Au pensionnat aristocratique bavarois
sis dans le château d'Heiligenstadt, Vincent Loringer est considéré
comme un garçon singulier par les autres élèves. Il chante des airs
exotiques d'une voix mélancolique en s'accompagnant à la guitare. Un
jour, lui et quelques camarades s'embarquent pour aller explorer les
rives de l'autre côté du lac. Ils s'aventurent dans une propriété qu'on
dit abandonnée et, lorsqu’apparaît une ombre dans la vieille demeure,
ils regagnent précipitamment leur pensionnat sans Vincent. Quand celui
revient beaucoup plus tard, il est comme transformé et semble contempler
avec émerveillement quelque chose d'intangible. Il raconte alors qu'il a
rencontré la plus angélique des créatures répondant au doux nom de
Marianne.
Julien Duvivier réalise avec
Marianne de ma jeunesse
un des derniers avatars de cette vague du fantastique français qui vit
jour et triompha dans le cinéma français des années 40 avec des chef
d'œuvres comme
Les Visiteurs du Soir de Marcel Carné (1942),
L'éternel retour de Jean Delannoy ou encore
La Belle et la Bête
de Jean Cocteau (1946). Le genre se caractérise par une inspiration
issue des contes et légendes inscrites le plus souvent dans le folklore
français et surtout célébrant un romantisme pur, innocent et absolu où
se développe un sens du merveilleux lui conférant une vraie identité le
démarquant de l'épouvante gothique anglo-saxonne ou de l'expressionnisme
allemand.
Marianne de ma jeunesse offre donc un sursaut tardif du genre (le prochain grand coup d'éclat du fantastique français
Les Yeux sans visage
de Georges Franju (1959) ira chercher son inspiration sur des
territoires plus novateurs) et déroge d'ailleurs pas mal au règles
précitées.
Exit les légendes française pour une adaptation du roman de
l'auteur allemand Peter de Mendelssohn
Douloureuse Arcadie/
Schmerzliches Arkadien
et paru en 1932, ainsi qu'une intrusion du fantastique plus ténu,
reposant plus sur l'atmosphère instauré par Duvivier que par le
surnaturel avéré des évènements. Ces prémisses dote d'ailleurs cette
production franco-allemande d'un exercice devenu plus rare depuis le
muet et les débuts du parlant à savoir le tournage d'une version
allemande avec la même équipe technique parallèlement à la française (et
simplement nommée
Marianne) et
où Horst Buchholz remplace Pierre Vaneck pour le rôle du héros Vincent
(entre autres) tandis que la belle Marianne Hold est présente dans les
deux films.
J'entends ta voix, Vincent ! Depuis
vingt années, elle me relie à notre adolescence ; j'entends ta voix !
Elle est le sortilège qui ressuscite le vieux château cerné de forêts et
d'animaux farouches. Ce château d'Haeiligenstatd où nous connûmes. Ce
château des brouillards que ta présence peupla de mystères et de rêves. À
l'appel de cette voix dont l'écho hante encore les sous-bois, les
sentiers d'ombre s'entrouvrent ; à son ordre magique, la nuit escamote
les clairières des forêts, et le château se dresse dans ma mémoire comme
il surgissait jadis des aurores. J'entends ta voix, Vincent Loringer,
voyageur du bout du monde... d'un autre monde peut-être... Tu es venu
Vincent, et tout s'éveilla...
C'est sur cette voix-off habitée et étrange que s'ouvre le film tandis
que se déploie des visions élégiaques de sous-bois embrumés, de cerfs
majestueux à l'arrêt et de ce saisissant décor naturel où apparaît cet
imposant château ( les extérieurs se partagèrent entre le Château de
Hohenschwangau en Allemagne et celui deFuschl am See en Autriche).
Surtout la voix-off dévoile déjà par ce mariage du lyrisme de
l'intonation et des images le thème principal du film qui est celui de
la nostalgie et du souvenir.
Pour le narrateur Manfred (Gil Vidal),
cette nostalgie est surtout celle du moment particulier passé dans ce
pensionnat de garçon au cadre si particulier, des moments paisibles qui
s'y sont déroulé et des camarades hauts en couleurs rencontrés, tout
cela dévoilé dans introduction limpide. Ce qui marque pourtant cette
époque à jamais, c'est le passage de Vincent dit "L'Argentin" (Pierre
Vaneck dans son premier grand rôle).
Rêveur, paisible et nimbé d'une
aura étrange, Vincent fascine ses camarades par les récits de sa vie
sauvage en Argentine, ses dons pour la musique et sa communion avec la
nature dont toutes les créatures s'apaisent à son contact. Cette
sensibilité à fleur de peau sera mise à rude épreuve lorsqu'il résoudra
l'énigme de la maison hantée faisant face au pensionnat de l'autre côté
du lac. Parti suivre des camarades en périple d'initiation, il va y
faire la rencontre de celle qui ne quittera plus ses pensées désormais,
Marianne (Marianne Hold).
L'aspect chaleureux du souvenir exprimé au départ devient alors un
fardeau bien difficile à porter. La rencontre entre Vincent et Marianne
agit comme un rêve éveillé par la magnifique force évocatrice du décor
(incroyables créations de Jean d'Eaubonne et Willy Schatz), l'amour
immédiat et absolu naissant entre eux et surtout la brièveté de leur
échange. Dès lors le souvenir de cette vision devient un précieux trésor
à conserver, faisant passer Vincent de la pure exaltation quand il est
encore vivace (la scène de joie alors qu'une tempête apocalyptique se
déchaîne) et le désespoir le plus total quand il commence à s'estomper,
faisant même douter de sa réalité.
La question du rêve est plusieurs fois posée puisque Marianne vient
combler le manque affectif ressenti par Vincent par l'absence de sa mère
à laquelle il est très attachée (attachement presque incestueux comme
il est suggéré au début avec un baisemain d'adieu laissant à penser
qu'il s'agit de sa fiancée, on ne verra jamais le visage de cette mère à
la beauté tant vantée et qui a peut-être les traits de Marianne) et les
entrevues avec sa dulcinée sont uniquement dépeintes à travers des
récits rapportés de Vincent qui sera finalement le seul à l'avoir vue,
la première apparition étant d'ailleurs sous forme de peinture.
Dès lors
le récit se partage entre l'obsession apportant une certaine dimension
psychanalytique et l'expression d'un romantisme pur et total à travers
la prestation rêveuse et déterminée d'un Pierre Vaneck lunaire.
Si les scènes d'amour n’évitent pas toujours la mièvrerie appuyée
(Marianne Hold très belle mais pas forcément très convaincante),
Duvivier par sa mise en scène affirme lui sa croyance absolue en cette
romance par l'onirisme qui baigne l'ensemble du film et les images
fabuleuses imprégnant durablement la rétine.
Les cerfs attendant Vincent
à sa fuite de l'école au petit matin, le concert improvisé dont les
notes semblent traverser le lac pour appeler une Marianne pas encore
rencontrée (symbolique confirmée par la première entrevue où elle lui
lance un étrange
Ainsi c'est vous
comme si elle l'attendait depuis ce moment)ou encore cette première
expédition inquiétante au château hanté offrent des séquences absolument
somptueuses où le réalisateur atteint une magie rare.
Cette inspiration servira également à explorer des terrains plus
troublants où le personnage affirmant de manière plus charnelle son
désir sera aussi le plus néfaste à travers le personnage de Lise
(Isabelle Pia). Duvivier ose un érotisme dérangeant (l'actrice ayant
déjà la vingtaine mais paraissant bien plus jeune dans le film) avec ses
tentatives de séduction où elle se déshabille en ombre chinoise face à
Vincent ou quand elle nage nue dans le lac près de lui. En opposition à
l'amour pur et innocent de la pensée entre Vincent et Marianne, le sien
plus concret est aussi synonyme de pulsions néfastes (la mort de la
biche de Vincent) dont elle obtiendra un châtiment radical.
Baigné de la certitude de la passion de Vincent et du doute de sa réalité, le film évoque par moment une version filmée du
Grand Meaulnes
(dont aucune adaptation n'a jamais convaincu) dans l'idée.
Contrairement au roman d''Alain-Fournier, l'explication ne poindra ici
jamais et le récit s'achève magnifiquement sur Vincent à la poursuite de
son amour, dans la réalité ou en songe.
Sorti en dvd zone 2 français aux Editions LJC
Extrait
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire