du réalisateur, mais cette fois en s’émancipant totalement de l’Asie pour un récit prenant place en Europe, et plus précisément en Grèce.

Comme souligné plus haut avec Un hiver à Yanji, Antony Chen déplace de nouveau ses thèmes de prédilection, cette fois d’un continent à un autre. Nous ne sommes cependant pas dans la redite, puisqu’au monde du travail plus (la professeure de Wet Season) ou moins (les petites mains de Ilo Ilo et Un hiver à Yanji) stable des films précédents se substitue un dénuement bien plus radical en suivant le destin de la migrante africaine Jacqueline (Cynthia Erivo). Celle-ci, ayant fuit son Libéria natal en proie à la guerre civile se retrouve coincée en Grèce. Nous observons ses déambulations, sa solitude et survie quotidienne dans le cadre paradisiaque d’une île grecque. Ce décorum somptueux est un constant miroir de son propre dénuement et Chen s’attarde dans le détail de cette errance quotidienne. Néanmoins, on ressent une détresse et un sens de la « débrouille » moins prononcé chez notre héroïne que chez d’autres migrants, comme si la rudesse de cette survie au jour le jour était nouveau pour elle. Une série de flashbacks fragmenté nous révèle ainsi son milieu privilégié, sa connaissance préalable de l’étranger, et la manière dont le tumulte de son pays lui a arraché les siens.

Antony Chen nous fait ainsi progressivement comprendre que pour Jacqueline, ce n’est pas uniquement la résolution permanente de son dénuement matériel qui se joue. Il y a un traumatisme plus grand dont chaque situation de son quotidien précaire peut-être une réminiscence. Le réalisateur amène cela subtilement, en se rattachant à tout un rituel pratique ordinaire qui dans un premier temps ne semble rattaché qu’à combler des besoins primaires, comme laver ses sous-vêtements. L’expérience traumatisante de Jacqueline l’amène à être glacée d’effroi dans des situations au premier abord anodine (un autre migrant cherchant à lui parler en pleine rue), tandis que son éducation semble lui permettre de donner le change sur sa condition par les mots, mais la trahit systématiquement par son allure misérable et apeurée.

L’Echappée du titre concerne donc moins cette condition difficile que les souvenirs sordides qui hantent Jacqueline. On comprendra qu’elle a d’éventuelles possibilités d’être sauvée grâce à des amis en Angleterre, mais appeler à l’aide signifie devoir raconter ce qu’elle a vécu, ce qu’elle a vue et perdu. Antony Chen tisse un premier verni social où l’on pense Jacqueline trop « fière » pour accepter de l’aide d’où qu’elle vienne, avant de soulever le verni intime empêchant Jacqueline de s’ouvrir à autrui. Il faudra, comme dans chaque film d’Antony Chen, une belle rencontre pour extraire le personnage de la prison mentale qu’il s’est forgé. Ce sera le cas ici au fil de l’amitié entretenue avec Callie (Alia Shawkat), une Américaine exilée en Grèce. C’est d’ailleurs un apprivoisement plutôt qu’une rencontre durant laquelle Jacqueline fuit, suit et jauge cette femme bienveillante. 

Après avoir été la proie et la victime, il lui faut tout ce processus pour redonner une confiance qu’elle place sous le signe du rituel social (un dîner qu’elle tient à payer) avant que vienne l’heure des confidences. Ce moment de confession semble surgir presque physiologiquement de Jacqueline (symboliquement durant une scène de bain comme si ainsi dévoilée elle pouvait expulser son mal-être) et révéler pleinement en flashback l’horreur qu’elle a vécu. Cynthia Erivo ayant porté silencieusement une souffrance pourtant marquée sur son visage tout au long du film, laisse alors s’exprimer une souffrance trop longtemps retenue. L’actrice porte totalement le film sur ses épaules. Le personnage de Callie est malheureusement moins consistant hormis sa gentillesse, mais dans un sens cela correspond aussi à la distance que Jacqueline laisse si longtemps entre elle et les autres. Sans atteindre complètement l’accomplissement de ses films « asiatiques », L’Echappée est une belle réussite qui rend curieux des autres tentatives internationales d’Antony Chen, notamment de Secret Daughter produit par Amazon Prime.

En salle le 24 avril

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