Petit arnaqueur minable, Roy Dillon est blessé par un barman à la suite d'une escroquerie ratée. Sa mère, Lilly, employée d'un bookmaker mafieux qu'elle arnaque sur les champs de courses, vient lui rendre visite à l'hôpital et y rencontre Myra, la petite amie de Roy, une ancienne arnaqueuse de haut vol. Entre les deux femmes, c'est aussitôt l'inimitié, puis la haine farouche.
Les Arnaqueurs de Stephen Frears marque en quelque sorte l’entrée officielle de Jim Thompson dans le patrimoine culturel américain. La reconnaissance du romancier était resté assez sous-terraine dans son pays, ses romans étant appréciés par un cercle d’initiés mais son existence chaotique ne lui avait pas permis d’espérer plus. Il va rencontrer des désillusions dans ses incursions hollywoodiennes, notamment de la part d’un Stanley Kubrick s’appropriant le crédit du scénario écrit par Thompson pour L’Ultime Razzia (1956) – le litige se règlera quand Kubrick refera appel à lui pour Les Sentiers de la gloire (1957) en créditant cette fois pleinement sa contribution. L’adaptation à succès Guet-apens de Sam Peckinpah (1972) ne lui sera guère profitable puisqu’il sera évincé du scénario au profit de Walter Hill avant de mourir quelques années plus tard dans un relatif anonymat en 1977.
C’est en France que l’étoile de Jim Thomson brillera, tout d’abord par l’édition de ses plus fameux romans dans la collection Série Noire entre les années 50 et 70 – avant que la collection Rivages/Noir reprenne le flambeau à partir des années 80 dans de nouvelles traductions et des versions intégrales. Le cinéma français proposera aussi les plus singulières, originales et brillantes adaptations avec Série Noire d’Alain Corneau (1979) d’après Une femme d’enfer, et Coup de torchon de Bertrand Tavernier (1981) d’après Pottsville, 1280 habitants.Quelques adaptations obscures et médiocres auront parfois émergé au sein de la production américaine (dont Ordure de flic de Burt Kennedy (1976) d’après L’Assassin qui est en moi plus tard magistralement transposé par Michael Winterbottom dans The Killer inside me (2010)) mais Les Arnaqueurs ramène Jim Thompson au rang des projets haut de gamme 18 ans après Guet-Apens. Produit par Martin Scorsese (initialement envisagé pour le réaliser), réalisé par Stephen Frears sortant de Les Liaisons Dangereuses (1988), scénarisé par Donald Westlake et porté par un casting prestigieux, le film avait tous les atouts pour être une grande réussite. Le script de Donald Westlake est à la fois très fidèle au roman et en même temps très audacieux dans ses choix. Le roman de Jim Thomson était en définitive un récit grandement introspectif dont la pure trame criminelle était pour l’essentiel en arrière-plan, les rebondissements les marquants se produisant même « hors-champs ». Westlake ramène la trame de polar au centre de l’intrigue, tout en y insérant avec brio cette dimension intimiste dans la caractérisation des personnages. Le montage alterné de la scène d’ouverture ramène les protagonistes à leur pure nature d’arnaqueur, à des échelles (dans les environnements et les sommes en jeu) plus ou moins importante. Lilly (Anjelica Huston) officie pour la mafia sur les champs de course, son fils Roy (John Cusack) escroque quidams et barmen pour des sommes ridicules, et Moira (Annette Bening) tente revend des faux bijoux voire son corps pour survivre au quotidien. La veine intimiste du livre, par ses retours dans le passé des personnages ramenait derniers à une certaine humanité expliquant à défaut de justifier leur dérive dans le crime. Frears escamote cette facette pour accentuer la fatalité du film noir et davantage travailler la rupture de ton, en particulier pour Moira qu’Annette Benin incarne comme une véritable vamp grotesque (la scène où elle règle son loyer « en nature » à son propriétaire). Ce choix élimine du coup le beau personnage d’infirmière naïve Carol (qui apparait malgré tout brièvement, jouée par Noelle Harling) pour se concentrer sur le véritable triangle amoureux Lilly/Roy/Moira. Les trois personnages représentent chacun une facette différente de l’arnaqueur. Lilly est la figure depuis trop longtemps dans le circuit, compétente mais usée, tout en étant exposée aux humeurs versatiles de ses très dangereux patrons – une éprouvante scène de passage à tabac, même si moins corsée que dans le livre. Roy est l’escroc doué mais « gagne-petit » qui vivote sans oser franchir le pas d’une arnaque de plus grande envergure. Moira est quant à elle une femme ayant connu l’ivresse des escroqueries les plus prestigieuse, vécu la grande vie de luxe et qui ne supporte pas d’être rentré dans le rang, d’être revenu à une existence précaire et médiocre. Lilly et Moira constituent des pivots moraux et sentimentaux pour Roy, la première l’incitant à quitter la vie criminelle quand la seconde le pousse à y plonger dans une plus grande envergure. Plus le film avance, plus le mimétisme entre Lilly et Moira s’accentue, à travers leur silhouette, coiffure, tenues vestimentaire criardes. Moira est l’assouvissement par procuration du désir coupable que ressent Roy pour sa mère. Lilly voit en elle une contrefaçon vulgaire d’elle-même, et une rivale dans le cœur de Roy dont elle attend aussi autre chose qu’un amour filial.Stephen Frears capture toutes ces ambiguïtés avec brio, porté par des acteurs en état de grâce. La présence juvénile et hésitante de John Cusack fait merveille, le bagout séduisant déployé durant ses petites arnaques se diluant face à sa mère. Il ne redevient pas un petit garçon mais un amant éconduit et gauche devant Lilly, masquant son malaise par l’agressivité. Anjelica Huston fait montre d’une tendresse maternelle trop appuyée (ces longs baisers de retrouvailles provoquant le trouble) et de même, sa quête de rachat semble vouloir exprimer autre chose de plus inavouable. A l’inverse de ces deux protagonistes, Annette Bening représente la femme fatale sans mystère, exposant sa sensualité agressive dans une volonté explicitement intéressée. Frears dans cette approche néo-noir installe la trame du roman dans un contexte contemporain, et pose un écrin à la fois lumineux, stylisé et vulgaire dans sa vision de Los Angeles. Intérieurs tape à l’œil (les tableaux de clown de Roy), dominante de couleurs pastel, soleil californien presque constant (hormis la dernière partie), tout concours à traduire la superficialité des personnages et de leur quête. Hormis Moira uniquement guidée par ce but pécuniaire, Roy et Lilly s’avère plus ambivalents. Lilly incite Roy à quitter cette vie d’arnaque mais une fois aux abois cherche tout de même à lui piquer son magot. Roy semble un temps convaincu pour de coupables raisons à effectivement se ranger, mais refuse tout de même de laisser le fruit de ses larcins à sa mère. Ces attentes divergentes pourraient se résoudre par l’acceptation de cette attirance qui les ronge, l’amoralité du crime se disputant à l’amoralité de l’inceste mère/fils. Stephen Frears saisit toute cette gamme d’émotions avec un immense talent et égale voire transcende le récit de Jim Thomson. Le film noir rencontre la tragédie grecque dans un équilibre parfait.Sorti en bluray français chez ESC et en ce moment visible en streaming gratuit sur youtube ou la plateforme d'Arte
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